Chapitre 9– La poupée-mousse

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Chapitre 9– La poupée-mousse

Le matin du sixième anniversaire de Diego aurait dû être un jour de lumière, de rires et de ballons colorés. Pourtant, la maison baignait dans un silence épais, presque hostile. L'enfant ouvrit les yeux avec l'enthousiasme naïf de ceux qui croient encore à la magie des anniversaires. Il descendit les escaliers en courant, espérant des surprises, des sourires, surtout ceux de son père.

Mais il n'y avait pas d'odeur de chocolat dans la cuisine, pas de chanson joyeuse, pas de ballons suspendus. Juste le silence.

En bas, Marie préparait un café, dos voûté, gestes mécaniques. Elle jetait parfois un coup d'œil vers l'escalier, écoutant le moindre bruit. Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Elle n'était pas prête. Pas pour cette journée. Pas avec lui dans la maison.

Nayla, plus matinale, était déjà sortie acheter quelques croissants. Elle savait que ce jour ne devait pas être entièrement gâché. Elle savait que, malgré tout, il fallait marquer le coup.

Hector, quant à lui, était encore assis à même le sol dans la chambre de Diego. Il n'avait pas osé dormir, de peur de paraître absent une fois encore. Le dos raide, les yeux cernés, il fixait son fils qui commençait à bouger dans le lit.

Diego entrouvrit les paupières. Son regard se posa sur la silhouette en contre-jour, et pendant un instant, il sembla figé entre rêve et réalité.

— Papa... ? dit-il, la voix enrouée par le sommeil.

Hector se redressa lentement, un sourire timide étirant ses lèvres.

— Oui, mon poussin. Je suis là.

Diego ne répondit pas tout de suite. Il resta couché, observant cet homme qu'il reconnaissait sans vraiment le reconnaître. Puis, doucement, il se redressa, tenant toujours sa peluche contre lui.

— C'est aujourd'hui... mon anniversaire, non ? demanda-t-il.

— Oui. Et je suis désolé de ne pas être là pour les autres.

Un silence. Puis Diego hocha la tête, simplement. Il ne pleura pas. Il ne sourit pas non plus. Il regardait son père avec cette gravité étrange qu'ont parfois les enfants abîmés trop tôt.

— Tu veux descendre ? proposa Hector.

— Est-ce qu'il y a un gâteau ?

Hector resta figé. Il n'avait rien prévu. Il n'y avait ni gâteau, ni bougies. Il avait oublié. Pris dans le chaos de son retour, dans l'appréhension, il n'avait même pas pensé à ça. C'était pourtant la seule chose que Diego attendait vraiment.

— Pas encore... mais on peut en faire un ensemble, si tu veux.

Diego baissa les yeux, haussa les épaules. Puis il murmura :

— Maman, elle fait toujours un gâteau au chocolat. Avec des vermicelles dessus.

Hector sentit une honte sourde le traverser. Il avait manqué tant de choses. Tellement de détails simples qui faisaient la vie de son fils.

— On va faire mieux que ça, dit-il doucement. Aujourd'hui, c'est toi le chef.

Ils descendirent ensemble. Dans la cuisine, Marie se retourna en les entendant. Elle ne dit rien, mais son regard s'attarda sur Diego, puis sur Hector.

— Tu veux quelque chose à manger, Diego ? demanda-t-elle.

— Papa a dit qu'on allait faire un gâteau.

Marie le regarda, surprise. Puis elle se contenta de répondre, presque neutre :

— Très bien. Je te laisse la cuisine.

Et elle sortit, laissant père et fils seuls dans cet espace trop propre, trop tendu.

Hector ouvrit les placards. Il n'y avait presque rien. Il se tourna vers son fils, embarrassé.

— Tu sais quoi ? Viens. On va aller acheter ce qu'il faut. Juste toi et moi.

Les yeux de Diego s'animèrent un peu. Pas beaucoup. Mais assez pour que l'espoir s'insinue entre deux battements de cœur.

— Tu crois qu'on peut prendre aussi des bougies en forme de dinosaure ? demanda-t-il en attrapant ses baskets.

— On va chercher les plus belles qu'il y a, promit Hector.

Et, pour la première fois depuis longtemps, Diego eut envie de courir. Même un peu. Même si ce n'était qu'un gâteau.

Le ciel était encore bas quand Diego et Hector revinrent des courses. Ils riaient doucement, un sac de farine sous le bras, une boîte de bougies-dinosaures dans l'autre. C'était maladroit, mais c'était vrai. Pour la première fois depuis longtemps, Diego s'était senti comme un petit garçon normal, avec un père à ses côtés. Hector, lui, savourait chaque geste, chaque mot de son fils. Il voulait figer ce moment.

Mais à leur retour, la voiture grise était déjà là, garée devant la maison. Diego la reconnut aussitôt. Il ralentit, son sourire vacillant.

— Il est là, murmura-t-il.

— Qui ça ? demanda Hector.

Diego ne répondit pas. Il baissa les yeux.

Sur le porche, Peter était assis, un bouquet de fleurs dans une main, une boîte rectangulaire dans l'autre. Il se leva en les voyant arriver. Grand, bien mis, poli jusque dans ses silences, il s'avança avec ce sourire doux et mesuré qu'il réservait aux moments délicats.

— Bonjour, Diego. Bonjour, Hector, lança-t-il calmement.

Hector s'immobilisa. Il avait entendu parler de Peter, évidemment. Il avait même vu des photos. Mais c'était la première fois qu'il le voyait en chair et en os. Il ne dit rien tout de suite. Il se contenta de détailler cet homme qui était entré dans la vie de son fils pendant son absence.

