[A5] Scène 1 : Stanislas
Stanislas, Aliane, Cornelia Wereck
Ae 3894 – cal. XXVII
Stanislas descendit les sept étages de l’immeuble en traînant des pieds. Le frottement régulier de ses chaussons sur le marbre usé des marches résonnait dans tout l’escalier. Il avait insisté auprès de sa mère pour récupérer le courrier à sa place tous les matins. Certes, Aliane ne sortait plus beaucoup depuis que le Brigadier avait fermé, et Hortense n’était pas en mesure de réaliser cette tâche malgré son attrait infatigable pour la presse. Lui-même aurait souhaité épargner les quelques grasses matinées qu’il lui restait avant de retrouver les bancs de l’école mais il n’avait, pour ainsi dire, pas le choix. Quelques jours après son aventure à Siremsis, un homme – un de ceux en long manteau qui les scrutaient de loin chaque fois que lui ou sa mère traversait la rue – lui avait confié cette mission, précisant simplement qu’il « risquait de recevoir quelque chose dont sa mère ne devait pas avoir connaissance ». Depuis lors, Stanislas vivait entre l’appréhension de voir ou de ne pas voir ce quelque chose arriver.
La pêche fut bonne, ce matin-là. Outre le journal, il y avait une lettre pour sa mère et une sans nom. En retournant cette dernière, Stanislas repéra un papillon imprimé en filigrane sur l’enveloppe et sut que c’était pour lui. Ne sachant où la mettre, il la glissa dans son froc et revint lentement vers les escaliers. Assommé d’avance par toutes les marches qui l’attendaient, il s’attarda un instant sur le reste de sa récolte.
Aliane avait reçu un certain nombre de lettres, depuis son retour à la vie publique. Souvent des lettres d’admirateurs qu’elle s’empressait de mettre au feu. Des menaces de mort aussi, parfois, et qui finissaient pareillement en pâture pour le petit poêle de leur appartement. Depuis que le Brigadier avait fermé pour raisons techniques, elle en recevait cependant beaucoup moins, et des unes et des autres. La lettre qu’elle avait reçue ce jour-là, lut Stanislas, émanait du tribunal d’Armorande. Toutes les fois où il s’était porté volontaire pour le ramassage du courrier, il n’avait jamais vu aucune enveloppe estampillée de ce sceau. Dans son souvenir, le tribunal était le lieu où sa mère et Alvare avaient dû affronter Oscar von Hibenquicks pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté la Draconienne. C’était de ce même tribunal qu’émanait la décision d’obliger leur famille à vivre, pour un temps resté incertain, dans le Réseau. Peut-être ce tribunal était-il enfin revenu sur sa décision ?
Tout en hâtant soudain le pas pour avoir la réponse, Stanislas parcourut en diagonale la une du journal, ou plutôt des journaux. Ils recevaient toujours Le Phare et Le Réverbère de Vambreuil. Le Phare car tout le monde, en Althorod, devait recevoir Le Phare, organe d’information officiel de la Société. Le Réverbère parce que tous les habitants de Vambreuil devaient recevoir Le Réverbère. Au début, Stanislas n’avait pas très bien compris ce qui, en dehors de ces deux injonctions, différenciait vraiment ces deux liasses de papier. Suite aux explications quelque peu laconiques de sa sœur et quelques observations tout aussi laconiques de sa part, il avait compris que le premier parlait de tout le multivers tandis que l’autre se focalisait sur le quotidien de leur station-ville. La logique faisant, le premier était invariablement plus volumineux que le second et abordait des sujets beaucoup plus divers – et intéressants, aux dires d’Hortense. Les deux ne manquaient cependant pas de couvrir les problèmes climatiques guère résolus du Cœur du Réseau. Ce jour-là, fait plus rare encore, ils arboraient la même image en une : un homme de l’âge d’Aliane ou presque, avec des cheveux noirs très bien peignés, traversait un couloir entouré de plusieurs personnes. Son long manteau noir, l’écharpe claire qui pendait à son cou mais surtout le chapeau et la drôle de canne qu’il avait dans chaque main le rendirent tout de suite familier à Stanislas. C’était lui, l’homme mystérieux qui les avait aidés à fuir. « Le Héraut de Port-Vesper sur le départ pour Vambreuil », titrait Le Phare. « Une arrivée imminente », énonçait simplement Le Réverbère.
