Il est 9h. J'attends mon bus pour aller travailler.

Il est rempli de gens, de visages endormis, de tasses à café à moitié pleines.

Mais mon attention reste figée sur ce jeune homme.

Brun, grand, les écouteurs vissés dans les oreilles, il fixe la fenêtre sans vraiment la regarder.

Malgré la foule autour de moi, je ne vois que lui.

Sur son visage, je lis quelque chose. Une forme de tristesse, un désarroi discret, une peur rentrée.

Je ne pourrais pas l’expliquer, mais je ressens ce qu’il ressent.

Une douleur sans mot, mais familière.

Le bus s’arrête, je descends.

Julie, ma collègue, m’attend devant l’entrée. Elle me regarde avec un petit froncement de sourcils.

"Ça va ?" me lance-t-elle.

Mon corps, mon esprit, mon cœur, tout en moi hurle non.

Mais ma bouche lâche un "oui" presque automatique.

Un "oui" pour faire semblant. Un "oui" pour tenir debout. Un de ces "oui" qu’on lance pour ne pas avoir à expliquer qu’on s’effondre un peu plus chaque jour.

Julie me sourit, rassurée. Elle ne pose pas plus de questions.

Elle ne voit rien. Ou peut-être qu’elle ne veut pas voir.

On entre dans les bureaux. Les néons blafards, le bruit des claviers, les rires feints des collègues... tout sonne faux ce matin. Plus que d’habitude.

J’ai l’impression de flotter dans un décor de théâtre.

Chacun connaît son texte, joue son rôle avec application.

Moi aussi.

Je souris quand il faut. Je ris aux blagues qu’on me lance. Je dis "bon courage" à ceux qui bâillent, "bon appétit" à midi.

Mais c’est mécanique.

À l’intérieur, je suis ailleurs.

Est-ce qu’on me voit… ou est-ce qu’on voit juste ce que je montre ?