Chapitre 35

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Le Mémoire terminé et rendu avait enlevé un grand poids des épaules d'Ace et Tyler. Ils pouvaient à présent souffler car le plus gros était derrière eux ; la prochaine étape, la soutenance, se profilait mais ils l'appréhendaient moins. Ils maitrisaient leur sujet sur le bout des doigts, ils n'avaient plus qu'à rédiger le script et donner à Mrs. Pierce sa partie. Ace était à l'aise à l'oral, quant à son compagnon, il n'en avait aucun doute. Ensuite, il ne resterait plus que les examens de fin d'année et avec les points bonus que leur projet leur conférerait, ils avaient un peu d'avance.

Tout le groupe d'amis avaient décidé de se réunir pour fêter cette étape fraîchement franchie. Ils se retrouvèrent dans une pizzeria du coin, en plein cœur de la ville. Même Andreï était de la partie. Attablés devant leur repas, ils parlaient bruyamment et éclataient de rire souvent. Les deux couples étaient assis face à face. Tyler et Ace échangeaient des regards, mais se gardaient bien de faire plus. C'était la première fois qu'ils se revoyaient depuis la nuit que l'Espagnol avait passée chez son ami. Bien sûr, il avait dû passer au détecteur de mensonges, Abby était une vraie tyran concernant les potins. Mais il avait réussi à passer le plus important sous silence, avec l'aide de Matthew. Ils avaient pu échapper à la vigilance de leurs amis, juste le temps de s'échanger un court baiser. Ce fut suffisant pour rappeler à la mémoire d'Ace leur première nuit passée ensemble.

Ace tentait de se concentrer sur ce qu'Abby disait, évoquant leurs sujets de Mémoire, l'inceste dans les filiations adoptives. Mais d'humeur joueuse, Tyler ne cessait de frotter sa jambe contre la sienne, malgré les regards furibonds qu'il lui lançait. Pire encore, cela éveillait des souvenirs bien réels et il commençait à se sentir mal à l'aise. Tyler étouffa un rire quand il comprit, mais il finit par arrêter.

Abby évoquait les différentes parties de leur sujet avec passion ; c'était un sujet qui lui tenait à cœur. Il allait sans dire que Morgan n'avait pas vraiment eu son mot à dire, quoiqu'aurait-il protesté ?

Il était difficile de prouver les cas d'incestes car mal reconnus. La jeune fille leur fit un rapide récapitulatif des questions qu'ils avaient dû se poser : Qu'en était-il lorsqu'agresseur incestueux n'était pas le parent ou l'ascendant biologique de l'enfant ? Pouvait-on parler d'inceste, alors qu'aucun lien du sang ne les unissait ? Où étaient-ils des agressions sexuelles au sens générique du terme ?

Matthew, lui avait choisi un sujet tout aussi sensible : l'influence politique sur le pouvoir judiciaire et les droits de l'Homme. Ace n'avait pas été surpris quand il leur avait annoncé. C'était tout lui, un sujet de recherche mêlant ses deux domaines de prédilection : la politique et le droit fédéral. Bien qu'Ace n'était pas tout à fait à l'aise avec ces notions, il voyait leur importance et les questionnements qu'ils soulevaient. Malgré la séparation des pouvoirs, il revenait au Président des Etats-unis de nommer les juges siégeant à la Cour suprême pendant leur mandat. Ces derniers y restent à vie, ou jusqu'à leur démission. On pouvait dès lors douter de l'implication des différents courants qui fluctuaient à chaque élection dans une branche censée être indépendante. C'était une question très controversée, mais il ne doutait pas que Matthew avait les épaules pour supporter ce choix. D'autant plus que la fille rousse qui l'accompagnait avait l'air tout aussi passionné que lui par leur projet. Ace ne la connaissait pas, mais son ami leur avait dit un jour qu'elle était plutôt douée.

Ils trinquèrent à leur réussite avant de déguster avec avidité leur pizza.

À peine la porte de l'appartement franchie qu'Ace s'affala dans le canapé en soupirant de soulagement. Andreï enleva sa veste avant de chasser ses jambes d'une tape pour qu'il puisse s'asseoir.

— Tu te rappelle quand je t'avais parlé de mon projet de fin d'année que je devais faire, et que je ne savais pas encore quel genre artistique j'allais adopter ? Vous voir ce soir tous les deux, Tyler et toi, m'a inspiré.

— Je t'ai inspiré ? railla Ace.