C’est aujourd’hui ?
Stanislas savait par sa mère que l’homme – il ne parvenait pas à retenir son nom et le lire sur le papier le faisait loucher – devait s’installer à Vambreuil très prochainement. Aliane ne s’était d’ailleurs pas vraiment étendue sur le sujet mais, au vu de son humeur après son séjour en la Versatile, il avait cru comprendre que leur rencontre ne s’était pas très bien passée. À moins que sa propre escapade eût été le problème ? Stanislas en avait été quitte pour le reste des vacances, passées à bûcher ses leçons et à faire tout ce que sa mère lui demandait sans rechigner.
Du bruit au rez-de-chaussée interrompit son ascension en même temps que ses pensées. Il quitta le journal des yeux et scruta par-dessus la rampe. Quelqu’un, en bas, s’échinait à faire marcher l’ascenseur à grand renfort de protestations.
« Il est en panne, lança-t-il simplement.
— Stanislas ? C’est toi ? »
L’intéressé fronça les sourcils et se pencha un peu plus mais ne vit personne. Il s’exprimait peu en public et trouvait étrange qu’on pût le reconnaître si facilement. La voix fluette qui l’avait interpellé, cependant, ne lui était pas inconnue.
« Attends-moi ! Je me rendais chez vous, justement ! »
Stanislas resta donc sans bouger, attendant les pas qui se rapprochaient de lui dans l’escalier. Quand il put enfin voir qui était leur visiteuse, une sueur froide lui parcourut l’échine.
« Ah… Bonjour, dame Wereck.
— Quelle saleté, cet ascenseur ! lança la patronne du Vivarium en guise de bonjour. Ta mère habite bien au septième étage, n’est-ce pas ? »
Il confirma et la laissa passer devant. Une brève frayeur le saisit à propos du courrier et de ce qu’elle aurait pu en voir. Heureusement, l’enveloppe au papillon était bien cachée contre son derrière. Il prit soin de glisser l’autre, celle du tribunal, entre deux pages du Réverbère, qui ne serait certainement pas le premier journal sur lequel on se jetterait, puis il suivit.
Au septième, il ouvrit devant une Cornelia Wereck à peine essoufflée qu’il annonça. Depuis le salon, Aliane bafouilla des excuses : Elle ne s’était pas habillée pour recevoir. Le temps d’y remédier, elle chargea son fils de servir une boisson chaude à leur invitée. Le choix ne fut pas difficile : il n’y avait plus ni thé, ni chocolat. Rien à part un fond de café que personne d’autre ne boirait. Wereck assura qu’elle s’en contenterait.
« Sainte Tripartition ! On se gèle, ici ! se plaignit-elle cependant en resserrant son tour de cou en poils de mygale. Vous n’êtes plus approvisionnés en bois de chauffage ?
— On essaie d’économiser ce qu’il reste, expliqua Aliane depuis sa chambre. Je préfère m’assurer qu’on puisse se chauffer aussi longtemps que possible, même si ça nécessite de chauffer moins. Vu l’état d’Hortense, je ne peux pas me permettre…
— Votre frère me disait encore l’autre jour que les cheminots ne voulaient rien entendre. Ces empaffés d’homines, des bons à rien… Et ce crétin de Hibenquicks qui ne cesse de mettre de l’huile sur le feu ! Vous savez que mes affaires ont diminué de moitié, avec ses pitreries ? »
Stanislas reposa précipitamment le bocal de café et entreprit de ramasser la poudre brune qu’il avait malencontreusement renversée à côté de la bouilloire. Ils ne pouvaient pas se permettre de gaspiller. Il était cependant toujours aussi surpris et inquiet de l’aplomb avec lequel Cornelia Wereck parlait des homines en leur présence. Comme si Aliane n’était pas supposée être une fémine elle-même.
