LIX. Résistance
Les évadés du harem se réunirent dans le salon de la maison qui leur servait de refuge. Dursun remarqua avec beaucoup de malaise qu’elle était le point de mire de l’assistance. Elle était connue pour faire partie des personnes les plus intelligentes du harem, un club très fermé qui comprenait Salomé, Larein et, si on élargissait aux aîles privées, Dayan. Elle remarqua avec effrois que ce petit groupe subissait une mortalité très élevée. Sur les quatre, trois n’étaient plus de ce monde. Elle espérait ne pas les rejoindre. Et vu que les rebelles l’avaient placée à la tête de la résistance, elle risquait de devenir une cible. Elle trouva bizarre que celle qui voudrait bientôt la tuer était la même qui lui avait sauvé la vie, un an plus tôt.
Du regard, elle fit le tour de l’assistance. Elle avait devant elle des concubines, des domestiques, des eunuques, et des gardes rouges. Bien peu comparé à ceux qui vivaient dans le harem. Les autres, étaient-ils prisonniers où marchaient-ils avec Lætitia. Au harem, beaucoup voulaient voir Brun disparaître. Depuis la maladie, il avait changé. Son comportement s’était rapproché de celui de Jevin. Et encore, Jevin n’avait tué personne dans le harem, contrairement à Brun. Mais c’était Deirane ou Mericia qui avaient la préférence des concubines pour lui succéder. Et les eunuques partageaient la même opinion. Il n’y avait que les domestiques dont Dursun ignorait l’opinion. Elle ne fréquentait que Loumäi et Tea, deux femmes qui devaient la vie à Deirane, ce qui était bien peu et biaisé pour connaître l’état d’esprit du personnel.
— La première chose à faire, c’est de déterminer qui marche avec nous et qui est dans le camp de Lætitia, annonça-t-elle.
— C’est une bonne idée, fit remarquer Calas. Je crois que la plupart des concubines ignoraient qu’il y avait deux camps. Et que même maintenant, cela ne les interessera pas. Si Lætitia veut s’emparer du trône, qu’elle le prenne.
Dursun estima correcte l’analyse du garde. Dans sa grande majorité, les concubines ne s’intéressaient pas à la politique. D’ailleurs, les factions ne représentaient toutes ensemble qu’un tier du harem. Les autres se rassemblaient en petits groupes par affinité, mais sans organisation.
— Les choses ont changée, Lætitia est naytaine. Et toute sa faction aussi.
— Qu’est ce que cela change ? demanda Calas.
— Si le but ultime de Lætitia a toujours été de s’emparer du pouvoir, elle se serait entourée des concubines les plus aptes à la mener vers cet objectif, les plus musclée et les plus combatives. Terel par exemple aurait fait l’objet de toutes ses séductions. Mais elle n’a choisi que des Naytaines. Pourquoi ?
— Les Naytains sont plus grand que la moyenne, fit remarquer une concubine.
— En moyenne oui. Et cela n’en fait pas forcement des bonnes combattantes, ni même des bagarreuses, contrairement à Terel. Pourquoi pas Terel dans ce cas ?
Devant l’absence de réponse, elle continua.
— Parce que Terel est blonde. L’un des blonds les plus lumineux de ce harem, davantage encore que celui de Deirane. Et ce blond, totalement à l’opposé du noir des naytains, la révulse.
— Quand Lætitia a capturé Terel, elle lui a rasé la tête, intervint Loumäi.
Le frisson d’horreur qui secoua l’assistance en apprenant ce qui avait été infligé à la concubine n’échappa pas à Dursun. Elle remercia la domestique d’un léger mouvement de tête.
— Comme Loumäi l’a confirmé, Lætitia déteste ce qui n’est pas naytain. Elle est raciste. Même si elle l’a caché toute ses années, elle est raciste. On aurait pu s’en douter si on avait fait attention à celles qu’elle recrutait dans sa faction. Mais maintenant qu’elle peut l’exprimer au grand jour, combien vont supporter les brimades. Même Mericia, qui en raison de son ascendance naytaine a le teint relativement mat est beaucoup plus claire que Lætitia.
