Rêveries épistolaires - 1.3 - Aubierge

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Erestia, la 7 equos

Ô Chandra, mon prince

Que n’as-tu une armée pour venir me délivrer des griffes du monstre à qui l’on me mariera la 9 aedrini ?

Comment te décrire la profonde affliction dans laquelle je me trouve ?

J’ai tant à te raconter que je ne sais par où commencer.

Le plus simple est de respecter la chronologie des évènements.

Le soir précédent la quatrième nuit, le despote avait organisé un banquet au cours duquel il annonça que nos noces seraient célébrées le Jour de la Révélation d’Alwealda. Le marquis des céimeanna an thiar, ⁽¹⁾ le vieux Ros Ó Durcáin, prit la parole.

Je réalise que tu n’appartiens pas à ce monde, voici quelques éclaircissements :

Alwealda est notre dieu tout-puissant, le maître de tous. Il y aura bientôt mille trente-trois ans, six jours avant l’équinoxe d’automne, Torthred, le saint prophète émergea des eaux en brandissant un Tridacna gigas. Tous les habitants du village se précipitèrent pour voir le monstrueux coquillage. La déception qu’ils ressentirent en constatant qu’il était vide fut vite remplacée par l’émerveillement quand ils découvrirent les lettres profondément incluses dans la nacre. Ainsi furent révélés les préceptes de la foi...

Comme tous les peuples du gebærdstán gehealdendgeorn, ⁽²⁾ chaque année, nous commémorons ce jour.

Il y a une cinquantaine d’années, convaincus qu’il existait des terres au-delà des mers, le despote Eadwulf et l’inquisiteur Brictric ont décidé d’y propager la parole d’Alwealda. Ils ont armé vingt-cinq galères et mis le cap à l’ouest. Deux lunes plus tard, dix mille soldats de l’ordre de Torthred – dont trois mille chevaliers – et quatre mille chevaux débarquaient sur la côte du royaume de Shay. La cavalerie lourde inconnue des indigènes leur conféra un avantage décisif dans leur conquête. Suite aux premiers succès, trois navires regagnèrent þæt gebærdstán gehealdendgeorn. Six lunes après, lorsqu’arrivèrent les vaisseaux des colons, Eadwulf avait déjà assujetti la quasi-totalité de notre territoire actuel, et Brictric avait engagé la conversion des autochtones. Seul l’ouest de Shannon échappait à notre contrôle, Declán Ó Durcáin en était le maître.

Dix-huit ans plus tard, après les funérailles de Declán, son fils devint le chef du clan. Ros – alors âgé de dix-neuf ans – et ses hommes se mirent à harceler en permanence l’armée angle, ils menaient des raids éclair jusqu’à plus de vingt lieues à l’arrière nos lignes. Après chaque incursion, ils se retranchaient dans son inexpugnable citadelle de Tulou. Ils laissaient derrière eux des chevaliers de la foi revêtus de leurs surcots, sans manches, ornés du T – symbole de leur ordre – se balancer au bout d’une corde.

Eadwulf – le père de Niall – chef de guerre, mais aussi stratège, prit conscience, après quatre ans de guérilla, que seul un traité pouvait mettre fin aux nuisances causées par les Ó Durcáin.

Je passe sur les péripéties qui sont, pour toi, sans intérêt. Pour obtenir la paix :
Eadwulf conféra le titre de marquis à Ros et lui attribua les terres des céimeanna an thiar – territoires que dans les faits, ce dernier contrôlait déjà.
Il concéda la liberté de culte dans le marquisat – condition sine qua non posée par Ros.
Pour sceller l’accord, on maria Rimilda – la jeune sœur d’Eadwulf – à Ros.

C’est donc en qualité d’oncle par alliance que Ros – arrivé à Erestia le matin même avec quatre compagnons – fut convié au banquet donné pour annoncer notre mariage.

Aussi cela fit l’effet d’un coup de tonnerre quand, au moment des toasts, il déclara :

« Niall, si je suis ici, c’est pour vous sommer de mettre fin à votre politique d’extermination des mères et des herboristes qui ont contribué à sauver leurs génitures, à cesser d’envoyer leurs maris aux galères ou dans les mines de sel. Il est clair que votre but est de voler leurs enfants pour les placer dans les familles angles dont la bigoterie a condamné les leurs. »

Gernebern s’est écrié : « Hérésie ! »

Ros eut le temps d’ajouter : « que faites-vous des trop âgés pour accepter de nouveaux parents ? »

Niall a ordonné : « Gardes, saisissez-vous de ces traitres impies ! »

S’ensuivit une échauffourée au cours de laquelle périrent cinq gardes et trois des affidés de Ros.

Le soir même, alors que mes geôlières s’étaient retirées, je m’installais auprès de la fenêtre quand j’entendis une clef tourner dans une serrure et le pêne claquer, puis la séquence sonore se répéta une seconde et une troisième fois. La porte s’ouvrit, le despote pénétra dans la pièce, avança vers moi, empoigna mes cheveux, me jeta à plat ventre sur le lit. Tenant toujours ma chevelure d’une main, de l’autre, il retroussa ma chemise de nuit, écarta ses culottes et m’empala sauvagement. Il me déchira les entrailles, je crus que j’allais mourir, mais cet espoir fut déçu. Après son acte contre nature, il me laissa pantelante et en sang. En partant, il me lança : « Tu as le cul plus étroit que celui de ton frère. Finalement, tu me seras utile, femelle ! »

J’ai dû m’évanouir, car au matin, ce sont ses sbiresses qui m’ont éveillée. Hypocritement, elles m’étourdirent de stupidités sur la perte de ma virginité, la vaillance de mon futur époux, sa compréhensible impatience. M’assurant que je n’avais pas à m’inquiéter qu’elles trouveraient du sang pour les draps de ma nuit de noces, comme si elles ne voyaient pas d’où j’avais saigné.

Pendant qu’elles débitaient leurs inepties, j’ai tenté de rédiger une lettre, mais je n’en ai pas eu la force.

Je n’en peux plus de relater toutes ces horreurs. Je continuerai plus tard.

Je sais, cela paraît stupide d’imaginer que j’entretiens une correspondance avec toi, alors qu’il n’en est rien.

Mais installée auprès de la fenêtre, je serre ta briolette dans la paume de ma main, mon regard se porte sur toi, mon bel astre nocturne, et je me prends à rêver que tu perçois ce que je me figure t’écrire.

Je t’aime ♥

¤¤¤

Notes :
1) Céimeanna an thiar ➢ marches occidentales – Gaélique irlandais.

2) þæt gebærdstán gehealdendgeorn ➢ le contre continent – Vieil anglais.

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