LVI. Le Voyage - (2/2)

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Brun fit signe à Anders d’avancer à son niveau.

— Une dernière formalité, capitaine, puis vous pourrez donner le signal du départ.

— Je croyais que cela revenait au Seigneur lumineux.

— Tant que nous serons en Orvbel, vous commandez. Une fois en Sangär, le seigneur Atlan prendra le relais. Nous, nous ne sommes qu’un passager.

— Très bien Seigneur.

Le cavalier se plaça en tête des troupes et attendit que Brun fût prêt.


À la grande horreur de Deirane, Brun descendit de cheval et se dirigea vers les trois femmes.

— Nous ne pouvions pas partir en voyage sans embrasser une dernière fois nos concubines, déclara-t-il.

Il commença par la plus proche : Laetitia. Il enlaça la fine taille de la Naytaine d’un bras et lui passa l’autre autour des épaules. Laetitia lui enserra le cou de ses bras. Ils échangèrent un baiser long et langoureux.

— Nous avons hâte de revenir profiter de tous ces charmes, déclara-t-il.

— Je vais les mettre au frais en attendant ton retour, répondit-elle.

La suivante était Deirane. Quand il se pencha sur elle, elle paniqua. Le souvenir de la punition que lui avait infligé Brun remonta à la surface. La douleur qui lui déchirait le dos et la poitrine à chaque coup revint dans toute sa virulence. Elle essaya de s’enfuir. La différence de taille entre elle et Brun était telle que c’en était presque ridicule. Elle n’avait pas la force de lui échapper. Le corps couvert de sueur malgré le froid ambiant, elle le laissa l’embrasser.

Une main délicate se posa dans sa chute de reins. Mericia. Elle venait à son secours, même si c’était d’une aussi faible façon. La concubine vait entendu les hurlements de souffrance de Deirane. Elle était présente quand on l’avait ramené dans sa chambre. Brun savait qu’il ne pouvait pas la blesser, alors il n’avait pas retenu ses coups. Et sans ce sort qui protégeait son corps, elle aurait fini en charpie. Déjà avec lui, elle portait de multiples hématomes violacés. Elle avait vu aussi Dursun revenir en larmes de sa séance avec Brun.

Elle-même avait souffert de la folie de Brun. Ça lui avait coûté plus cher qu’à Deirane vu qu’elle n’avait pas de sort de protection. Si cher qu’elle n’avait même pas pu parler à Deirane de ce qu’elle avait subi. La colère qu’elle ressentit face au roi lui permit de surmonter l’étreinte qu’il lui infligea.


Sa formalité accomplie, il accorda un dernier salut à ses concubines avant de rejoindre son cheval. Atlan suivit la progression de Brun à travers la cour. Il avait remarqué la réaction de Deirane quand il l’avait embrassé, bien loin de la femme effrayée, mais confiante qu’il avait eu le plaisir d’enlacer. Elle avait peur de lui. Non, elle était terrorisée. Le regard qu’il envoya au roi était tout sauf amical.

— Nous sommes prêts, annonça Brun à Anders.

Anders leva le bras pour retenir l’attention de ses hommes.

— Soldats de la garde rouge, êtes-vous prêt à accomplir votre office et protéger votre seigneur au péril de votre vie ?

Des vivas s’élevèrent au-dessus des deux rangées de cavaliers.

— Alors, en avant.

Il orienta la main en direction de la sortie de la cour.


Avec Atlan, ils se placèrent de part et d’autre de Brun. Ensemble, ils sortirent de la cour d’honneur. La troupe des Sangärens, disposée sur deux rangées parallèles leur emboîta le pas, suivie enfin des gardes rouges. La rue n’était pas assez large pour supporter trois chevaux de front. Anders et Atlan se positionnèrent devant Brun, de façon à le protéger.

À une demi-longe de l’entrée du palais se trouvait la caserne de l’armée d’Orvbel. L’escouade promise attendaient dans la cour d’exercice. À son arrivée, un petit groupe d’une dizaine de cavaliers se plaça devant en avant garde alors que le reste chevauchait à l’arrière. Ainsi escorté d’une troupe nombreuse, composée en partie de Sangärens. Le roi prit la direction du nord, vers le Sangär.


Deirane regarda les chevaux qui quittaient le parvis du palais. Quand le dernier eut disparu derrière la façade du temple de Matak, Deirane se tourna vers ses compagnes.

— Que fait-on maintenant ? leur demanda-t-elle.

— Je n’en ai aucune idée, répondit Mericia.

— Je suppose qu’on reprend nos activités habituelles en attendant le retour du roi, proposa Lætitia.

— N’y a-t-il pas un protocole à respecter quand il est absent ?

— Tout ce que son absence va changer, c’est que nous allons mieux dormir la nuit, fit remarquer Lætitia.

Elle baissa son regard sur le ventre de Mericia.

