Chapitre 40

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La date de la soutenance approchait à grands pas. Les deux amis s'étaient revus une dernière fois pour répéter ensemble après s'être entraînés chacun de leur côté. Ils avaient apporté les dernières corrections mais regrettèrent de ne pas pouvoir rencontrer Mrs. Pierce pour qu'elle leur donne d'ultimes conseils.

Le jour fatidique, Ace se leva très tôt. Il avait mal dormi, le stress en était en grande partie la cause. Il avait passé toute la matinée à répéter devant son miroir, plus pour se rassurer que par nécessaire utilité, il connaissait son texte sur le bout des doigts. Il avait rejoint Tyler pour le déjeuner, ils avaient décidé d'y aller ensemble.

Les jeunes hommes retrouvèrent Mrs. Pierce devant la salle de l'épreuve. Elle leur souhaita une pleine réussite et les gratifia d'un clin d'œil rassurant. Puis, ils furent appelés.

Ace et Tyler étaient prêts. Ils avaient travaillé pendant cinq longs mois pour en arriver là. Il leur semblait qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'ils s'étaient rencontrés devant la bibliothèque universitaire. Le brun n'aurait jamais pensé qu'ils se retrouveraient à cet instant précis plus soudés que jamais ni qu'il ne puisse plus continuer sans le blondinet à ses côtés.  

Tyler releva la tête et croisa son regard. Ses lèvres s'étirèrent tandis qu'une lueur farouche s'alluma dans ses yeux. Le cœur d'Ace battit la chamade dans sa poitrine, et il ne savait plus si c'était l'excitation de l'épreuve ou le fait de savoir que les sentiments qu'il éprouvait étaient réciproques. Bon sang qu'il aurait du mal maintenant à se passer de ce sourire.

Tyler haussa un sourcil, Ace respira un grand coup et hocha la tête. Le signal avait été donné, ils se lancèrent ensemble.

Ils n'auraient pu rêver mieux. Ils connaissaient parfaitement leur sujet et surent répondre à toutes les questions des examinateurs. Mrs. Pierce, en retrait, était fière d'eux. Ils avaient abattu un sacré travail, surtout pour des étudiants aussi jeunes. Il avait tiré profit de son enseignement et le programme avait mené ses fruits : ils avaient acquis une bonne méthodologie tout autant que des connaissances utiles pour la suite. Ils feraient d'excellents juristes, elle en était certaine.

Lorsqu'ils sortirent de la salle, elle s'empressa de les féliciter :

— Bravo à tous les deux ! Vous avez été parfaits. J'essaierai d'avoir des informations mais je suis persuadée que vous obtiendrez une très bonne note.

Tyler rayonnait de bonheur. Il était surexcité, et n'arrivait pas à rester tranquille. Il se retenait de bondir en l'air, sous le regard attendri d'Ace

— Vous ne pouvez pas savoir à quel point j'étais stressé ! Mon était cœur était prêt à exploser. Vous avez vu le professeur quand il a froncé les sourcils ? J'ai cru que je venais de faire une énorme bourde et ensuite il m'a souri !

Ace éclata de rire, ce qui surprit Mrs. Pierce.

— Je suis contente de voir que le courant passe mieux entre vous deux que la dernière fois. C'est aussi ça, l'objectif de ce programme : créer des liens et des contacts entre les étudiants.

— Croyez-moi professeure, on ne veut pas qu'il se coupe maintenant, s'exclama Ace.

— Jamais, rectifia Tyler.

Ils rirent tous les trois et évacuèrent le stress accumulé.

— C'est ici que nos chemins se séparent, reprit Mrs. Pierce. J'ai été ravie de travailler avec vous, vous êtes des étudiants tels qu'on aimerait en avoir à chaque instant. Et je ne dis pas cela parce que vous aviez une très bonne professeure. Peut-être aurons-nous l'occasion de nous revoir.

— Je l'espère, répondit Ace. Votre aide nous a été précieuse, merci.

Elle le remercia en retour d'un sourire.

— Profitez de ce court répit pour souffler un peu, avant les examens de fin d'année.

Tyler leva les yeux au ciel.

— Il nous reste encore quelques mois devant nous !

— Le temps défile à toute vitesse, Tyler. Prenez soin de vous, et passez une bonne fin de journée.

Ils regardèrent la silhouette de leur professeure référente disparaître au bout du couloir.

— J'ai l'impression qu'une page se tourne, souffla Tyler.

— C'est le cas. Mais ça veut dire qu'une nouvelle s'ouvre.

Il s'attira un regard en coin du blond.

