Chapitre 16

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Le portable d'Ace vibra sur le bureau. Le jeune homme quitta un instant des yeux la page d'un manuel de droit de la famille qu'il avait emprunté à la bibliothèque.


De : Tyler

7:26 pm : Ace, j'ai besoin de te parler, de t'expliquer. Je suis désolé pour ce que j'ai fait. Réponds à ce message. S'il te plaît.


Son visage se crispa et il lança le téléphone qui atterrit sur son lit. Il tenta de se replonger à nouveau dans ses cours mais c'était peine perdue : les pensées noires qu'il avait réussi à enfermer tant bien que mal dans une cage de son cerveau s'étaient échappées. Il était à nouveau assailli du souvenir de l'autre soir. En vérité, il n'avait fait que le hanter, attisant sa colère qui brûlait bien mieux que n'importe quel feu. Il avait tout fait pour y échapper ces derniers jours. Il avait tenté d'extérioriser en passant des heures à malmener les malheureux sacs de frappe de la salle, à soulever des charges toujours plus lourdes, jusqu'à ce que son corps le supplie de s'arrêter. Lorsqu'il ne s'entraînait pas, il se plongeait dans ses cours jusqu'à ce qu'il s'écroule de fatigue sur son bureau. Ce n'est que dans ces moments-là qu'il parvenait à grappiller quelques heures de sommeil réparateur.

Mais bien plus qu'il n'était en colère contre le blond, c'était contre lui que se tournait sa fureur. Quand il fermait les yeux, il revoyait le visage de Tyler tel qu'il l'avait vu lorsqu'ils étaient sur le balcon, abrutis par l'alcool : ses yeux bleus, ses cheveux blonds qu'il n'avait pas réussi à se retenir de toucher, ses lèvres roses.

Ace se prit la tête entre les mains et retint un cri de colère. C'était inévitable : des sensations qu'il ne voulait pas ressentir, qu'il ne pouvait pas ressentir, refaisaient surface. Même dans son sommeil.

Tyler l'avait embrassé. Comme s'il cela ne suffisait pas, des vagues de chaleur avaient réchauffé son bas-ventre, sa poitrine s'était serré. Le pire dans tout ça, c'est qu'il n'arrivait pas à oublier qu'il lui avait rendu son baiser, qu'il... qu'il avait frôlé de ses doigts la peau fine de ses hanches.

— Hijas de puta, callaos !

Il se frappa la tête, mais ses pensées ne l'écoutèrent pas. Elles ne cessaient pas leur manège, le torturant sans cesse. Il n'en pouvait plus.

La porte de sa chambre s'ouvrit brusquement. Ace releva le visage.

— J'ai préparé le dîner, tu veux venir manger ?

Andreï se tenait à l'entrée. Il parcourut rapidement des yeux la chambre de son ami en attendant sa réponse, elle était dans le même état que la veille : des habits traînaient par terre, son bureau avait disparu sous une montagne de bouquins ouverts et de feuilles volantes.

— Vengo en un momento..

Le Russe hocha la tête et tourna les talons, laissant la porte ouverte. Ace comprit le message, il se leva aussitôt pour le rejoindre.

Rejoignant la cuisine, il dressa la table et s'assit sur un tabouret. Ils commencèrent à manger en silence, le raclement des couverts sur les assiettes comme seule compagnie, jusqu'à ce qu'Andreï ne parvienne plus à cacher son inquiétude.

— Ace, tu ne penses pas qu'on devrait parler de ce qui ne va pas ? Tu es... bizarre depuis la soirée de Tyler.

— Tout va bien, Andreï.

Son colocataire lui lança un regard qui en dit long.

— Je t'assure, ça va, juste un peu fatigué. (Il se racla la gorge) Tu avances dans ton projet de fin d'année ?

— Mon idée de départ était de peindre une nature morte, commença son ami sans être dupe, mais en discutant avec d'autres étudiants, je me suis rendu compte que pas mal de personnes prévoyaient d'en faire. Il faut que j'arrive à me démarquer mais je sèche un peu. j'aimerais quelque chose d'osé, qui sorte de l'ordinaire sans être choquant, tu vois....

Ace hocha la tête. Il fouilla sa mémoire à la recherche des rares notions d'arts qu'il détenait.

— Tu pourrais peindre un paysage ? tenta-t-il.

— Trop classique.

— Un portrait ?

— De qui ? Et ce n'est pas aussi marquant.

— Une peinture d'histoire ? Tu sais, une guerre ou..

