Jeudi - Marie
Ça fait une heure que je suis levée, et je ne fais que me ronger les ongles. J'ai enfin pris le plume pour écrire un peu, mais je me dis à quoi bon ? Je me sens coupable, je sais très bien que je n'aurais pas dû. C'était plus fort que moi. Et il risquait forcément d'y avoir un accident. Mais puis, quel con il fait, Jacques... Je ne devrais pas prendre ainsi, mais c'est vrai, jamais il faut aller sur le hors-piste, on entend parler tout le temps aux infos de jeunes qui ont trop été téméraires et qui sont morts dans un avalanche. Je ressasse les évènements sans arrêter, sans savoir quoi faire... Quel con... Quelle conne...
Les policiers m'ont appris qu'il n'y avait eu aucun avalanche, qu'il avait donc dû seulement tomber et blesser sans pouvoir rejoindre les pistes. Et sans doute il a laissé échapper le portable, peut-être il s'est cassé et c'est pour ça que je tombais sur messagerie. Leurs recherches n'ont rien donné. On peut que attendre. Je peux écrire. Mais je ne sais pas trop vraiment quoi écrire, et je me dis, de toute façon, lui ne pourra pas faire sa partie maintenant... Enfin, je devrais penser que peut-être, garder espoir... Mais, je me dis, il y a peu de chances, maintenant... Il aurait passé deux nuits dehors, sans ressources... Je ne sais pas...
Les autres m'ont rejointe progressivement, ils ont un peu plus dormi que moi. On a passé la journée à rien faire. On était fatigués. Je ne sais pas quoi écrire.
Mathieu lance régulièrement des regards furtifs. Je l'évite. Je ne peux pas me permettre... Il a laissé des sous-entendus parfois pendant la semaine... Lui et moi sommes faits du même bois. Nous avons perdu l'innocence, il était longtemps, sans espoir de la retrouver. Le monde est différent à nous. Il est comme perdu.
Je me souviens quand j'étais petite, je craquais des allumettes... C'était facile, mais elles étaient si fragiles... C'est si facile de briser les choses. Je me souviens, un jour, avec un homme, j'ai pensé, je suis comme une allumette...
Il y a un piano dans ce chalet. À un moment, Lise a ouvert le capot pour jouer. Personne a dit rien. On l'a regardée, on l'a écoutée. Elle joue bien... Charlotte, après un long temps d'hésitation, est venue l'accompagner.
Enfin, dans le soir seulement, le téléphone a sonné. Je l'ai pris vif et j'ai dit « Allô ! » très fort, en croisant mes doigts. Et là, j'ai été abasourdie... J'ai écouté jusqu'au bout et j'ai raccroché. J'ai pleuré, je crois, un peu. J'ai allé voir les autres. Je leur ai dit : « On l'a retrouvé. » Sans ajouter rien... Ils m'ont suivie dans la voiture et on a fait la route jusqu'à l'hôpital. J'ai été à l'accueil et on m'a indiqué la direction.
- Je suis navré, pour le jeune homme nous n'avons rien pu faire. Mais la fillette a pu être sauvée.
- Quelle fillette ?
- Nous les avons trouvés tous les deux ensemble.
- Je ne vois pas qui ça peut être.
Et nous avons rencontré une dame à peu près a mon âge, qui m'a spontanément serrée dans les bras. Elle m'a remerciée et a remercié Jacques. Il avait donné une épaisseur à sa fille, et probablement toute sa nourriture. Vraisemblablement, elle lui devait la vie. Je n'en sus pas plus.
Je ne sus pas non plus pourquoi j'avais reçu l'information si tard.
Tout cela restera un énigme...
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