Rêveries épistolaires - 1.4 - Aubierge

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Erestia, la 9 equos

Mon doux amour,

Ton ami Biriya ⁽¹⁾ pourrait-il tenter de communiquer avec le despote comme il le fit avec mon frère ?

Bah ! Il est déjà fou, s’il l’était davantage, sûrement serait-il encore plus violent et cruel.

Il prend du plaisir à voir la souffrance, à entendre les cris de détresse. Comment une telle abomination, car il en est une, peut-elle pervertir tout un peuple ?

Hier matin mes caméristes m’ont apprêtée pour assister à l’exécution de Ros Ó Durcáin. Lorsque je leur ai signifié que je ne m’y rendrais pas, la duègne m’a répondu que le despote me voulait à son côté sur la tribune d’honneur, point.

Je n’imaginais pas que þæt Brerd lōg⁽²⁾ puisse accueillir autant de monde, pourtant la presse était telle que nombre de personnes restaient bloquées dans les voies adjacentes. Hommes, femmes, enfants, habitants de la ville et des environs, tous étaient là ; à l’exception des Gaëls, jetés dans les geôles ou en fuite.

Lorsque j’arrivais au bras de Niall, nous fûmes acclamés. Il régnait une humeur festive, les deux tavernes établies sur la place ainsi que les gargotes et estaminets des rues avoisinantes avaient installé des étals sur lesquels ils proposaient galettes, fromages, fruits, pain frotté, hareng fumé, piquette, clairet, hypocras, cervoise, cidre et malvoisie.

Gernebern, le bourreau et ses assistants furent ovationnés lorsqu’ils apparurent sur l’estrade qui trônait au milieu de l’aire.

La charrette, qui amena Ros et son compagnon au pied de l’échafaud, fendit la foule sous une pluie de trognons.

Malgré invectives et quolibets, ce fut tête haute que Ros monta les marches qui le menaient au supplice. Eachann Mac Cana était plus mort que vif quand deux aides-bourreaux le hissèrent sur le plancher.

Gernebern énuméra une kyrielle d’accusations allant de l’hérésie au meurtre de gardien de la foi – chacune étant ponctuée par les huées des bonnes gens –, avant d’énoncer la sentence : « par ces motifs le félon Eachann Mac Cana sera roué vif ! »

Par je ne sais quel maléfice, ces paroles provoquèrent un déferlement de joie qui traversa l’assistance. Comment de braves gens – car je ne doute pas que les Erestians soient aussi bons, pieux et charitables que les Vultyens – peuvent-ils se transformer en cette masse tentaculaire, haineuse, assoiffée de sang, agitée de soubresauts à chaque impact ?

« L’âme du spectateur est purifiée par le châtiment du coupable », disent les philosophes. Mais qu’en est-il lorsque le condamné est innocent ?

Mon discours est décousu, mais l’horreur que je ressens est telle ! Je dois tout te dire, à toi qui dans ta plénitude illumines cette nuit comme l’étincelle de vie qui grandit, peut-être, en moi. Je ne sais si je dois l’espérer ou le redouter. Il y a une lune que je me suis donnée à toi et pour sa part, la nature ne m’a pas fait saigner depuis. Je suis, pardon, j’étais régulièrement réglée à la nouvelle lune. Je rêve de mettre ton enfant au monde, mais Niall me tuera avant. Peut-être mon cycle est-il perturbé par l’angoisse qui m’étreint depuis qu’à Alastyn ce monstre a révélé son intention de m’épouser.

Les horreurs qu’il me fait subir et celles auxquelles je suis contrainte d’assister me chamboulent.

Hier, le bruit mat de la barre de fer frappant la chair, les craquements d’os brisés me firent défaillir. Ce sont les gifles de Niall qui mirent fin à ma perte de connaissance. Les premiers mots que j’entendis furent : « Vous voyez ! Nul besoin de vos sels, vous pouvez les ranger. »

L’impitoyable marée humaine avide de cris et de pleurs raillait le bourreau incapable de tirer plus que des gémissements d’un malheureux qui, marchant depuis la veille sur le chemin de la mort, toquait maintenant à sa porte.

Le mécontentement du public était tel que d’un geste le despote ordonna à Gernebern d’enchaîner. Les membres et le bassin de Mac Cana étaient rompus chacun en trois morceaux, conformément à la loi, lorsque l’inquisiteur mit fin au bris des côtes. Puis ce fut au tour de Ros Ó Durcáin d’être accusé des pires vilenies.

Tu dois savoir que la veille cinq hommes s’étaient jetés sur lui pour s’en emparer sans le blesser gravement. Trois d’entre eux avaient péri de ses mains, mais il avait finalement été capturé, ne souffrant que de contusions. Aussi comparaissait-il bâillonné avec autour du cou un carcan dont chaque extrémité était reliée par une chaîne aux entraves de ses chevilles.

« Et pour avoir mis en péril l’âme de milliers d’enfants innocents et les forçant à boire des potions maléfiques, l’infâme Ros Ó Durcáin est condamné à être scarifié, à ce que ses chairs soient brûlées et enfin à être écartelé ! » conclut Gernebern.

Des vivats retentirent, les gens exultaient, beaucoup se mirent à danser sur place. Stupéfaite de ce comportement, je parcourus la multitude du regard dans l’espoir d’apercevoir de la consternation. Mais que nenni, l’excitation était si intense que sur le bord ouest de þæt Brerd log – celui qui lui donne son nom –, des personnes, bousculées, tombèrent dans le fleuve. Nul ne se porta à leur secours.