« Je doute que notre situation s’améliore avec le retour du trafic, objecta cette dernière. Alvare m’a aussi appris que l’essentiel des employés du théâtre avaient dû quitter leurs fonctions. Et puis avec tous les travaux que nécessite le Brigadier, je suis à peu près sûre qu’il restera fermé tant qu’il neigera.
— Hélas ! Vous êtes donc de ceux qui vivotent à Vambreuil... soupira la visiteuse. Et dame Lenoir ? A-t-elle reparu ?
— Non. »
Aliane entra dans le salon. Elle prit place dans un fauteuil près de Wereck tout en resserrant les pans de son châle autour de ses épaules. D’un signe de tête, elle désigna à Stanislas les cahiers et les livres qui l’attendaient sur la table du séjour. Le garçon contint un soupir mais se résolut à se mettre au travail pendant que le café chauffait. Le suivant du regard, Cornelia aperçut le journal sur la table et s’en empara. Il eut un sursaut mais se tranquillisa tout de suite : elle n’avait pris que Le Phare et n’en dépassa pas la première page.
« Soit elle est restée bloquée à l’extérieur de la station-ville, soit elle a été écrouée, poursuivait cependant Aliane. Je suis allée me renseigner plusieurs fois auprès des autorités mais ils ne savent rien. En attendant, je n’ai aucune perspective de travail et mes droits diminuent. Bientôt, je ne pourrai plus nourrir mes enfants.
— Pourquoi donc pensez-vous qu’elle a été écrouée ? » s’enquit Cornelia d’une voix lointaine. Elle ne quittait pas la une du Phare des yeux.
« Oh… Je ne sais pas. J’imagine qu’elle a des choses à se faire reprocher. Elle m’a toujours paru louche, de toute façon. »
Stanislas trempa sa plume et s’attaqua à son problème de mathématiques, l’air de rien. Personne ne savait, en dehors de la famille et de l’Intérieur, ce que Lenoir avait tenté de faire au début de la saison. Lui-même n’était pas certain de comprendre, finalement. Avait-elle vraiment eu l’intention de l’accompagner chez les Overcour après le lui avoir interdit ?
Cornelia paraissait cependant loin de ces préoccupations.
« Vraiment, il n'est question que de lui depuis qu'il a annoncé venir ici. Ça devient harassant.
— De qui parlez-vous ?
— À votre avis ? persifla la Corporatiste en frappant Le Phare du plat de la main. Withingus ! Ce type me donne la gerbe !
— Ah ? Il m’a pourtant l’air d’être quelqu’un d’honnête, à première vue. »
Cornelia parut moins surprise par cette prise de partie venant d’Aliane que Stanislas. La rencontre à La Maldavera ne s’était peut-être pas si mal passée, finalement.
« Vous dites ça parce qu’il vous a sauvé la mise et qu’apparemment il vous a à la bonne, pointa cependant Wereck avec sécheresse. Mais c’est mal le connaître. Je sais quatre choses sur Aristide Withingus : la première, c’est que sa propre mère ne veut pas entendre parler de lui. Son père a fini ses jours en prison. [...] . On dit que c’est à ce moment-là qu’Aristide aurait été confié à l’Institut. Prématurément, donc : vers l’âge de sept cycles, il me semble. Les autres élèves le fuyaient et lui-même n’a jamais cherché la compagnie de personne. C’est quelqu’un de sincèrement ennuyeux, à dire vrai, et qui n’a d’yeux que pour ses recherches ; des sujets stupides et sans intérêt, comme lui. Aussi, ce crétin passe le plus clair de son temps à lire et à… s’empiffrer (elle grimaça de dégoût). D’aussi loin que je m’en souvienne, il a toujours été bedonnant. Sans compter qu’il boit beaucoup. J’ai aussi entendu dire qu’il fréquentait des fémines pour combler sa solitude. Quelle honte... Être à ce point benêt que d’être obligé de se rabattre sur une espèce inférieure parce que personne au sein de votre caste ne veut de vous. Si c’est pas triste ! »
Ça fait beaucoup plus de quatre, releva Stanislas. Dans son équation, x, lui, demeurait inconnu.