— Mericia est Naytaine ? Interrogea quelqu’un qu’elle ne put identifier.
— Non. Elle est Yrianie. Mais son grand-père l’est.
— Mericia est la petite-fille du vidame de Burgil, expliqua Calas.
— Comment en sais-tu autant sur Mericia ? s’étonna Dursun.
— Mericia porte mon enfant, répondit-il.
Devant la fierté que manifesta le garde, Dursun ne put s’empêcher d’éprouver de l’amusement.
Une concubine leva la main pour réclamer la parole, comme si elle était à l’école. Elle était jeune et si Dursun l’avait déjà croisée dans les couloirs, elle ne la connaissait pas. Toutefois, son attention fut détournée par une concubine qui frissonnait et frictionna ses épaules nues pour se réchauffer. Elle loua la présence d’esprit de Loumäi qui avait pensé à les faire s’habiller chaudement avant de partir. La plupart s’étaient enfuies dans la tenue qu’elles portaient à leur réveil. Certaines dormaient nues. Personnes ne l’étaient devant elle, elles avaient pensé à revêtir un peignoir avant de s’enfuir. Mais trois d’entre elle n’avaient qu’un fine nuisette transparente. Contrairement au harem, la maison n’était pas chauffé. Il n’était pas étonnant qu’elles eussent froid. Un garde rouge l’avait remarqué aussi. Il enleva sa veste d’uniforme et en recouvrit la belle frigorifiée qui le remercia d’un regard avant de serrer convulsivement les pans du vêtement autour de son corps. S’arrachant à cette distraction, elle incita la jeune concubine à parler. C’était une Naytaine, preuve que Mericia ne faisait pas l’unanimité même au sein de ses compatriotes.
— Vous êtes sûre de cela, dit-elle. Parce que les enfants du vidame de Burgil sont bien jeune pour avoir eux-même des enfants de l’âge de Mericia. L’aînée ne doit pas avoir plus de vingt ans.
Comme c’était à peu près l’âge de Mericia, cet enfant ne pouvait pas être le père de Mericia, et donc l’actuel vidame son grand-père. Ses renseignements seraient ils faux. À moins que...
— Comment s’appelle le vidame ? demanda Dursun.
— Arda, répondit la concubine.
— Je parlais du vidame Serig. Il n’est plus en poste ?
— Serig, cela fait cinq ans qu’il n’est plus vidame.
— Que s’est il passé ? Il a quitté la politique ?
— Non, il s’est fait élire à la fonction d’archiprélat.
Dursun ouvrit grand les yeux d’étonnement.
— Tu es en train de nous expliquer que Mericia est la petite fille de l’archiprélat de la Nayt ?
— Comment s’appelle la mère de Mericia ?
— Ses parents sont Ridimel et Meghare Farallon, répondit Dursun.
Sous l’émotion, la jeune femme se leva à demi.
— Mericia est la fille de Meghare Rohan ! s’écria-t-elle.
— Euh. Oui.
— Lætitia connait elle la valeur de son otage ?
— J’en doute. On est très peu à connaître l’identité de Mericia. Moi même, Deirane et très certainement Brun. Même Mericia l’ignorait jusqu’à il y a peu.
— Et lui, sait-il exactement avec qui il s’est amusé ? Si la Nayt l’apprend …
— Elle ne fera rien du tout, termina Dursun. Si l’archiprélat Serig est aussi professionnel qu’il l’était en tant que vidame, il ne fera jamais passer ses intérêts personnels avant ceux du pays. Et dans le cas contraire, les armées de la Nayt ne pourront jamais traverser le Sangär.
— Il y a d’autre moyens que l’armée pour anéantir un pays.
La discussion prenait un tour qui déplaisait à Dursun. Calas le sentit aussi puisqu’il leva la main.
— Cette nouvelle est très intéressante et elle pourra se révéler décisive, dit-il, mais il y a plus important à décider. Nous devons trouver un endroit où nous réfugier.