— Bonjour, répondit-il finalement, un peu raide.

Peter se tourna vers Diego, s'agenouilla un instant pour se mettre à sa hauteur.

— J'ai quelque chose pour toi. C'est ton anniversaire, non ? lui dit-il en lui tendant la boîte, joliment emballée.

Diego prit le paquet, jetant un regard incertain à son père.

— Tu veux l'ouvrir plus tard ? demanda Peter, comprenant son hésitation.

Diego hocha la tête, gardant le paquet contre lui.

Un silence s'installa. Pas agressif, mais chargé.

Peter se redressa. Il regarda Hector, puis lui tendit la main.

— J'imagine qu'on n'a pas besoin de discours. Je suis Peter. Et je suis là... depuis un moment.

Hector serre la main, brièvement.

— Je suis le père de Diego, dit-il simplement.

— Et moi, je suis là pour le soutenir. Et pour soutenir sa mère, répondit Peter sans hausser le ton.

Marie apparut alors sur le pas de la porte, attirée par les voix. Elle fronça légèrement les sourcils en voyant les trois hommes réunis.

— Peter... tu es venu plus tôt que prévu.

— Je me suis dit qu'un gâteau d'anniversaire méritait un coup de main, répondit-il avec un léger sourire.

Diego se tourna vers elle, puis vers Hector.

— On a déjà acheté les ingrédients, dit-il. C'est moi le chef.

Marie esquissa un sourire — bref, mais sincère.

— Alors allons-y, chef, dit-elle.

Dans cette maison trop pleine de non-dits, les choses avancèrent. Lentement. Entre regards et silences. Mais pour Diego, ce jour-là, il y eut un gâteau. Deux hommes. Une mère. Et peut-être... une chance de recommencer autrement.

La cuisine était trop petite pour trois adultes, surtout avec un enfant qui se prenait pour un grand chef. Diego portait un tablier deux fois trop grand pour lui, les manches roulées comme un petit boulanger de dessin animé. Son front était déjà barbouillé de farine, et son regard sautillait de l'un à l'autre, fier de diriger les opérations.

— Papa, tu peux casser les œufs. Peter, toi tu mélanges, d'accord ? Et moi, je verse le sucre.

Peter haussa légèrement les sourcils. "Papa", c'était un mot qu'il n'avait jamais revendiqué. Mais l'entendre adresser à Hector, aussi naturellement, le piqua sans qu'il se l'avoue.

— Reçu, chef, répondit-il en souriant doucement.

Hector, concentré, cassa les œufs avec maladresse. L'un d'eux éclata mal et laissa filer un filet de coquille dans le saladier.

— Raté, lança Diego en riant.

— Je m'améliore, répliqua Hector avec un sourire un peu nerveux.

Peter tendit une cuillère en bois à Diego, qui remua avec application.

— Tu fais ça comme un pro, dit Peter en le regardant.

— C'est parce que je regarde plein de vidéos de gâteaux sur la tablette de maman.

Marie, en retrait dans l'encadrement de la porte, observait la scène sans intervenir. Elle tenait une tasse de thé entre ses mains, comme pour se protéger du monde.

La cuisine sentait la vanille, le chocolat et... un peu d'espoir. L'ambiance était presque normale. Presque.

À un moment, Marie s'éloigna. Hector se retrouva seul avec Peter

Mais ce n'était pas le Peter du déjeuner, ni celui au sourire forcé, ni même celui qui avait tenté de faire bonne figure devant Hector. Il avait changé. Son regard s'était durci, quelque chose en lui s'était ouvert... ou bien laissé tomber. Son vrai visage. L'homme poli avait disparu. À sa place, une autre présence, plus sombre. Plus dérangeante.

Il entra dans la salle de bain sans dire un mot. Diego leva les yeux, un peu surpris.

— Maman t'a dit de venir ? demanda-t-il, confus.

Peter sourit. Un sourire qui n'atteignait pas ses yeux.

— Non, petit bonhomme. Je suis juste venu jouer un peu avec toi.

Il s'agenouilla doucement, fixant les bulles, puis Diego.

— Tu veux qu'on fasse semblant que t'es une poupée ? Une poupée vivante ?

Diego cligna des yeux. Il ne comprenait pas. Pas tout de suite. Mais quelque chose, dans la voix de Peter, dans sa posture, dans la manière dont il avait refermé la porte derrière lui... fit naître une sensation étrange. Une peur sourde, inconnue.

Peter s'agenouilla près de la baignoire, ses mains croisées sur le rebord en bois. Il observait Diego, silencieusement, comme on observe un jouet qu'on veut démonter.

— Tu sais, quand j'étais petit, j'adorais les bains, murmura-t-il. Surtout quand il y avait de la mousse. On peut tout cacher dans la mousse, tu ne trouves pas ?

Diego, mal à l'aise, repoussa doucement ses dinosaures vers le fond de la baignoire, comme pour se créer une barrière imaginaire. Il ne comprenait pas ce qui se passait, mais son instinct lui hurlait de rester immobile. D'attendre. Que ça passe.

Peter tendit la main, effleura la mousse.

— Regarde, on pourrait faire un déguisement. Toi, par exemple... tu serais la poupée-mousse. Et moi, je te transforme.

mais j'ai po envie, dit le jeune homme en rigolant, j'attend popa !

— Ton papa est au telephone, trésor. Aller fait moi plaisir, c'est pour ton anniversaire voyons, poussin.

Peter vena caresser les jambes du petit sous l'eau .

— et nan est que popa y appel mwa com ça et veux po la poupé ! 

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