Chapitre 22

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Ace soupira tandis qu'il observait le paysage, ou ce qu'il en restait, à travers la vitre passagère. Deux heures plus tôt, il faisait encore beau pour un mois de novembre. Le trajet se déroula dans une atmosphère reposante, même Tyler ne pipait mot, sans doute plongé dans ses pensées.

Georges se gara le plus près possible de l'entrée pour éviter que aux deux jeunes hommes de se faire tremper avant d'atteindre le porche. Mais les quelques secondes pour franchir le seuil et les minutes passées plus tôt dans leur abri de fortune suffirent pour que leurs vêtements dégoulinent d'eau.

Une fois à l'intérieur, Ace resta dans l'entrée tandis que Tyler se précipitait pour aller chercher de quoi se sécher. Très vite, il revint avec des serviettes sous le bras, il en tendit une à Ace. Ils s'essuyèrent les cheveux mais ils durent se rendre à l'évidence : leur corps entier était ruisselant.

— Je pense qu'on est bons pour prendre une douche bien chaude, grimaça Tyler. Je te laisse y aller en premier, si tu veux.

— Je n'ai pas prévu d'affaires, je ne pensais pas que le temps changerait aussi vite, rit jaune Ace.

Tyler lui proposa de fouiller dans son armoire afin de lui ramener de quoi s'habiller. Ace poussa un soupir de satisfaction lorsqu'il se glissa sous l'eau chaude. Il sentit la fatigue s'abattre sur lui comme une chape de plomb ; il n'avait pas arrêté aujourd’hui, entre le mémoire et les révisions le matin, et l'après-midi en ville. Le blondinet était un vrai catalyseur et il était dur de ne pas se laisser puiser toute son énergie. Et pourtant, il avait aimé cette sortie.

Il repensa au cadeau que son ami lui avait fait : cela était-il un simple présent ou il y avait une signification derrière qu'Ace n'avait pas compris ? Même si Tyler jouait la comédie à la perfection, il ne pouvait pas oublier qu'il l'avait embrassé. À vrai dire, il avait essayé, sans jamais y arriver. Pourquoi ? C'était une autre question. Tyler était peut-être fortement alcoolisé à la soirée, mais il ne l'a pas vu embrasser ses amis, sauf lui. Ça ne pouvait pas être un hasard.

Il soupira et décida de remédier à cette pensée plus tard. Pour le moment, il était épuisé et il ne voulait pas se donner un mal de crâne à déchiffrer les actions de son ami, c'était purement impossible.

Il se séchait lorsqu'on frappa à la porte.

— Je peux entrer ou tu as l'engin à l'air ?

Ace leva les yeux au ciel mais ses joues s'embrasèrent. Il remercia le mur qui le camouflait. Ce teigneux avait le don pour le mettre mal à l'aise aujourd'hui. Peut-être qu'il avait raison. Il s'empressa d'enrouler la serviette autour de sa taille.

— Vas-y.

Le blond surgit, des vêtements dans ses bras. Il releva la tête et s'arrêta une seconde, avant de se racler la gorge.

— Je t'ai trouvé un pull trop grand pour moi et des sous-vêtements. Par contre, tu devras te contenter d'un de mes shorts un peu vieillot.

— Pas de souci, merci.

Tyler posa les affaires sur le rebord du lavabo avant de s’éclipser rapidement. Ace jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir. Il n'était pas dupe, il avait vu le regard océan glisser sur lui. Ses doutes se confirmèrent. Mais au fond de lui, une lueur s'alluma ; son égo en avait flatté, tout comme sa tête.

Lorsqu'il sortit de la salle de bains, il retrouva Tyler allongé sur son lit. Le blond avait troqué ses habits de ville – un pull et un jean où des nuages avaient été dessinés dessus, comme s'ils avaient été peints – pour une tenue plus décontractée.

Ace posa ses affaires dans un coin avant de s'asseoir au bord du lit, pour finalement s'allonger lui aussi. Quelques centimètres les séparaient, mais l'Espagnol pouvait sentir les effluves du parfum de Tyler. Pour lui, elles étaient l'odeur du blond.

— Merci pour cette après-midi, c'était sympa.

Il avait parlé tout bas, comme s'il en avait eu honte.

— Moi aussi.

Il sentit le sourire dans sa voix.

— Tu n'es pas aussi froid et méchant qu'on peut le penser. Du moins pas tout le temps.

— Tu n'es pas aussi prétentieux et orgueilleux qu'on peut croire, Mr. Parfait.