— Depuis quand c'est toi, l'optimiste ?

— Callaté.

Tyler le charria jusqu'à ce qu'ils quittent la faculté. Ace espérait que ses paroles soient véridiques. Le mémoire avait été le point de départ de leur relation. Aujourd'hui, le projet était fini et avec lui, leur seul point commun évident. Il ne pouvait s'empêcher de penser à ce qu'aurait été sa vie dans un univers parallèle, dans un univers où Tyler ne l'aurait pas embrassé, trop bourré pour réfléchir. S'il n'aurait véritablement rien ressenti pour son ami, s'il avait été en binôme avec un autre étudiant. Se seraient-ils rencontrés un jour ?

Cette simple pensée le fit frissonner. Finalement, il ne voulait même pas l'imaginer.

XXX

Maintenant que les deux amis disposaient de plus de temps libre, ils pouvaient enfin aider convenablement Andreï. Le Russe était impatient de commencer sa toile, alors quand Ace lui avait confirmé que Tyler était partant pour le faire ce week-end, il avait sauté sur l'occasion. Il avait tout préparé et son petit atelier devint un véritable champ de bataille. Il changeait d'idée tous les jours, modifiait ses préparations, sans être vraiment satisfait. Le vendredi soir, il était sorti de la pièce un sourire aux lèvres. Ace avachi sur le canapé, avait croisé son regard. Ça y est, il avait trouvé.

La sonnette de l'appartement retentit. Ace s'empressa d'aller ouvrir.

— Hey.

— Salut ! s'exclama le blond. Prêt à faire le beau ? Il faudra que tu gonfles tous ses muscles, pour une fois qu'ils serviront à quelque chose.

Il passa devant lui en l'embrassant.

— Tu m'as l'air bien heureux aujourd'hui.

— Pourquoi je ne le devrais pas ? Je vais passer l'après-midi en compagnies de deux beaux gosses au physique bodybuildé. De quoi rendre jalouses mes copines. Tiens, j'ai apporté des bières.

Il les jeta entre les mains de son ami avant de rejoindre le salon et de saluer Andreï. Ace soupira, il allait souffrir.

—Vous voulez qu'on s'y mette tout de suite ? demanda Andreï quand il les rejoignit. Il y a un peu de boulot et on sera tranquille après.

— Si tu veux, c'est toi le chef.

Andreï les remercia chaleureusement d'accepter de l'aider. Leur geste comptait beaucoup pour lui. Puis, il les guida dans son jardin secret. Ace y avait déjà mis les pieds, mais cela remontait à des mois. Le sol était recouvert d'une bâche transparente, certainement pour le protéger car elle était parsemée d'éclaboussures. Par chance, les murs se trouvait épargnés, pour le moment. Des échantillons de peinture traînaient un peu partout, ainsi que des chevalets sur lesquels étaient posées des toiles pas tout à fait terminées. Il régnait une odeur particulière, mélange de peinture et de produits chimiques. Il y faisait plus froid, la pièce n'était jamais chauffée.

Les deux garçons remarquèrent le tabouret en plein milieu de la pièce. Il était recouvert de grands tissus respectivement rouge sang et bleu roi. Ace les toucha, on aurait dit de la soie.

— C'est pour faire quoi ?

— C'est pour vous. Vous devrez les porter, ils serviront à cacher ce que je ne saurai voir. Je rigole, vous pourrez garder vos sous-vêtements, ajouta le Russe en voyant leur mine perplexe.

— Mince, moi qui voulais en profiter pour me rincer l'œil toute l'après-midi, rétorqua Tyler.

Ace roula des yeux.

— Je vais chercher mes pinceaux dans ma chambre. Je vous laisse vous dévêtir.

— Bon eh bien, c'est parti ! s'exclama le blond.

Il passa pull et t-shirt par-dessus la tête. L'Espagnol en fit de même, ils se retrouvèrent en caleçon dans la pièce. Ils avaient même ôté leurs chaussures et leurs chaussettes, la fraîcheur de la pièce était décuplée.

— Je peux te réchauffer, si tu veux, susurra Tyler quand Ace frissonna.

— Éloigne-toi, sorcière, ce n'est pas le moment.

Il se laissa pourtant faire quand son compagnon déposa un baiser dans son cou. Cette fois-ci, le froid n'était en rien responsable de son frisson. Il ne résista pas à la tentation de l'embrasser.

— Ce sera tout pour maintenant. Je n'ai pas envie de bander comme un cheval devant mon meilleur pote.

Tyler gloussa.

