14 décembre 1860

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Mon cher frère,

Des mois durant sans nouvelles de ta part ! Le paludisme aurait-il eu finalement raison de toi ? De grâce, ne fais pas l’affront à mère d’être mis en terre au fin fond des steppes de Pondichéry, elle ne saurait y survivre…

A défaut de ta santé, j’espère au moins que tes affaires se portent bien. Le notaire me dit que les investissements sont fructueux. Thérèse attend avec impatience que tu honores ta promesse de lui rapporter un diamant de la taille d’un raisin. Parait-il qu’on en ramasse des poignées à même le sol dans ta bourgade sinistre – bien que les caprices de notre sœur n’égalent pas la roublardise de son mari, qui s’empresserait de mettre le joyau au clou sitôt que tu auras mis pied à terre !

J’entends tes moqueries d’ici. Tu dois sans doute me qualifier d’hypocrite, moi qui ai passé ces cinq derniers mois à dilapider nos bénéfices en poker et fille de joie. J’espère tout du moins que le notaire t’en aura informé, je ne voudrais pas que cette missive soit porteuse d’une nouvelle si fâcheuse…

En parlant des frivolités de l’existence, je me trouvais hier soir dans le petit café, avenue des contrebandiers, où nous allions si souvent. Sache que l’affaire a été rachetée par des juifs russes qui en ont fait un repère charmant, où les paris vont bon train avec alcool et excès. Après avoir tenté de racheter mon honneur et ma dignité sur un tirage de carte contre un rustre de Montmartre, je me suis retrouvé affalé dans le confort lugubre d’une calèche qui trottait jusqu’à chez moi. La tête appuyé contre le montant de la fenêtre, je laissais mes yeux révulsés par l’alcool errer çà et là sur les badauds que nous dépassions.

Quand le cocher s’est engagé sur une avenue qui aurait dû m’être familière, mon regard s’est attardé par inadvertance sur une enseigne qui semblait avoir été installée récemment. De la peinture fraiche dégoulinait encore des murs de l’échoppe dont l’écriteau disait « Au magasin des suicides ». Je suis resté béat de stupéfaction le temps qu’a duré le passage devant ce commerce. Quelle façon bien étrange de nommer son entreprise… Sans compter que je ne saurais dire ce qu’on est susceptible de vendre dans ce type d’établissement.

J’ai questionné le cocher, qui m’a juré ses grands dieux n’avoir point remarqué pareil commerce. Le souvenir de cette bâtisse m’a hanté toute la nuit durant, jusqu’à ce que la fatigue finisse par m’emporter dans un sommeil sans rêve. Une bien étrange soirée mon frère, dont j’aurais peut-être le dernier mot si d’aventure je me rendais à nouveau en ce lieu. N’aie crainte, je te ferai part de mes découvertes si jamais il s’en produit.

Bien à toi,

Théophile

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