Il s'arrêta devant l'air de son ami.

— C'est trop dur ! Je ne suis pas Eugène Delacroix. Le jury nous a donné carte blanche mais ce n'est pas pour autant que je peux faire n'importe quoi. Mais je suis flatté que tu me penses capable de relever un tel défi.

Les lèvres d'Ace s'étirèrent dans un pauvre sourire.

— Tu as encore un peu de temps devant toi pour te décider.

— C'est vrai. Mais plus vite je trouverai, mieux ce sera.

— J'ai confiance en toi, tu trouveras quelque chose de super, le réconforta Ace.

Andreï haussa les épaules, la bouche pleine de spaghettis. Il avait intérêt s'il ne voulait pas retaper son année.


XXX


Ace entra à reculons dans les locaux de la faculté. Il priait tous les jours de ne pas tomber sur Tyler. Et jusque là, il avait eu de la chance. C'était comme si le blond s'était volatilisé, qu'il avait même quitté l'établissement. L'Espagnol savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il soit obligé de le revoir mais le, plus tard sera le mieux ; il ne savait pas comment il allait réagir lorsque cela arrivera. Il ne faisait que reculer pour mieux sauter.

Pour l'heure, un autre problème se dressait devant lui. Il aperçut au loin Matthew et Abby en pleine discussion avec des étudiants de leur promotion. À la seconde où Ace s'avança dans le couloir, Abby tourna la tête dans sa direction. Ses yeux le verrouillèrent et son visage se durcit. Elle tira Matthew par le pan de sa veste et après avoir marmonné de vagues excuses, elle le traîna derrière elle jusqu'à Ace.

Alors qu'ils arrivaient à sa hauteur, leur expression changea du tout au tout. Abby baissa les yeux et se tritura les doigts. Ace jeta un coup d'œil à Matthew et haussa les épaules.

— S'il te plaît, ne te fâche pas. J'ai tiré les vers du nez de Morgan et tu sais bien qu'il allait tout lâcher à un moment.

— De quoi tu parles, Abby ?

— On sait ce qu'il s'est passé à la soirée... entre Tyler et toi.

— Génial.

Ace grinça des dents.

— En même temps, tu ne voulais rien nous dire ! Je t'ai vu quitter la soirée sans même nous saluer et tu as refusé de nous dire la vérité de toute la semaine. On n'est pas cons, on voyait bien qu'il y avait quelque chose.

— Tu aurais pu nous en parler, intervint Matthew d'une voix douce.

— Pour que vous sautiez de joie à l'idée qu'Abby ait eu raison ? railla Ace.

— Ce n'est pas...

— Vous savez quoi, je ne veux pas en parler, ni voir la gueule de ce connard.

— Tu exagères un peu, tu ne trouves pas ?

— Et tu as un mémoire à faire avec lui, ajouta Matthew.

— Tant pis, on le fera chacun de son côté, ou je ne sais pas ! s'exclama Ace d'une voix dure.

— Tu ne pourras pas l'éviter indéfiniment.

— Il vaut mieux pour lui que je ne le revois pas de si tôt, souffla l'Espagnol, la menace à peine voilée.

Abby et Matthew levèrent les yeux au ciel, épuisés par la rancune de leur ami.

La prémonition d'Abby devint la malédiction d'Ace.

Malédiction qui ne tarda pas à le frapper de plein fouet, telle la volonté d'un dieu quelconque.


À la fin des cours, les trois amis prirent le temps de discuter sur le perron de la faculté. Non par réel plaisir, mais par nécessité : Matthew leur réexpliquait le cours de droit administratif auquel ils venaient pourtant d'assister. Le jeune homme était le seul trio à comprendre cette matière, devenue la bête noire des deux autres dès les premières heures. Bien trop théoriques et complexes, les notions s'empêtraient dans l'esprit d'Ace, formant un nœud dont il n'arrivait pas à se défaire.

Alors que Matthew était en train de leur vanter l'importance du Code des règlements fédéraux, il s'interrompit brutalement. Ace et Abby échangèrent un regard ; il était rare que leur ami se taise de lui-même lorsqu'il faisait l'éloge de sa matière préférée.

— Les gars, je crois que je vois Tyler là-bas.