— J'avais oublié à quel point tu pouvais facilement être excité. Mais je ne pense pas qu'il en prenne ombrage. Je suis persuadé qu'il t'a déjà vu nu.

—Ça serait ton fantasme, hein ?

— Je rêve où tu serais en train de me proposer un plan à trois ?

— Arrête de dire des conneries.

Le blondinet leva un sourcil moqueur avant de lui voler un baiser. Ace le retint par le bras et le lui reprit.

— Je peux entrer ? résonna la voix d'Andreï à travers la porte.

— Vas-y ! Tu ne crains rien, Ace a gardé son caleçon, il n'y a rien à voir.

— De toute manière, j'ai déjà tout vu de ce qu'il avait à offrir.

Tyler jeta un regard victorieux à son ami.

— Ah oui ? Ça veut dire que je ne suis pas le premier homme qu'il a connu.

— Le premier homme que j'ai vu nu, non, rétorqua Ace pour entrer dans leur jeu. On s'est inscrits au foot quand on était gosses. Ça n'a pas duré, mais on s'était bien amusés.

— Vous étiez doués ?

Les deux amis se regardèrent. Ace savait que le même souvenir était en train de se dérouler dans leurs têtes.

— Tu te souviens du match contre Allentown ?

— Bien sûr que je m'en souviens. On perdait, comme c'était souvent le cas et Ace a pété un câble quand l'arbitre a sifflé une faute pout l'équipe adverse. Il lui a foutu un poing dans le visage. Heureusement que t'avais quoi, treize ou quatorze ans et que ta force était modérée à cette époque. Tous les adversaires se sont jetés sur lui et évidemment, nous, on l'a défendu. Ça a finit en bagarre générale, ce jour-là et on a gentiment été poussés à la porte.

— C'était un jeu stupide, il y avait trop de règles bidon, marmonna Ace.

Andreï éclata de rire.

— Ce que tu pouvais être mauvais joueur ! Mais tu vois, cet énergumène était un vrai petit diable dans sa jeunesse. Ce qu'il a pu causer comme tort à Isabela et Felipe !

Il ne pouvait pas le nier. Il avait été terrible, il se battait pour un rien, détestait l'autorité et les règles imposées. Il avait été constamment en opposition avec ses parents, surtout son père. La mort de sa mère avait exacerbé son caractère difficile.

— Bon, on s'y remet ?

Il surprit le regard de Tyler sur lui. Il détourna la tête, préférant ne pas imaginer les centaines de questions qui fusaient dans sa tête en ce moment. Ils n'avaient pas reparlé de son enfance ni de sa famille depuis la dispute qu'ils avaient eu avant les vacances. Il savait qu'il devrait avoir cette conversation tôt ou tard, ils en avaient besoin s'ils voulaient avancer. Mais Ace retardait l'instant, et Tyler ne lui avait jamais posé de questions. Il le ferait sans doute un jour, et quand ça arrivera, il y répondrait. Il lui raconterait tout, ou presque, parce qu'il savait qu'il le devrait. Plus que ça, il ne voulait rien lui cacher. Le blond avait gagné sa confiance et il l'autoriserait à découvrir cette facette de sa vie.

— Je suis prêt, lança Andreï. Tyler, si tu veux bien t'asseoir. Tu dois te tenir droit, légèrement tourné vers la fenêtre, ta tête orientée vers le mur. Je peux ?

Il hocha la tête. Andreï releva son menton et posa une main dans son dos pour corriger sa posture.

— Maintenant, le pied gauche sur la barre du tabouret et le droit à plat au sol. Normalement, ça devrait être bon.

Il fit un pas en arrière et approuva. Soudain, il fit une mine penaude.

— J'ai oublié de vous prévenir que ça pourrait être inconfortable, il faudra bouger le moins possible.

— Aucun souci, Andreï, je m'y attendais.

Le Russe prit le drap bleu et le posa sur l'épaule droite de Tyler avant de venir l'enrouler autour de ses hanches de sorte à cacher son caleçon, mais il laissa ses cuisses visibles.

— Parfait, à toi Ace. Mets-toi en face de Tyler. Ne le cache pas, il faut que je puisse le voir, rit-il. Mets-toi un peu plus à sa gauche et mets ta jambe entre les siennes. La droite devant sa jambe gauche. Il faut qu'on ait l'impression que vos jambes se confondent, qu'elles ne fassent quasiment qu'une.

Ace tenta de reproduire ce que son meilleur ami avait en tête.

— Rapproche-toi de Tyler, je vous rappelle que vous devez former un couple.

Un sourire malicieux apparut sur les lèvres du blond.