— Et toi, tu vas devoir résoudre ce problème avant son retour.

— Quel problème ? demanda innocemment Mericia.

— À d’autres. Je sais que tu es enceinte et que Brun n’est pas le père.

— Comment peux-tu te montrer si affirmative ?

— Depuis tout le temps que tu vis dans ce harem, tu n’as toujours pas compris que Brun est stérile ! Bruna n’est pas la fille de Brun, mais du prince. Toi je ne sais pas, un danseur de la troupe peut-être. En tout cas, pas Brun.

— Comment l’as-tu compris ? demanda Deirane.

— Ce n’est pas compliqué. Brun n’a engendré aucun enfant pendant quinze ans. Brutalement, il en a deux coup sur coup. Le premier, la mère s’est fait violer juste avant et le second arrive alors qu’il assouplit la discipline du harem ce qui permet à quelques concubines de rencontrer des hommes entiers.

Les souvenirs que Lætitia évoquait rappelait des moments pénibles à Deirane. La mère violée à qui Lætitia faisait allusion, c’était elle. Elle laissa ses deux compagnes s’éloigner afin de ne plus les entendre discuter. À la place elle reporta son attention sur ce qui se passait autour d’elle. Maintenant que le roi l’avait quittée, la cour d’honneur avait été rendue au peuple qui commençait à l’investir. La plupart des passants se rendaient au temple honorer Matak de leurs prières. Néanmoins, un petit groupe s’intéressait à ces trois belles femmes qui se tenaient aux pieds des marches menant à la grande porte.

— On devrait peut-être rentrer, suggéra-t-elle assez fort pour que les deux concubines l’entendissent.

Lætitia jeta un bref coup d’œil sur l’objet de l’inquiétude de Deirane.

— On ne risque rien, ils n’oseront pas nous faire du mal. En plus, ils n’en ont aucune raison.

Les eunuques qui accompagnaient toute concubine sortant du harem commençaient à manifester de la nervosité. Pourtant ils ne les poussaient pas à entrer. Ils avaient peut-être reçu des consignes, le roi aimait bien faire admirer ses trésors, même s’il ne les partageait pas.

— En fait, je vais peut-être tenir ma promesse avec ceux-là, déclara Mericia.

— Quelle promesse ? s’enquit Laetitia.

— Que c’était fini l’inaccessibilité des concubines en ce qui me concerne. À partir de maintenant je vais même devenir très accessible au plus grand nombre ! Je vais peut-être commencer avec ceux-là.

La réponse de Mericia arracha un sourire à Deirane. Laetitia manifesta plus de surprise.

— Tu vas trahir le roi ?

— Pas du tout, je reste une fidèle concubine.

— Je ne…

— Après les séances, je lui ferais un rapport détaillé sur les performances de ses sujets. Très détaillés.

La porte de la caserne s’ouvrit et des gardes rouges sortirent sur le palier. Deux seulement. Cela fut suffisant pour détourner les Orvbelians de leurs intentions, quelle qu’elles fussent. Ils se contentèrent d’admirer les concubines de loin. L’exotisme de Lætitia attirait beaucoup de regards. Sa peau sombre dans un pays au teint clair, sa haute taille et sa silhouette mise en valeur dans sa robe légère en dépit du froid déclenchait beaucoup de remarques qui ne laissaient aucun doute sur leur nature malgré la distance des participants. Deirane, dont la beauté était étouffée par le manteau épais dans lequel elle s’était engoncée, n’était pas en reste avec ses pierres précieuses incrustées dans la peau de son front et ses joues. Toutefois, la part du lion revenait à Mericia. Cette nymphe dénudée exposée à la vue de tous attirait la plupart des regards. Outre sa beauté éclatante, son corps superbe vêtu que d’un simple pagne et d’une paire de gants déclenchait de la curiosité et de l’étonnement de la part de la population. Comment faisait-elle pour se tenir presque nue dans la neige sans en souffrir ? Une question à laquelle Deirane aurait bien voulu connaître la réponse. Même chaudement couverte comme elle l’était, elle était frigorifiée.

— Si on rentrait, suggéra-t-elle.

— Bonne idée, confirma Mericia.

Au grand soulagement des eunuques, les trois concubines réintégrèrent la sécurité du palais et sa chaleur.

Mericia jeta un coup d’œil sur les citadins qui s’étaient aventurés dans la cour. Pourtant, elle ne les invita pas à la suivre. Il existait assez de recoins accessibles au public pour qu’elle pût se donner à eux comme elle l’avait promis. Pourtant, Laetitia avait bien senti la colère contenue dans sa voix quand elle avait annoncé ses intentions. Elle était persuadée qu’elle allait mettre ses menaces à exécutions. Deirane, en revanche, savait pourquoi elle avait renoncé. Calas était l’un des deux gardes venus en renfort.


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