La faille sous les étoiles
Il y avait quelque chose d'étrangement apaisant dans le silence d'une station minière en sommeil. Un silence rempli de grognements mécaniques, de soupirs métalliques, et du ronronnement continu des générateurs, comme le souffle d’une créature vivante. Pour Naïa Kael, quatorze ans, ce vacarme permanent était devenu la mélodie de son monde.
Elle se trouvait à plus de trois cents mètres sous la surface de Vexa-3, une planète morte où la vie n’existait que sous des dômes artificiels, dans des galeries de forage creusées à la hâte par des machines pilotées à distance. Elle travaillait ici depuis ses dix ans. Officiellement, elle était "assistante de maintenance minière de niveau 2". Officieusement, elle faisait le sale boulot que personne d’autre ne voulait faire.
Son harnais grinça alors qu’elle s’abaissait dans la galerie 6B, un conduit abandonné depuis plusieurs cycles. Officiellement fermé pour "risques géologiques". Officieusement, Naïa savait que ça voulait dire que plus personne ne pensait qu’il y avait quoi que ce soit d’utile à en tirer.
Mais Naïa n’était pas là pour les minéraux.
Depuis deux semaines, elle sentait que quelque chose l’appelait. Une sensation bizarre dans ses os, un genre de picotement sous la peau. Elle avait même rêvé de cet endroit — de cette section précise de la galerie — sans savoir pourquoi. Et hier, dans le silence de son petit dortoir, la voix était revenue.
Pas une vraie voix, non. Pas des mots. Une impression. Une pulsation sourde, rythmée comme un battement de cœur.
Elle ne comprenait pas. Mais elle avait appris à suivre son instinct.
La galerie était plongée dans une semi-obscurité, éclairée seulement par les lueurs bleutées de son projecteur dorsal et la lumière pâle de sa lampe frontale. La poussière flottait comme des particules d'étoiles en suspension dans le vide.
Elle marcha lentement, chaque pas résonnant contre les parois métalliques de la galerie.
Au bout de vingt mètres, elle s’arrêta net.
Quelque chose brillait.
Un éclat, faible, presque imperceptible, dans la pierre. Elle s’agenouilla, frotta doucement la paroi. Une veine translucide serpentait dans la roche, comme une cicatrice de lumière. Ce n’était pas un minéral connu. Elle aurait reconnu la lueur du corium, la teinte verte du trilithe ou le miroitement doré du karbium. Mais ça… c’était différent.
Elle sonda la roche avec son scanner portatif. Aucun résultat. Matière inconnue.
Puis, comme si la paroi réagissait à sa présence, une fissure se forma. Lentement. Organique.
Naïa recula d’un bond. Le sol trembla sous ses pieds. De petites pierres roulèrent sur le sol métallique.
— Qu’est-ce que…
Un morceau de roche se détacha, révélant une cavité cachée. Au centre, suspendu dans le vide comme s’il défiait la gravité, flottait un cristal. Parfaitement taillé, en forme de prisme, pulsant d’une lumière douce et bleutée. Il était… vivant.
La bouche sèche, Naïa tendit la main. Le cristal vibra doucement.
Quand sa paume le frôla, une onde la traversa. Elle eut l’impression que son cœur s’arrêtait un instant. Puis, la galerie disparut.
Elle se retrouva suspendue dans l’espace.
Un espace impossible, fait de constellations mouvantes, de systèmes solaires reliés par des fils d’énergie, comme les nervures d’un organisme géant. Elle flottait au milieu d’une carte galactique en mouvement, chaque étoile pulsant comme un nœud vivant.
Et puis, au centre, une étoile s’assombrit. Noire, menaçante.
Une fissure rouge la traversa, comme une plaie.
Autour, les étoiles s’éteignirent une à une. Lentement. Comme si une infection invisible se propageait.
Naïa cria sans bruit. Puis la vision s’évanouit.
Elle rouvrit les yeux, haletante, à nouveau dans la galerie. Le cristal flottait toujours devant elle. Mais cette fois, il projetait une carte holographique, en rotation lente, affichant des coordonnées qu’elle ne comprenait pas. Et un mot, au centre, dans une langue qu’elle ne connaissait pas… mais qu’elle comprenait pourtant :
Héritière détectée. Protocole d’éveil enclenché.
Elle recula, abasourdie.
— Héritière de quoi ?!
Le sol trembla à nouveau. Cette fois, plus fort. Elle sentit la vibration remonter par ses bottes, faire tressauter sa cage thoracique.
Soudain, une lumière rouge s’alluma derrière elle. Un bourdonnement métallique se rapprochait.
Un drone de sécurité.
Pas un modèle de surveillance classique. Celui-là était noir, ancien, et portait le sigle d’un protocole désactivé depuis des années : Section A-0 : Surveillance technologique. Même Naïa n’en avait vu qu’un ou deux exemplaires en photos.
Le drone s’arrêta devant elle. Sa lumière la scanna de haut en bas.
— OBJET NON AUTORISÉ DÉTECTÉ. INFRACTION DE NIVEAU 3.
VEUILLEZ REMETTRE L’OBJET IMMÉDIATEMENT. COMPTE À REBOURS INITIÉ.
10… 9…
Naïa n’attendit pas le "8". Elle attrapa le cristal, le fourra dans la poche intérieure de sa veste et courut.
Elle dévala la galerie comme si sa vie en dépendait — parce qu’elle en avait l’intuition soudaine et irréfutable : c’était le cas.
Elle se jeta dans un conduit de ventilation, referma la trappe derrière elle. Le drone passa, trop large pour la suivre.
Son souffle était court. Sa poitrine douloureuse. Mais dans l’obscurité du conduit, le cristal brillait encore. Et cette fois, la carte s’élargit.
Une voix s’éleva. Une voix ancienne, douce et grave.
— Si tu entends ceci… alors l’éveil a commencé.
Elle leva les yeux, figée.
— Les héritiers ont été oubliés. Les étoiles ont été dispersées. Mais le savoir dort toujours. Et il t’appelle.
Un déclic métallique. Au fond de la station, quelque chose venait de s’activer. Lentement. Massivement.
Et loin de là, dans l’obscurité d’un vaisseau oublié en orbite, des yeux s’ouvrirent.
Naïa, elle, ne bougeait plus.
Le cristal pulsait contre sa poitrine. Et dans le silence, une pensée germait, douce et effrayante à la fois :
Et si ce n’était pas elle qui l’avait trouvé… mais lui qui l’avait appelée ?
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