— Plutôt Tyler en vérité, parce que tu n'as rien d'une muse.

L'Espagnol offrit son majeur à son ami.

— Bref, même si vous essayez de la cacher, parce vous n'avez encore rien officialisé, ça crève les yeux, les sentiments que vous avez l'un pour l'autre. Et franchement, je ne pensais pas que ça serait aussi fort. Vous avez une sorte d'alchimie, tu vois ce que je veux dire ?

— Pas vraiment, avoua-t-il en se frottant les yeux. Morgan et Abby doivent être encore plus proches que nous et ils sont très fusionnels.

— Peut-être. Mais eux ne sont pas vous, ajouta Andreï.

Ace lut dans son regard ce que son ami voulait dire.

— D'accord. Et donc, tu vas faire quoi ?

— Je vais dessiner un nu, lâcha le Russe après un silence ?

— Un... nu ?

— Un nu est un genre artistique qui consiste à représenter le corps humain dans sa totale nudité, ou presque.

— D'accord Mr. le dictionnaire. Mais je vois pas comment j'ai pu t'inspirer ça sauf si tu...

Andreï fit mine d'être dégouté.

— N'exagère pas ! Non, c'est là, où ça risque de ne pas te plaire...

Ace fixa son meilleur ami qui soutint son regard. Il se redressa subitement et écarquilla les yeux.

— C'est hors de question !

— Mais tu ne sais même pas ce que j'envisage de faire !

— Oh que si, je le sais très bien. Mais explique-moi, que je puisse refuser dans les règles.

Il croisa les bras, le visage sévère.

— Je voudrais que vous posiez, tous les deux. Mais ce que je veux avant tout retranscrire, c'est cette alchimie entre vous, cette étincelle qu'il y a et par elle, je veux raconter votre histoire. Surtout la tienne, Ace. Vous ne poserez pas entièrement nus, seulement certaines parties de votre corps le seront et je ne représenterai pas votre visage. Je ne veux pas qu'on s'attarde sur votre corps, en vérité, mais sur ce que l'ensemble représente : une mise à nu, la confiance mutuelle, la découverte de l'autre et de ce qu'on ne pensait jamais ressentir.

— C'est non, répondit-il, catégorique.

— S'il te plaît, Ace ! le supplia Andreï. C'est un genre osé, qui manque de reconnaissance, certes, mais qui me permettrait de me démarquer. Tu sais que j'ai toujours suivi mon instinct. Et sur ce coup, mon instinct me hurle que je suis sur la bonne voie ! Tu ne peux pas me freiner dans mes objectifs.

Le brun leva un sourcil. Il savait que son meilleur ami tirait sur la corde sensible, jouant avec sa culpabilité. Mais il avait raison. S'il était sûr de son choix, il devait tout faire pour l'aider. Il lui faisait confiance, il savait qu'Andreï ne ferait rien qui puisse lui être préjudiciable. Il soupira.

— Pourquoi moi ? gémit-il.

— Parce que vous êtes un couple d'hommes, trop peu représentés dans la société actuelle et bourré de stéréotypes que j'essaierai de renverser, rétorqua-t-il, du tac au tac. Parce que vous me permettrez de véhiculer un message de lutte contre les discriminations, parce qu'il est plus que temps de banaliser l'amour sous toutes ses formes. Et puis, d'un point de vue plus technique, Tyler et toi avez des physiques contrastés et des personnalités contraires, que j'essaierai de reproduire le plus fidèlement possible. De quoi apporter une touche poétique au tableau.

Ace se mordit la lèvre, en proie à l'hésitation.

— Il n'y a qu'à toi que je puisse demander cette faveur.

— Je ne sais même pas si Tyler acceptera.

— Demande-lui et dis-lui que je peux répondre à toutes ses interrogations. Je vous promets que je ne ferai rien que vous ne voudrez pas.

Ace lui lança un dernier regard.

— C'est d'accord, abdiqua-t-il. On le fera s'il est partant.

Le visage d'Andreï s'illumina.

— Merci beaucoup ! Je savais que je pouvais compter sur toi.

Il osa le prendre dans ses bras, Ace se laissa faire, tapotant timidement son dos.

— Je ne peux quand même pas te laisser de débrouiller tout seul. Surtout que ton idée n'est pas mauvaise. Mais je te préviens, ajouta-t-il, gravement, il y a intérêt que tu sois le meilleur parce que je n’accepterai pas d'avoir fait tout ça pour rien.