— Cet maison ne convient pas ? s’enquit Dursun.
— Non. Parce qu’elle est connue. La présence de ce souterrain est connue de quelques haut gradés de l’armée. Et j’ai tout lieu de croire que certains sont partie prenante dans cette rébellion.
— Qu’est ce qui vous faire croire cela.
— Je vous le dirai plus tard. Pour le moment nous devons décider où nous rendre.
Dursun n’eut aucune hésitation à répondre.
— On peut s’installer chez Venaya.
— Non, objecta Calas. Les liens entre Deirane et Venaya sont encore plus notoires que cette maison. Il faudrait trouver un meilleur endroit.
— J’ai entendu parler d’une femme qui héberge les gens sur le port, proposa une concubine. Elle s’appelle Maritza. On pourrait …
— Pas question, intervient Dursun aussitôt. Il ne faut pas l’impliquer. Cela la mettrait en danger et il n’en est pas question.
— Quelle importance ? Demanda Calas.
— D’abord nous n’en avons pas le droit.
— Mais ...
— C’est là bas que loge votre future reine, ajouta Dursun. Êtes-vous sûr de vouloir la mettre en danger ?
Le garde rouge n’ajouta rien. Soudain, son visage s’éclaira d’un sourire.
— J’ai l’endroit qu’il nous faut. Je connais une maison vide en ville qui ne comporte aucun lien avec Brun, ni avec Deirane.
— Vous êtes sûr de vous ?
— Parfaitement sûr.
— Je vais vous faire confiance. Nous nous y rendrons après cette réunion. Cette maison se trouve-t-elle loin d’ici ?
— Il faut traverser la ville. Si on se met en route rapidement, on devrait pouvoir être discret.
— Rapidement j’en doute. La moitié des réfugiées se sont enfuies telles qu’elles étaient habillée et les rues sont pleines de neige. Si ta maison est à plus de dix stersihons [environ 10 minutes], nous devons trouver des vêtements.
— On ne peut pas se réfugier chez Venaya, mais elle doit pouvoir nous fournir des vêtements, suggéra Calas.
— En fait, elle est à proximité du sérail de Biluan. Il nous faudra un petit calsihon [un peu plus d'un quart d'heure] pour l’atteindre.
— Un calsihon.
Dursun regarda une des concubines en nuisette. Elle avait un air fragile, et le teint très pale. Ils ne pouvaient pas la laisser en arrière. Elle serait vite reprise. Et si elle avait raison au sujet de Laetitia, cette dernière serait capable de la laisser dans cette tenue rien que parce qu’elle n’était pas Naytaine. Elle allait devoir s’aventurer presque nue dans la neige. La pauvre, elle allait souffrir. La maison proposée par Calas avait intérêt à être bien chauffée.
— Trouvez toutes les couvertures que vous pourrez. On y va tous et en un seul voyage. Il n’est pas question d’abandonner qui que ce soit.
Le fait que quelqu’un prenne des décisions sembla soulager les concubines et les domestiques. Seul Calas émit une objection.
— Et après ? Que ferons nous ?
— Je ne sais pas encore. Je n’y ai pas réflechi.
— Il le faudrait pourtant. Et vite. On ne pourra pas rester caché très longtemps. Nous devrons soit partir, soit contre attaquer.
— Il n’est pas question de nous enfuir en laissant Deirane entre les mains de cette garce.
Calas lui sourit face à ces paroles.
— Je ne comptais la lui laisser Mericia non plus. J’aurai été prêt à m’y attaquer seul. Mais si on marche ensemble.
Dursun regarda autour d’elle. C’était là toute son armée. Laetitia avait pour elle une dizaine de concubines entrainées, une partie de l’armée et peut-être quelques gardes rouges. Et face à ça, elle n’avait que des concubines. Seul Calas était un combattant aguerri. A moins que, les eunuques.
— Qui sait se battre ? Demanda Deirane. En dehors de Calas bien sûr.