Ace se mordit violemment la lèvre quand il comprit son erreur. Mais c'était trop tard : Tyler s'était redressé et le fixait, étonné.

— Mr. Parfait ?

Il détourna le regard.

— Ace Cruz, j'exige que vous me donniez la signification de ce surnom stupide, qui je n'en doute pas, est une façon de se payer la tête, tonna Tyler.

Une vague de chaleur remua son ventre quand la voix du blond autoritaire résonna à ses oreilles. À cet instant, il était tel qu'il l'imagina en bon bourgeois. Et pourtant...

— C'est juste un nom que je te donne... donnais, quand on était en froid.

— Et pourquoi, « parfait » ?

Il affronta les yeux azur de son ami.

— Parce que tu as l'air si... précieux, et sûr de toi. Pour moi, tu étais le fils d'un type friqué que tout le monde adorait et idolâtrait.

Il se fit fusiller du regard.

— Parce que je ne le suis pas ?

Il vit que Tyler se marrait avant qu'il ne le comprenne : ses yeux brillaient de cette même lueur chaque fois qu'il se jouait de lui et le coin de ses lèvres se relevèrent.

— Joder, je croyais que je t'avais blessé, souffla Ace en poussant le bras de Tyler de son épaule.

— J'ai vécu pire de ta part...

— Aïe. Mérité, grimaça-t-il.

Cette fois-ci, Tyler rit franchement. Piqué dans son orgueil, Ace se saisit d'un oreiller derrière lui et le balança au visage du blondinet.

— Hé, t'as pas le droit d'attaquer ton hôte !

— Tu t'es foutu de ma gueule !

Ledit maître de maison frappa le bras de son invité avant de tenter d'écraser sa tête de l'oreiller. Mais Ace anticipa le coup, il agrippa le poignet libre de Tyler. Usant de son bras comme d'un levier, il inversa l'avantage et plaqua Tyler sur le dos. Le blond se débattit comme un beau diable, l'obligeant à se mettre à califourchon sur son prisonnier et coincer son bras sous son genou, en faisant attention de ne pas y peser tout son poids, sa main enfermant toujours le poing tout entier du blond.

Comprenant qu'il était fait comme un rat, un moue boudeuse s'afficha sur le visage du perdant. —

— C'est de la triche, tu as vu le bestiau que tu es. Je n'avais aucune chance.

— Tu n'avais qu'à pas commencé, railla Ace. Je gagne toujours.

— Pour cette fois.

Il planta ses yeux dans ceux du brun. Le sourire d'Ace s'effaça progressivement au fur et à mesure qu'il se noyait dans le bleu azuréen. Il se sentit attirer par une force invisible, comme s'il était possible de plonger dans les deux miroirs d'eau. Il sut qu'il pourrait passer des heures à les contempler.

Il sentit plus qu'il ne vit le visage de Tyler s'approchait du sien. Leurs lèvres étaient si proches. Son cœur s'emballa dans sa poitrine. Il n'avait qu'à se baisser très légèrement...

Il comprit trop tard que la sorcière avait usé d'un de ses charmes. Il avait baissé sa garde, oubliant que son adversaire était perfide et rusé. Aussi vif qu'un serpent, Tyler bougea son bassin pour exercer une pression contre Ace et dégagea son bras d'un geste brusque. Déséquilibré et désavantagé par sa corpulence, L'espagnol s'affala. Il dut poser la main sur le lit. Son ennemi en profita pour frapper son bras. La tête du brun rencontra la couverture. Tyler donna le coup de grâce en se retrouvant à califourchon sur son dos. Le bougre ne fit pas dans la dentelle et l'écrasa de tout son poids, arrachant un grognement à son agresseur.

— Eh bien, le grand Ace se serait-il laissé distraire ?

Ace frémit lorsqu'il sentit le souffle de son ami contre son oreille.

— Il aurait des points faibles, finalement.

— C'est ça, profite de ta victoire, marmonna Ace.

Il étouffa un cri de frustration dans l'oreiller, Tyler éclata de rire.

— Je vais te laisser digérer ta victoire, je vais prendre ma douche !

Le poids sur son corps s'évapora et il put se redresser, juste à temps pour apercevoir le sourire éclatant de son camarade avant qu'il ne disparaisse dans la salle de bains.