— Voilà, maintenant fixe Ace dans les yeux, la bouche un peu entrouverte, comme si tu étais subjugué par lui.

— Pas bien difficile, chuchota-t-il.

Ace sentir son cœur s'affoler dans sa poitrine. Le regard de son amant le perforait et semblait lire au plus profond de lui. Il regarda ses lèvres, revint à ses yeux bleus avant de dériver encore une fois. Il déglutit, une folle envie de l'embrasser lui tordit le ventre.

— Ace, pose ta main sur sa joue.

La voix d'Andreï le rappela à la réalité.

— Fais-le du bout des doigts comme si tu avais peur que de le briser en le touchant. Tyler pose la droite au centre de son torse, l'autre sur sa cuisse.

Ils s'exécutèrent dans un silence total. L'envie de rire n'était plus là, remplacée par une atmosphère bien différente. Enfin, Andreï recouvrit son ami du drap rouge en le posant sur son épaule. Il noua adroitement le tissu autour de ses hanches et camoufla la chute derrière eux.

— Parfait ! Maintenant, ne bougez plus. Vous avez le droit de respirer bien entendu et de parler aussi. Mais évitez de rire.

Andreï se recula pour admirer la scène.

— C'est impeccable. Encore mieux que je ne l'imaginais, souffla-t-il.

— Ils viennent d'où les tissus ? demanda Ace.

— De la fac. C'est en les voyant que j'ai eu l'idée de tout ça.

— Tu as bien fait.

Il ressentait soudain le besoin de parler, comme pour ne pas perdre pied. Tyler continuait de le regarder et il savait que la même lueur qu'il apercevait au fond de ses yeux brûlait dans les siens. Il avait été intime avec lui, aussi intime qu'on puisse l'être avec une personne. Il avait découvert et explorait chaque parcelle de son corps, l'avait fait jouir et l'avait vu aussi vulnérable qu'il puisse l'être. Il n'aurait jamais cru qu'il puisse ressentir une attirance pour lui encore plus forte qu'il n'avait déjà. Pourtant, à cet instant, il savait que tout ce qu'il avait pu connaître n'était rien face à la force des émotions qui le secouaient. Ainsi entremêlés, alors que Tyler se contentait de l'observer, ses mains posées sur son corps et la sienne sur sa joue, Ace prit conscience de la puissance des sentiments qui s'emparaient de son cœur.

Ils ne firent aucune pause, même si leurs muscles commençaient à devenir de plus en plus douloureux, ils essayèrent de ne pas bouger. Ils bavardèrent pendant de longues heures, le cœur d'Ace fut comblé lorsque les deux personnes qui comptaient le plus pour lui rirent ensemble.

Le soleil s'était couché quand Andreï donna le dernier coup de crayon. Il était loin d'avoir fini, il n'avait fait qu'un croquis, n'avait entamé que le gros œuvre. À partit de là, il pourra se débrouiller seul.

— Eh bien, j'ai hâte de voir le résultat, souffla Tyler sans cacher son admiration.

On pouvait déjà avoir une idée du rendu. On devinait sans mal les deux hommes ainsi que les tissus qui les recouvraient. Derrière eux, Andreï avait reproduit la fenêtre avec le soleil en déclin.

— J'ai encore pas mal à faire et surtout le plus dur, notamment les ombres. C'est mon point faible. Je vous montrerai le résultat.

— Au fait, pourquoi tu as choisi ces couleurs de tissus ? demanda Ace en s'étirant.

Il avait mal aux jambes à force de rester debout et son bras le lançait.

— C'est simple, le rouge est synonyme de chaleur et de la colère, mais c'est aussi la couleur de l'amour passionnel. Le bleu symbolise la fidélité, la complicité et l'eau.

Ace leva les yeux, un sourire aux lèvres.

— C'est logique, bien sûr.

Tyler gloussa.

— Je suis persuadé que tu vas gagner, tu t'es donné à fond dans ce projet.

— Merci. Mais il y a des étudiants bien plus doués que moi.

— Ne te dévalorise pas comme ça. Ta toile sort de l'ordinaire, elle saura forcément se faire remarquer.

Andreï haussa les épaules sous les compliments de son meilleur ami.

— Nous verrons bien. Mais pour que j'aie ne serait-ce qu'une petite chance, je dois la finir. Allez venez, je vous sers une bière.

Les deux s'empressèrent de se rhabiller avant de rejoindre le Russe dans le salon. Ils burent un coup, avant de se commander à manger. Ils passèrent la soirée à discuter d'arts, de films et de filles.

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