Il jeta un coup d'œil à Abby mais la jeune femme ne fut pas assez rapide. Ace avait relevé la tête dès qu'il avait entendu le prénom de son némésis, croisant par la même occasion son regard azur. Sa mâchoire se crispa, il serra les poings sous l'afflux de sa colère qui fit bouillir son sang. Son cerveau analysa le blondinet, et il nota inconsciemment que lui aussi, avait dû passer des jours affreux. Son charme enjôleur avait fané, son sourire narquois avait disparu de ses lèvres, remplacé par des yeux pochés, sa peau si blanche qu'on croirait qu'il était malade.

Les souvenirs de la soirée remontèrent à la surface. Tyler qui lui parlait, Tyler qui le regardait danser, Tyler qui le rejoignait sur le balcon pour partager une cigarette, Tyler qui l'embrassait.

La scène se passa si vite qu'Abby et Matthew ne purent rien faire retenir Ace. Ils assistèrent, impuissants. Ne se contrôlant plus, Ace se dirigea droit vers sur lui. Arrivé à sa hauteur, il leva la main.

Tyler chancela sous le coup. Il porta la main à l'endroit où Ace l'avait frappé, juste sous l'œil.

Hébété, il affronta le regard assassin de l'Espagnol, qui brûlait d'une flamme vengeresse. Blessé dans son amour propre, meurtri dans sa chair, il ne mit pas longtemps à rétorquer : il frappa Ace dans le creux de l'estomac, qui tituba.

— Putain de merde, Ace !

Abby se précipita pour s'interposer entre les deux hommes tandis que Matthew retenait les bras de leur ami.

— Lâche-moi !

Il se débattit comme un beau diable mais Matthew tint bon malgré tout. Comment Tyler avait-il pu le frapper ? Il n'avait eu ce qu'il méritait, cet hijo de puta. Son ventre le lançait, ce qui ne faisait qu'accentuer sa fureur.

Dans le camp adverse, la situation était comparable. Morgan était intervenu, trop tard malgré lui, et barrer de son corps le chemin de Tyler.

— Vas-y, viens finir ce que t'as commencé ! éructa Tyler.

— Ferme-là, Ty, tu sais très bien comment ça va se finir. J'ai pas envie de t'accompagner à l'hosto, grogna Morgan en le repoussant.

Lorsqu'enfin, il réussit à l'éloigner, il tourna la tête et croisa le regard d'Ace. Il tenta de sourire pour la rassurer, sans réel succès. Cette altercation risquait de marquer les prémices de leur relation. Ni l'une ni l'autre ne voulait confronter leur amitié et leur relation.

— Qu'est-ce que vous regardez comme ça ? s'écria Matthew d'une voix forte, aux quelques curieux qui s'étaient approchés. Y'a rien à voir, le spectacle est terminé.

Lui qui n'élevait jamais la voix, semblait avoir pris les choses en main. Tant mieux, Abby était désemparée, elle détestait la violence.

Son ami entraîna Ace plus loin, qui avait enfin cessé de se débattre.

— C'est bon, lâchez-moi.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris bon sang ? Tu crois que c'est normal de se battre ? Vous avez quel âge, putain.

— Fous-moi la paix, Matthew, rétorqua Ace, hargneux.

Le jeune homme se planta devant lui, les bras croisés sur sa poitrine. Ses yeux châtains étaient durs, derrière ses verres.

— Non, je ne vais pas te foutre la paix. Tu sais ce qu'il va se passer si jamais il porte plainte ? Tu pensé à ton père s'il apprenait que t'as été viré de la fac ? Je ne sais pas ce qu'il se passe dans ta tête, Ace, mais tu commences à déconner grave. Tu ne veux pas nous en parler, soit. Mais tu ferais bien de régler ton problème très vite.

— C'est bon, épargne-moi ta leçon de morale, railla l'Espagnol. J'en ai rien à foutre de ce que tu me dis. Si t'es pas content, t'as qu'à dégager.

Ace s'était redressé et toisait maintenant son ami. Mais nullement impressionné, Matthew soutenait son regard sans ciller.

— Les gars, vous n'allez pas vous y mettre aussi, souffla Abby en s'asseyant sur le muret à côté. Je n'ai pas la force de vous séparer alors si vous vous battez vous aussi, faites-le loin de moi.

Elle passa une main dans ses cheveux pour rabattre les mèches folles qui lui tombaient devant les yeux.

— T'inquiète, je me casse.

— Et les cours ?

— ¡ No me importa !

— Je lui enverrai ce soir, marmonna-t-elle à l'adresse de Matthew qui hocha la tête.

Ils espéraient tous les deux que la colère de leur ami serait redescendu, d'ici là.

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