Acte V

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GARE À LA TOILE

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La Jeune Fille à la robe de soie


Un jeune homme, par un matin d’Autumnus, quitta la ville pour se rendre en forêt chercher des vivres avant les premiers frimas*. En chemin, il rencontra un paysan, tout occupé à ses semis :

« Où donc cours-tu, jeune espiègle ? »

« Je vais à la forêt, quérir de quoi subsister en attendant le retour des beaux jours. »

« Prends garde et ne t’écarte point des sentiers ! » prévint alors le laboureur, « En cette saison, les bois ne sont point sûrs. Des bêtes rodent qui cherchent comme toi de la chair fraîche avant l’arrivée de Hiems. Ne te fie guère aux apparences et garde-toi de t’approcher d’icelles. »

Fort de ce conseil, le brave garçon promit de rester prudent et s’éloigna des terres civilisées pour aborder les lisières. L’air portait les lourdes senteurs de l’humus et de la pluie de la veille. Le jour filtrait d’entre les ramures avec douceur, éclairant la route entre les sapins et les chênes. Hélas, d’autres avant lui avaient fait leur cueillette aux abords des chemins. Désespérant de ne rien ramener pour nourrir son foyer, il dut s’en écarter pour suivre une piste et se glissa entre les doigts squelettiques des arbres nus et les méchantes griffes des ronces. Peu à peu, la lumière se tarit.

C’est alors qu’il la vit. Elle attendait, nue sur le tapis des feuilles rousses, ombre pale sous les feuillages denses. Intrigué, le jeune aventurier s’approcha de cette créature silencieuse et solitaire. À mesure que ses pas le conduisaient vers elle, il s’aperçut de son immense beauté. Ce devait être une déesse ou une princesse égarée, car il croyait que la noblesse seule pourvoyait les jeunes filles de si beaux atours. Les yeux d’icelle scrutaient la forêt sans cligner, il lui apparut bientôt qu’elle ne l’avait point vu. Étourdi par ce qu’il contemplait, le jeune homme s’enhardit et décida de l’aborder :

« Ma dame, je suis surpris de vous trouver en ce sous-bois. Moi qui ne viens ici qu’à la veille de Hiems débusquer des marrons et chasser l’entome, je ne m’attendais qu’à rencontrer des bêtes féroces ! Que faites-vous seule ici, à la merci de tous ces dangers ? »

« Hélas, cher ami ! » soupira-t-elle. « Moi aussi, je cherche de quoi me sustenter. J’aimerais, comme toi, pouvoir chasser, mais mes yeux sont mauvais et mon corps n’est point aussi vigoureux que le tien. La dernière pluie m’a épuisée, et je suis seule, las ! Incapable de me contenter. »

Indigné par tant de détresse et séduit par le charme de la belle, le jeune homme se proposa de l’aider. Il lui promit le fruit de sa chasse et reprit sa piste à travers la forêt.

Par chance, notre courageux chasseur n’eut point d’ennui. Il revint auprès de sa belle avec un coléoptère tout frais qu’il avait réussi à prendre. La Jeune Fille s’en réjouit et dévora l’entome sans partage sous les yeux attendris de son prétendant. Quand elle fut rassasiée, elle reprit :

« Me voilà comblée, charmant jeune homme. Ce délicieux trophée mérite une récompense mais je n’ai rien d’autre que ma personne à te donner. Souffre que je sois tienne ! Approche donc, que je te vois enfin et te donne un baiser ! »

Le jeune homme, n’osant croire à son bonheur, mit genou à terre et tendit les bras vers sa dulcinée. Pour le satisfaire sans tarder, elle lui offrit ses caresses, là, au milieu de cette forêt déserte. Ils échangèrent un long baiser mais, bientôt, celui-ci vira aigre. Écoeuré, le jeune homme voulut s’écarter mais il était trop tard. Aussi fine qu’impalpable, une robe de soie collante paraît sa conquête et s’étalait autour d’elle. Il l’eut vu s’il s’était trouvé en des régions plus éclairées ! Lui qui avait pris les glaires blanches à sa base pour une preuve de désir, le voilà entravé ! Il lutta encore pour se défaire. Las ! De ses longs membres agiles, la créature tissait déjà autour de lui une nouvelle robe de soie, celle-là étroite et robuste et dont il ne pouvait s’extraire.

Ainsi fait pitance, il demeura prisonnier jusqu’à son dernier souffle et le retour de la Belle Saison où un autre malheureux, croyant trouver l’amour au gré de sa cueillette, s’éprendrait à son tour d’une vile fileuse.

Conte populaire homine, vraisemblablement composé en l’Élégiaque avant la Dispersion.


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*  Auparavant « avant la Morte Saison », expression mise à l’index selon la Doctrine de la Bien-pensance.

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