— Tu me connais, je ne me suis jamais satisfait d'une autre place que la première.

Ils éclatèrent de rire. Andreï continua de rassurer son ami et échafaudait à voix haute différents plans d'action, l'esprit en ébullition. Mais il ne voulait pas se précipiter, il n'avait pas le droit à l'erreur. Bien qu'il l'affirmait à son ami, il risquait de ne pas emporter l'approbation pleine et entière des juges. Le travail serait colossal et il n'avait pas le droit à l'erreur.

Exténué, Ace finit par prendre congé de son ami. Lorsqu'il s'allongea dans son lit, il s'aperçut qu'il avait reçu un message de Tyler.

De: Tyler

11:58 am : J'aurais aimé que tu viennes chez moi, ce soir. Je me sens un peu seul et j'aurais volontiers eu besoin d'attention.

Ace lâcha un petit rire. Il pianota rapidement et la réponse fut quasiment instantané.

À: Tyler

00:11 am : Avoue plutôt que je te manque.

De: Tyler

00:12 am : Pas du tout. Puisque tu m'as ignoré, j'ai décidé de m'ouvrir un pot de glace et de le manger devant la télé, je suis aux anges. En vérité, j'aurais été bête de m'encombrer de quelqu'un comme toi.

Ace reçut la photo dudit dessert déjà bien entamé.

À: Tyler

00: 15 am : Excuse-moi, j'étais avec Andreï.

Je sais que tu mens, cabrón. Parce que toi aussi, tu me manques.

Cette fois-ci, la réponse se fit attendre. Ace crut même que son ami s'était endormi.

De: Tyler

00:30 am : On ne peut plus se passer de moi une fois qu'on m'a goûté. (Ace leva les yeux au ciel devant le peu de romantisme de son ami.) Tu voulais qu'on se revoie : je te laisse choisir le lieu et la date.

Son téléphone vibra à nouveau.

De:Tyler

00:31 am : Pour te rappeler la chance que t'as (et si jamais tu veux te détendre avant de dormir, je te donne de quoi te faire un petit plaisir solitaire).

Une seconde photo accompagnait le message. Ace appuya dessus pour l’agrandir et se mordit la lèvre. Le blond s'était pris en photo en sortant de la douche, ses cheveux étaient encore mouillés et il était torse nu. Ace s'attardait sur ses fins abdominaux qui se profilaient et sur la bosse que laissait entrevoir la serviette nouée autour des hanches.

À: Tyler

00:34 am : T'es dégueulasse (et tu crois beau en plus). Chez toi, mercredi soir ?

De: Tyler

00:36 am : J'ai mieux. Mercredi soir, à cette adresse ? Il y a une soirée lgbtq+ . On pourrait y aller tous les deux, ça changerait.

Ace hésita. Il avait une assez basse estime de ce genre de soirées. D'après les dires de James, la boîte dans laquelle elle se passera était dirigée par des gars peu regardant sur les fréquentations. Il fit part de ses doutes.

De: Tyler

00:43 am : T'inquiète pas, j'y suis déjà allé. Ce n'est pas plus pire que dans certaines autres boîtes moins cotées. Et puis, c'est juste pour l'ambiance. On partira dès que tu le souhaites si t'es pas à l'aise.

Il savait que Tyler serait déçu s'il refusait. Il tentait de lui faire découvrir son monde dans lequel il évoluait depuis bien plus longtemps que lui. Et ils ne pouvaient pas rester enfermés tout le temps dans leur bulle. C'était aussi sa façon de le tester, de voir s'il était prêt à faire ce nouveau pas.

Et il l'était. Il se sentait à sa place avec Tyler, il faisait disparaître cette sensation de culpabilité qu'il ne connaissait que trop bien quand il était avec lui. Il lui donnait l'illusion de croire qu'il avait le droit de vivre, lui aussi, et il savait au fond de son cœur, qu'elle ne lui en tiendrait pas rigueur.

À: Tyler

00:45 am : D'accord, je suis partant. On se rejoindra là-bas. Je vais me coucher, bonne nuit.

De: Tyler

00:46 am : Super ! Rêve de moi cette nuit ;). PS : habille-toi sexy. Vraiment sexy...

Ace relut la phrase, surpris. Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il commençait à regretter son choix. Il avait justement oublié un instant l'univers et la personnalité de son compagnon... Y survivrait-il ?

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