Peter

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Chapitre 3 – Peter

Après de nombreux appels téléphoniques et des messages insistants, Peter réussit peu à peu à se faire une place dans cette petite famille. Une place encore discrète, presque invisible, mais réelle. Il était là. Présent. Bien plus souvent que le mari de Marie lui-même.

Peter n’était pas un homme comme les autres, et surtout pas celui qu’il prétendait être. Derrière ses sourires polis et ses attentions bien placées se cachait une histoire trouble. Les médias disaient qu’il avait perdu sa famille dans un tragique accident domestique. Un incendie, paraît-il. Un malheureux hasard. Mais certains détails ne collaient pas. Et surtout, il y avait ce doute qui planait, comme une ombre accrochée à ses pas.

Il savait approcher les enfants — mais jamais directement. Il passait toujours par les parents, gagnait leur confiance, s’insinuait dans leurs vies comme une main douce sur une épaule. Avec Marie, pourtant, les choses étaient différentes. Peut-être plus simples. Plus rapides. Ou peut-être voyait-il en elle une faille, une fragilité qu’il pouvait exploiter.

Peter ne parlait jamais de ses enfants, de ceux qu’il disait avoir perdus. Mais parfois, son regard s’assombrissait quand il croisait celui de Diego. Il avait sa façon bien à lui de punir les enfants — une façon qu’il disait « éducative », mais que seuls ceux qui l’avaient vécue savaient être tout autre chose.

C’était un homme pervers. Un homme dangereux. Et personne ne le savait encore.

Là, la veille, Peter était resté à la maison.

Marie, épuisée par la dispute de la nuit précédente, s’était endormie dans le transat du jardin, une bouteille vide renversée dans l’herbe. La lumière du matin perçait à peine les rideaux de la cuisine quand Peter referma doucement la porte-fenêtre derrière lui.

Il n’avait presque pas dormi. Pas parce qu’il était agité, non. Il n’avait pas besoin de sommeil comme les autres. Il préférait les heures silencieuses, les moments où tout le monde dormait, où les maisons respiraient lentement, vulnérables.

Il observa Marie à travers la vitre embuée. Ses cheveux étaient emmêlés, ses traits tirés, et son bras pendait mollement hors du transat. Elle avait dû pleurer. Encore. Mais Peter n’avait pas eu à faire grand-chose. Juste des mots. Bien placés. Assez pour qu’elle doute un peu plus d’elle-même, qu’elle se sente seule, abandonnée… perdue.

C’était comme ça qu’il les aimait.

Il monta à l’étage. Lentement. Il connaissait maintenant les craquements du bois sous ses pieds, les endroits où marcher sans bruit. Diego dormait encore. La porte de sa chambre était entrouverte, comme la veille. Comme à chaque fois que Marie oubliait de la fermer complètement.

Peter s’arrêta sur le seuil.

Il ne faisait rien. Pas encore. Il regardait seulement. Il se nourrissait de cette sensation — ce pouvoir fragile et insidieux qu’il aimait tant. Le contrôle. L’accès.

Il n’était pas pressé. Il ne l’était jamais.

Il descendit quelques minutes plus tard, comme si de rien n’était. Prépara du café. L’odeur s’insinua dans la maison. Marie bougea un peu dans son sommeil dehors, grogna. Peter la regarda encore un moment. Puis il sourit. Un sourire presque imperceptible.

Il allait rester.

Il avait encore du travail à faire ici.

Peter posa la tasse vide dans l’évier. L’eau du robinet coula un instant pendant qu’il lavait soigneusement la porcelaine blanche. Toujours propre. Toujours discret. Il ne laissait jamais de traces. Jamais.

Dehors, Marie avait fini par se redresser. Elle passa une main sur son visage, encore engourdi de sommeil et d’alcool. Elle ne remarqua même pas que Peter l’observait à travers les stores. Elle était ailleurs. Fatiguée. Trop.

Il sortit sur la terrasse, sa voix douce comme un murmure :
— Tu veux un café ?

Marie leva les yeux vers lui, hésitante. Son regard était vide, comme si elle cherchait encore à comprendre ce qui s’était passé la veille. Ce qu’elle avait dit. Ce qu’il lui avait fait croire.

— J’ai mal à la tête… murmura-t-elle.

Peter hocha la tête avec compréhension. Un faux air compatissant sur le visage.

— Je vais m’occuper de tout. Reste là, repose-toi.

Elle ne répondit pas. Elle le laissa faire. Comme toujours.

Il retourna à l’intérieur. Chaque geste était précis, mesuré. Il préparait le café, les tartines, mettait la table comme s’il avait toujours été là. Comme s’il avait toujours fait partie de cette maison. Il créait l’habitude. L’ancrage. Le quotidien. C’était son terrain.

Une fois le plateau prêt, il s’arrêta un instant dans le couloir. La porte de la chambre de Diego était maintenant fermée. Il l’écouta. Aucun bruit. Puis il descendit lentement au salon, posa le plateau sur la table basse et alla rejoindre Marie dehors.