Ace était mauvais joueur, il le savait. Il s'en voulait de s'être fait avoir par ce vaurien. Sachant qu'il n'avait aucune chance en employant le force brute, il avait choisi la sournoiserie. Il n'aurait pas gagné, s'il avait pu résister à... à quoi, au juste ? Tyler n'avait rien, il s'était contenté de le regarder, et il avait fondu comme neige au soleil.

Ace s'ébroua et préféra fermer les yeux pour ne plus y penser. Il allait se reposer quelques instants, le temps que Tyler prenne sa douche. Le sommeil l'attira entre ses griffes, il tenta de résister. Mais bercé par le clapotis de l'eau, il perdit son second combat de la soirée, hanté par le souvenir des cuisses de Tyler autour de sa taille.


Ace ouvrit les yeux quand il sentit qu'on le secouait doucement.

— J'ai commandé des pizzas, ça te va ?

Tyler parlait à voix basse, un sourire au visage. Ace hocha la tête, passa une main sur son visage en étouffant un bâillement. Il mangeait beaucoup trop de pizzas ces derniers jours, il allait le payer tôt ou tard à la salle.

— Désolé, je ne voulais pas m'endormir.

— Ce n'est pas grave. Si tu veux rentrer chez toi, ça ne me pose pas de problème.

— Non, non, ça ira, ne t'inquiète pas, répondit-il, aussi surpris que Tyler de son empressement.

À vrai dire, il n'avait pas le courage de faire tout de suite le retour. Ils descendirent au salon. Tyler s'affala sur le canapé et tendit le bras pour attraper une manette de console posée sur la table.

— Tu aimes les voitures ?

— Pas plus que ça.

Il lui lança un regard en biais.

— Quoi ?

— Tu n'aimes rien.

Ace se renfrogna.

— C'est faux. J'aime... avoir la paix.

Tyler gloussa en levant les yeux au ciel.

— Un jeu de voitures de course, ça te tente ?

— Je ne sais pas y jouer.

— Si un cancre comme moi y arrive, ça ne posera pas de problème à l'intello de la classe.

— Je vois pas le rapport.

Tyler lui fourra la manette entre les mains.

— Tais-toi et écoute : ici, c'est pour accélérer, là, pour ralentir, (il posa le doigt sur le pouce du brun et le fit bouger) ce joystick sert à diriger le bolide et lui, à changer l'angle de la caméra. Et ce bouton, c'est le nitro, une sorte de turbo. Capisce ?

— C'est italien pas espagnol, et non, tu es allé trop vite.

Surtout, le blondinet était penché vers lui et son parfum emplissait l'air qu'Ace respirait, l'empêchant de réfléchir correctement. Ses yeux se fixèrent sur chaque bouton, essayant de se rappeler de ce qu'il venait de lui dire.

— Lance une partie, tu vas apprendre sur le tas ! se moqua Tyler.

Au décompte du départ, Ace démarra le dernier.

— Appuie sur l'accélérateur ! s'écria son ami.

— C'est lequel ? paniqua-t-il.

Il lui écrasa le doigt sur le bon bouton.

— Tourne !

Ace s'exécuta et poussa le joystick complètement à droite.

— Pas si fort !

Mais c'était trop tard ; la voiture percuta le mur de plein fouet. Ace rectifia la direction et les roues rentrèrent en contact du bitume. Petit à petit, Ace devint plus confiance, même si les virages serrés lui donnaient du fil à retordre.

— On tente le nitro ? Quand tu es en ligne droite, tu appuie ici. Prêt ?

Ace déglutit, les yeux rivés sur l'écran.

— Maintenant !

La voiture fonça à toute vitesse. L'Espagnol écarquilla les yeux, tout allait bien trop vite. Il se prit la barrière de sécurité dans le virage suivant, provoquant l'hilarité de Tyler quand il jura.

Il finit par franchir la ligne d'arrivée, il n'était clairement pas sur le podium.

— Tu t'en es bien sorti, le rassura Tyler.

Ace grogna.

— Je te rends ta manette du diable !

Tyler la prit et commença une partie. Les courses s'enchaînèrent sous les encouragements du brun les moqueries lorsqu'il faisait des hors-pistes. Il sauta même du canapé lorsque son ami finit pour la première fois de la soirée premier.

Lorsque les pizzas arrivèrent, le brun alla les chercher. Ils se jetèrent dessus tout en continuant à jouer. Il s'améliorait à vue d'œil mais il était loin d'égaler la dextérité de Tyler. Ce dernier rayonnait, heureux de le battre dans un domaine.