A sa surprise, plusieurs mains se levèrent. La moitié des eunuques et quelques domestiques et deux concubines.
— Qui sait se battre réellement, une arme à la main, en étant prêt à tuer, précisa Dursun.
Une concubine baissa la main, mais l’autre la garda levée.
— Toi ? L’interpella Dursun en la dévisageant. Tu es vraiment une combattante.
— J’ai été élevée comme ça. Je suis une Samborren.
Une Samborren, comme Nëjya. Non, pas comme Nëjya. Elle était grande, mince et musclée. Seuls son teint sombre et ses cheveux longs lui rappelaient vaguement sa compagne disparue. Si elle était à la hauteur de ses compatriotes, elle serait redoutable avec une arme entre les mains.
— Cela fait donc six combattants, constata Calas.
Rien que la faction de Laetitia comportait plus de monde. Dursun avait besoin d’une armée plus sérieuse si elle voulait avoir une chance de délivrer Deirane. Mais où la trouver. Elle chercha qui pourrait lui venir en aide. Ses seules connaissances hors du harem se limitaient à Venaya et Maritza. Et aucune des deux ne possédaient une telle armée.
Soudain elle se rappela. Deirane lui en avait parlée, l’année précédente. Au nord de la ville, les anciens pirates qui avaient fondé Orvbel avaient été refoulés dans des bidonvilles. Ils étaient encore là, sans espoir de reprendre un jour le contrôle du pays. Mais si on leur promettait de les réintégrer dans la société orvbelianne, avec le titre de citoyen, ils pourraient bien accepter.
— Je crois que j’ai trouvé mon armée, annonça-t-elle.
Le sourire qui se dessinait sur ses levres se révella contagieux. Voire Dursun prendre réellement les choses en main avait rendu l’espoir à tous les réfugiés rassemblés dans cette pièce. Avec une telle générale, ils ne pouvaient que gagner la partie.
Calas mit fin à ce moment de joie.
— Je ne voudrais pas vous presser, mais il faudrait y aller maintenant.
Dursun acquiesca d’un mouvement du menton. Les domestiques distribuèrent les couvertures qu’elles avaient dénichées aux concubines les plus dénudées. Il en restait quelques unes, trop vêtues pour bénéficier d’une couverture, mais insuffisamment pour résister au froids. De plus, deux domestiques et une concubine étaient pieds nues ; elle s’enveloppèrent les pieds dans plusieurs couches de serviettes maintenue en place par des lacets de cuir que Calas puisa dans son équipement. Celles là auraient besoin de soin à l’arrivée, si elles voulaient éviter les engelures.
— Comment y allons nous ? Demanda Dursun.
— On se dispose en groupe compact. Les plus chaudement vêtues à l’extérieur du groupe et réchaufferons les moins vêtues qui seront à l’intérieur. Je passe devant et quand je donne le feu vert, vous me suivez. Les eunuques ferment la marche et récupèrent celles qui ne peuvent pas suivre.
— On dirait que vous avez fait ça toute votre vie, le complimenta Dursun.
— Heureusement que non.
Son regard se porta sur la concubine qui allait certainement le plus souffrir.
— Mon rôle n’est pas de torturer les concubines, mais de les protéger.
Il fit disposer les résistants en deux lignes, juste derrière la porte. Il ouvrit et sortit. Il jeta un premier coup d’oeil vers le palais. Personne ne s’était lancé à leur recherche. Cela signifiaient que les insurgés n’avaient pas encore le contrôle complet des lieux, sinon ils auraient entrepris de rattraper les fuyards. Puis il examina la neige. Elle avait été piétinée ces dernières jours. Leur passages ne s’en détacherait pas. C’était heureux, il ne connaissait pas ce matériaux, il n’était pas sûr qu’il aurait réussi à effacer correctement leurs traces. Il donna le signal.
— Suivez moi.
Les concubines s’élancèrent à sa suite. Dehors, elle s’organisèrent en une masse plus compacte, tentant de maintenir au chaud leurs consœurs les plus défavorisée. Et la migration à travers la ville commença.
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