— Je t’ai préparé quelque chose à manger. Il faut que tu manges un peu.

Marie ne répondit toujours pas. Elle regardait fixement l’herbe. Ou plutôt au-delà. Peter s’assit en silence à côté d’elle.

— Ce n’est pas facile d’élever un enfant seule, tu sais, dit-il doucement. Tu fais ce que tu peux… mais parfois, on a juste besoin d’aide.

Marie tourna légèrement la tête vers lui. Son regard était embué.

— Je suis fatiguée, Peter. J’arrive plus à tout gérer.

— Je sais, murmura-t-il.

Il posa sa main sur la sienne. Marie ne la retira pas.

C’était exactement là qu’il voulait l’avoir. Brisée. Hésitante. Isolée.

Bientôt, il serait celui qui prendrait les décisions. Celui qu’on remercierait d’être là. Celui qu’on écouterait, qu’on craindrait, qu’on n’oserait plus remettre en question.

Et Diego… lui apprendrait très vite à se taire.

Les jours suivants, Peter s’installa un peu plus. Il ne dit jamais clairement qu’il resterait, mais il ne repartit pas. Il prenait le courrier. Il réparait une étagère. Il préparait les repas. Il s’occupait de la maison comme si c’était la sienne , s’occper du petit garçon quand il fallait et la jeune femme le lasse faire , ne disait rien. Elle le laissait prendre de la place. Trop de place.

Diego parlait tout le temps, Diego. Un flot ininterrompu de questions, d’histoires inventées, de petits cris de joie en courant dans le couloir. Il avait toujours quelque chose à dire — à sa mère, à ses jouets, même à son assiette.

Un soir, Peter entra dans la chambre de Diego sans frapper. Il avait dans la main un petit livre illustré, celui que Marie lisait parfois à son fils avant de s’endormir.

— Tu veux que je te le lise ? Demanda-t-il.

Diego secoua la tête. Il tenait déjà son doudou contre lui, recroquevillé dans son lit.

Peter ne dit rien. Il s’assit sur la chaise à côté. Le silence s’installa. Pesant.

— Tu sais… mes enfants n’aimaient pas quand je leur lisais des histoires, dit-il soudain.

Diego le regarda sans bouger.

— Ils étaient bruyants. Insolents, parfois. Et quand on n’écoute pas les grandes personnes, il faut apprendre. Parfois, ça fait un peu mal, mais c’est comme ça qu’on grandit.

Peter tourna lentement une page du livre. Il ne lisait pas. Il regardait Diego.

— Ils ne m’écoutaient pas non plus, au début. Mais après… ils ont compris.

Il sourit, un sourire sec, sans chaleur.

— Ils n’ont plus fait de bruit.

Diego détourna les yeux.

Peter resta encore quelques minutes. Puis il se leva, laissa le livre sur la table de chevet et referma la porte derrière lui. Doucement. Sans un bruit.

Le passé de Peter – quelques jours plus tard (flashback narratif)

Peter regardait une vieille photo dans son téléphone, seul dans la cuisine. On y voyait deux enfants flous, debout devant une petite maison de campagne. Une cabane, en réalité. Derrière eux, une silhouette féminine, le visage à moitié caché dans l’ombre. Sa femme.

Il avait tout perdu là-bas. Enfin… c’est ce qu’on avait cru.

Les pompiers avaient parlé d’un court-circuit. Un feu qui avait ravagé la maison en pleine nuit. Mais personne n’avait compris pourquoi les enfants étaient enfermés dans leur chambre. Pourquoi personne n’avait entendu crier. Pourquoi Peter, lui, était sorti sans une égratignure.

L’enquête avait été close. Manque de preuves. Une tragédie domestique, avaient-ils conclu.

Il avait disparu pendant presque deux ans. Puis il avait changé de nom. De ville. Et il avait trouvé Marie. Une mère seule. Fragile. Parfaite.

Retour au présent – dans la cuisine

Diego entra dans la pièce, traînant les pieds.

Peter rangea son téléphone. Il sourit.

— Tu es debout, champion ? Tu veux des céréales ?

Diego ne répondit pas. Il s’assit lentement à table.

Peter posa une main sur son épaule. Il le fit doucement. Trop doucement. Comme on ferme une cage sans faire de bruit.

— Tu sais, avec moi, il faut écouter. Sinon… ça se passe mal.

Il avait dit cela en murmurant. Un souffle presque tendre, glissé dans l’oreille de l’enfant.

Puis, comme si rien ne s’était passé, il ouvrit le placard et sortit un bol.

Marie descendit quelques minutes plus tard. Les yeux cernés. Elle vit Peter s’occuper du petit-déjeuner de Diego, et pour la première fois depuis longtemps, elle sourit. Un sourire creux. Plein de soulagement. Elle croyait qu’elle n’était plus seule.

Elle ne voyait pas que le danger était déjà dans la maison.

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