Cependant, Cornelia Wereck n’en avait pas terminé avec ce pauvre professeur Wit-machin-truc. Il se trouvait qu’elle avait été étudiante à l’Institut en même temps que lui et qu’ils avaient déjà eu maille à partir. Stanislas n'écouta plus la conversation que d'une oreille distraite. Ces commérages ne le passionnaient guère, en comparaison de sa mère qui semblait tout ouïe, hochant la tête et lâchant des « Ah bon ? » et des « C’est vrai ? » de temps à autre, comme si tout cela l’intéressait vraiment. Tout ce qu'il retint, pour sa part, c'était que Cornelia avait eu une grande amie dans sa jeunesse, Rosemonde Quelque-chose ; que cette dernière avait été « rendue au Vide » alors qu’elles n’étaient encore qu’étudiantes, et qu’elle suspectait le professeur, alors étudiant lui-même, d’y être pour quelque chose. Rien d’avéré, a priori, mais elle était intimement convaincue que c’était lui le responsable, car il avait une dent contre elle et Rosemonde. Pour quelle raison, elle n’en avait rien dit. Elle trouvait cependant scandaleux qu’en dépit de cette affaire et de son sujet de thèse, qu’elle qualifia de « chose la plus absurde qu'un étudiant de l'Institut ait jamais osé soutenir devant le Grand Conseil », ce fameux Machin-bidule-gus se soit retrouvé Grand Conseiller lui-même, au même titre que l’ancien conjoint de dame Wereck, le professeur Winkler, avec lequel elle prétendait – heureusement – toujours être en froid. Malgré une rivalité notoire entre ces deux hommes, elle craignait cependant qu’ils s’entendissent pour perquisitionner à nouveau son Vivarium et le faire fermer. Elle termina en proférant que les professeurs de l'Institut étaient tous des « incapables, des incompétents et des inutiles » qui se contentaient de « pondre des thèses sans queue ni tête » mais qui, derrière, n'étaient pas capables de « maintenir les Impotents à leur place » et « paniquaient sans réfléchir à la première inadéquation politique venue avec l'Assemblée ». Et Aliane d'écouter docilement tout cela, subissant au passage les commentaires désobligeants sur l’espèce humanoïde à laquelle elle faisait semblant d’appartenir.
« Mais passons, conclut la Corporatiste. Je ne suis pas venue pour vous parler de lui. Le sénéchal votre frère m’a fait part de vos inquiétudes concernant votre travail.
— Oui, c’est ce dont je vous parlais, lui rappela Aliane avec une pointe d’embarras. Je dépends de Lorène, actuellement, mais si elle ne revient pas et que le théâtre ferme définitivement, je risque de ne plus avoir d’emploi et cela fait partie des conditions imposées par le tribunal pour me laisser tranquille. Un gage de probité, si vous voulez. »
Stanislas tiqua à cette information. Il scruta le Réverbère, où l’enveloppe était toujours cachée, avec un mauvais pressentiment.
« Parce qu’il vous suspectait d’être à la solde des Indociles, c’est ça ? Cette guerre, aussi… Nous vivons une époque pathétique ! déplora Wereck
— Et donc Alvare m’a incité à vous demander si vous auriez éventuellement des contacts, dans le Réseau, qui seraient intéressés pour travailler avec moi. Mes prestations scéniques ne sont certes pas très convaincantes mais il me semble avoir relevé quelques commentaires élogieux sur mes tenues, mon apparence, et… Bref, j’ai pensé que, peut-être, des couturiers de votre entourage, ou même des publicitaires, seraient intéressés pour...
— Franchement, Aliane, je m’excuse mais je trouve cela totalement honteux, répliqua Cornelia en ricanant. Déjà, cabarettiste, ce n’était pas glorieux, mais là… C’est à peine mieux ! Les autres fémines s’efforcent d’accéder enfin au devant de la scène et vous, vous vous complaisez dans ces professions de figurante ? Vous croyez que vous passerez pour plus respectable aux yeux du tribunal ? Et puis on voit que vous ne connaissez pas les homines de ce milieu. Les couturiers ne vous prendront pas, sous prétexte de vous trouver trop vieille ou que votre tour de poitrine ne colle pas à leurs standards, je les vois venir. Quant aux publicitaires, n’en parlons pas ! Si vous voulez qu’on vous réduise à un simple objet, un bout de viande, vous signez avec eux. Sans parler de votre réputation… Non, vraiment, si je peux vous éviter ça, je le ferai. »
Aliane avait pâli.