Je ne m’appesantirais point sur le sort du malheureux Gaël. On lui avait ôté son bâillon afin que tous puissent se repaître de ses cris. Tandis que le bourreau entaillait ses chairs – il pratiqua une quarantaine d’incisions en prenant grand soin de ne point provoquer sa mort –, Ros clamait des mots, rendus inaudibles par les beuglements de la populace. Mais alors que l’on versait du plomb fondu dans les sillons fouis dans ses membres et de l’huile bouillante dans ceux creusés dans son tronc, il hurla de douleur. L’enthousiasme de la foultitude atteignit son paroxysme, crus-je. Applaudissements, hourras, félicitations et éloges étaient adressés au becquillard. ⁽³⁾

Niall était en transe, il jouissait de la souffrance infligée, ses doigts crispés broyaient mon avant-bras, j’ai tenté de me soustraire à son emprise avant qu’il ne me fracture le poignet. Il me foudroya du regard, néanmoins la pression se fit moins forte, sans qu’il aille jusqu’à me lâcher. Malheureusement, bien vite, l’étreinte suivit son exaltation, plus il jubilait plus elle se resserrait. Il m’interdit de fermer les yeux lorsqu’on enfila sur chacun des bras et jambes nus du supplicié une pièce de cuir – ressemblant à un licol auquel on aurait ajouté un montant reliant la têtière à la muserolle en passant sur le chanfrein.

Alors qu’arrivaient quatre chevaux de trait, caparaçonnés aux couleurs des chevaliers de la foi, le despote m’expliqua avec délectation : « le rôle ces cæfester est d’empêcher les articulations mineures de se déchirer, il est important que ce soient les membres entiers qui se détachent du tronc pour que chacun et chacune – il insista sur ce mot – sache ce qu’il en coûte de s’opposer à moi. »

Je défaillis de nouveau, avant… tu comprends.

Cette fois il fallut les sels pour me ramener dans cette abominable réalité. Je gardais les yeux clos. Le despote, qui ne m’avait jamais lâchée, se leva, il me traîna littéralement derrière lui, marchant à grands pas, pressé, jusqu’à ma chambre. Là, il me jeta sur le lit et usa de moi comme lors de la quatrième nuit. En me pilonnant, il éructait par bribes : « Ha ! C’était bon… de le voir démembré… Voir son sang jaillir… comme mon foutre… jaillira en toi… Salaud de Gaël… je bandais comme un âne… J’avais envie de t’⁎⁎⁎⁎⁎⁎⁎… sur place… pendant qu’il crevait… En morceaux, qu’il a fini… Ha ! t’es… » À ces propos je manquais tomber en pâmoison, une fois de plus, mais malheureusement la violence de ses coups de boutoir me maintenait consciente. S’ensuivit une logorrhée de vulgarité à mon égard et celui de Ros. Jusqu’à ce qu’il se soit soulagé, à deux reprises.

À la nuit tombée, il revint me prendre de même manière.

Va-t-il se servir ainsi de moi chaque fois qu’il sera réjoui ou en colère ?

Je t’aime, je veux mourir, mais je ne peux tuer ce doute, cet espoir. Alwealda, que lui arriverait-il ?

❤️

¤¤¤

Notes :

1) Il s’agit bien du compagnon de voyage de Chandra, celui qu’il nomme : भेड़िया (Translittération IAST : bheḍạiyā. Translittéré “Bhediya” dans ce récit), que Aubierge écrit comme il se prononce.

Lorsqu’en 2016, il pénétra pour la première fois dans ma tête pour me conter son histoire. Je dus trouver comment écrire ce nom : le mot désignant “loup” en hindi, je suis allé au plus facile : Google.

Depuis j’ai approfondi la question et diversifié mes sources. Hormis pour Chandra, Chaitali, Dalaja et Bhediya, dont j’avais utilisé ces graphies pendant plus d’un an, j’utilise depuis 2017 la translittération IAST, car les graphies et les prononciations varient selon les sources. Exemple, pour भेड़िया :

Shabdkosh ➢ translittération : bheriya ; prononciation bhēṛiyā, bheriyaa :
https://www.shabdkosh.com/search-dictionary?lc=hi&sl=en&tl=hi&e=भेड़िया

Dictionaric ➢ translittération : bhēṛiyā ; pas de prononciation :
http://www.dictionaric.com/dictionary/hindi/french/भेड़िया

Bolti ➢ pas de translittération ; prononciation : https://www.boltidictionary.com/fr/word/111941

Google ➢ translittération bhediya ; prononciation :
https://translate.google.fr/?hl=fr&tab=wT&sl=auto&tl=fr&text=भेड़िया&op=translate

Particularité de Google l’absence du point souscrit sous le “d” prononcé “r”. Alors que c’est le point souscrit sous les akṣaroṃ ड़ et ढ़ qui correspondent à ḍ et ḍh transcrit les sons ṛ ṛh.

अक्षरों akṣaroṃ ➢ les sons-lettres, lettres, caractères. Singulier ➢ अक्षर akṣara.

Je saisis l’occasion pour attirer votre attention sur les particularités du pluriel hindi.

दो अक्षर do akṣara ➢ deux lettres.
चौबीस अक्षर caubīsa akṣara ➢ vingt-quatre lettres.
अक्षरों akṣaroṃ ➢ les lettres.

2) þæt Brerd lōg ➢ la place de grève – Vieil anglais.

3) Argot : Béquillard (Sue, Les Mystères de Paris, t. 3, 1842-43, p. 26) ou becquillard (Hugo, Les Misérables, t. 2, p. 199), béquilleur subst. masc. (A. Bruant, Dict. fr.-arg., 1901, p. 71), “Bourreau”.

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