Une fois le repas englouti, le blond proposa de regarder un film.

— Il y a quelque chose que tu aimes en particulier ? T'es du genre à adorer les films d'action, James Bond, Mission Impossible, les trucs comme ça. Non, je sais ! Tu es team films romantiques ?

Il mima des petits bisous dans le vide.

— Pas du tout, sourit Ace. Mets action, ça ira.

Ils se mirent d'accord sur le film et Tyler claqua des mains. La lumière s'éteignit aussitôt.

— Incroyable, la technologie...

— Le vingt-et-unième siècle, mon cher.

— … Quand on la les moyens.

Ace savait que Tyler souriait, même s'il ne pouvait pas le voir. Ils se turent lorsque le film commença. Seul l'écran et la lumière de la Lune à travers la baie vitrée les éclairèrent. Ace tourna la tête vers son ami. Son profil ressortait dans la pénombre. Il s'empressa de reporter son attention devant lui.

Quand il frissonna, Tyler alla chercher une couverture. Il s'emmitoufla dedans après avoir proposé à Ace de la partager mais celui-ci avait refusé. Il s'installa plus confortablement, s'appuya légèrement contre l'Espagnol. Il retint sa respiration quand le contact se fit mais le laissa faire. Il ne bougea pas, de peur que Tyler se méprenne et s'écarte. Il ne voulait pas qu'il s'éloigne.

Absorbé par ce qu'il se passa à l'écran, Ace sursauta lorsqu'il sentit un poids sur son épaule. Il faillit s'écarter mais se retint juste à temps. Le blondinet s'était assoupi, sa tête avait glissé contre lui.

Paralysé par l'hésitation, Ace ne sut comment réagir. Devait-il le réveiller pour qu'il suive le film ? Son cœur battait fort dans sa poitrine, il frotta ses mains devenues moites sur son short.

Il jeta un coup d'œil à l'endormi. Tyler avait la bouche un peu entrouverte, il respirait à intervalles réguliers. Son visage n'affichait aucune expression, lui qui était d'habitude un livre ouvert sur ses sentiments. Il était apaisé, la réalité n'avait plus d'emprise sur lui.

Alors, peut-être parce que l'obscurité nous permet de faire des choses qu'on s'interdirait, ou bien simplement parce qu'il en avait envie, Ace dégagea doucement son bras et le passa derrière son ami. Le brun se figea quand Tyler se cala contre son torse et soupira d'aise dans son sommeil. Il se laissa glisser pour trouver une position plus confortable. Après s'être assuré que son camarade dormait toujours profondément, il reprit le cours du film, veillant sur son ami.


Tyler se réveilla en sursaut malgré le fait qu'Ace avait tenté d'atteindre la télécommande avec le moins de gestes possibles.

— Pardon, je ne voulais pas te réveiller.

Tyler se redressa, regarda autour de lui, son regard glissa sur le pull froissé d'Ace.

— Est-ce que j'ai... commença-t-il.

Ses yeux croisèrent ceux d'Ace et il y lut sa réponse.

— Je n'ai pas vu la fin du film.

— Il ne t'intéressait pas vraiment, n'est-ce pas ?

Le blond ne put cacher la vérité. Ace secoua la tête, un sourire aux lèvres. Il se leva.

— Il est tard, il faut que je rentre.

— Tu ne vas pas dormir ici ? hasarda Tyler. Il y a bien assez de chambres libres.

— Non, c'est gentil mais Andreï va finir par s'inquiéter, c'est la première fois que je sors toute une journée.

Tyler gloussa devant l'autodérision de son ami.

— Laisse-moi demander à Georges de te ramener.

— On ne va quand même pas le déranger pour si peu, hasard Ace, penaud.

— Tu sais, il a l'habitude avec mon père et moi. C'est lui qui a proposé tout à l'heure quand il nous a ramené, avoua-t-il.

Une fois que le chauffeur arriva, Tyler le raccompagna jusqu’au perron.

— Je te rendrai tes habits quand on se verra à la fac.

— Pas de souci.

— Merci pour cette journée.

— Et à toi d'avoir accepté. C'était pas gagné.

Ace sourit.

— Merci de m'avoir laissé dormir contre toi, souffla Tyler un instant plus tard, évitant de croiser son regard.

Il eut soudain envie de le sentir à nouveau contre lui, sa chaleur et son souffle qui s'évanouissait sur son pull.

— C'est... c'est normal.

Et Ace sut qu'il le referait sans hésiter.

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