« Pourquoi ne pas venir travailler au Vivarium ? J’ai eu mon lot d’embarras avec les juges, moi aussi, je sais mais tout cela est terminé, à présent. Ces histoires ont fait mauvaise presse à ma manufacture, j’ai un mal terrible à recruter des ouvriers depuis. Je pourrais vous engager comme ovaliste, tiens ! Ce n’est pas un travail très difficile, vous verrez. En plus, le phalanstère offre des conditions de vie bien plus confortables que votre petit appartement pourri, ce sera beaucoup mieux pour vos enfants. Mon école a d’ailleurs bien plus de moyens que celle de la station-ville. Athanase y était scolarisé avant de poursuivre à l’Institut, il vous en dirait beaucoup de bien. J’ai tout mis en œuvre pour que lui et les enfants de mes employés y reçoivent une éducation de pointe afin de servir la Société à leur tour et le Vivarium surtout. Ce serait d’ailleurs une plus-value pour moi que d’avoir des hybrides comme Hortense et Stanislas parmi mes futures recrues, je suis sûre qu’ils auraient beaucoup de choses à apporter à mon industrie ! Peut-être même pourraient-ils y faire carrière ! »
Stanislas coula un regard inquiet vers sa mère quand celle-ci se tourna vers lui. Cette dernière lui désigna alors la bouilloire qui sifflait sur le feu et il se leva en silence pour éteindre.
« Nous avons un auditorium magnifique, aussi, je ne vous l’ai pas dit ? » poursuivait la patronne du Vivarium, de plus en plus enjouée. « Vous pourriez vous y produire de temps en temps, si le cœur vous en dit ! Pour ce que j’en sais, mes ouvriers vous apprécient beaucoup. Je suis sûre que cela leur ferait très plaisir et puis…
— C’est très gentil de votre part, la coupa abruptement Aliane. Je vais y réfléchir. »
Cornelia se rembrunit alors quelque peu mais accepta de lui laisser un délai de réflexion, tout en l’avertissant que sa situation personnelle ne le permettait pas vraiment. Ce faisant, elle déclara que ses affaires l’attendaient et prit congés sans avoir touché à son café. Restés seuls, mère et fils échangèrent un long regard jusqu’à reconnaître la voix d’Alvare, à l’entrée, qui échangeait des politesses avec Wereck. Au moins un qui boirait son café.
Tandis qu’elle partait accueillir son frère, Stanislas laissa là la tasse et la bouilloire, morose. Il s’empara du Réverbère et s’arrêta une dernière fois sur la photo en une. Malgré les commentaires de Cornelia, il ne savait trop quoi penser de l’individu qui s’avançait vers eux en première page du journal. C’était la deuxième fois qu’il le voyait à visage découvert, même si ce n’était qu’en photo. Avec son léger embonpoint et ses larges épaules, ses yeux clairs et placides, sa mise impeccable et ses joues imberbes, le professeur Aristide passait pour un sieur de la Société tout ce qu’il y avait de plus honnête. À l’école, les pères de ses camarades néantides avaient tous plus ou moins la même allure, la même élégance, le même air avenant, voire peut-être l’étaient-ils moins que lui. Un personnage très policé, donc. Trop, sans doute, pour être tout à fait digne de confiance, mais peut-être était-il le seul à pouvoir leur venir en aide, comme sa mère semblait le croire. Le catsid qui trottait d’ailleurs à ses pieds, et dont on ne distinguait que les yeux ronds sur une masse sombre et touffue, semblait arrivé à la même conclusion, avec son air interrogatif. Sans ouvrir le journal et comme Alvare entrait, Stanislas s’empressa d’ouvrir le poêle et de jeter la liasse dans le feu qui commençait à faiblir. Personne ici ne lisait le Réverbère, de toute façon.

Annotations
Versions