LXI. Le retour - (2/2)

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Au début, tout se passa bien. Dans les rues désertes, la marche était aisée. Seul le crissement de la neige troublait le silence de la nuit. Calas était inquiet. Ce bruit risquait de les faire repérer par une patrouille. Mais jusqu’à présent, ils n’en avaient croisé aucune. Même le guet brillait par son absence. Il devait rester bien au chaud auprès du feu dans leur caserne. Le lendemain, ils n’auraient qu’à regarder les traces dans la neige pour savoir si des gens avaient profité de l’obscurité pour se déplacer. Le travail des gardiens de la ville s’en trouvait facilité depuis quelques mois. Calas pensa avec inquiétude que leurs propres traces conduisaient directement à leur cachette. Son seul espoir était que, la neige n’étant pas tombée depuis trois jours, elles se mélangeraient à celles des citadins.

Plus ils remontaient vers le nord, plus les maisons changeaient. Ils étaient toujours dans des quartiers populaires. Mais celui qu’ils venaient d’atteindre n’avait pas été incendié puis rénové. Les bâtiments plus anciens étaient en moins bon état. Elles étaient entretenues, cependant l’occupant avait juste pensé à l’efficacité des réparations plutôt qu’à l’esthétique. Elles devaient être quand même bien confortables. Dursun savait que plus au nord, cela changerait. La misère ferait son apparition, les maisons fourniraient à leur habitant, un toit qui ne serait étanche ni à la pluie, ni au froid. Et leur destination était un bidonville.

Quand la neige avait commencé à tomber, elle avait trouvé cela beau. Puis les batailles de boules de neige l’avaient amusée. Maintenant, elle voyait la face sombre de cet événement météorologique. Elle avait froid. Elle pensait s’être couverte chaudement. Pour le corps, cela allait. Mais la neige s’était infiltrée dans ses chaussures dans lesquelles elle avait fondu, plongeant ses pieds dans un bain glacial. Ses oreilles étaient tellement frigorifiées qu’elles la brûlaient. Quant à ses mains, crispées sur les poignées, elle ne les sentait même plus. Sa béquille glissa sur une plaque de verglas cachée sous la couche de neige. Elle serait tombée si Calas ne l’avait rattrapée par le bras.

— Ça va ? s’inquiéta-t-il.

Elle secoua la tête.

— J’ai froid, geignit-elle.

— Courage, on a fait les trois quarts du chemin. Il nous reste moins d’un calsihon à parcourir.

Calas dénoua les doigts crispés sur les béquilles. Il souffla dessus pour le réchauffer puis les glissa sous son manteau. Le corps de l’homme était chaud, il paraissait même brûlant, par contraste avec le froid ambiant.

— Je vais vous porter, déclara-t-il.

— Je suis trop lourde. Vous allez vous fatiguer.

— Vous rigolez ? Vous ne pesez presque rien.

Il la souleva du sol et la serra contre lui. Elle laissa reposer sa tête sur l’épaule solide du garde rouge.

Soudain, Calas se retourna et se recroquevilla, protégeant la jeune femme de son corps. Le choc du métal contre la pierre lui répondit. Les bras encombrés par le corps de la jeune femme, il ne pouvait saisir son épée. Il allait devoir se résoudre à la lâcher. Il n’eut pas le temps, une épée s’abattait sur sa tête alors qu’il était coincé dans un porche.

Au dernier moment, une arme étrange intercepta la lame, deux tiges de bois épais reliées par une courte chaîne de trois épais maillons. Quel bois ? Calas l’ignorait, mais le fil aiguisé de l’épée l’entailla à peine. Sous la surprise, l’assaillant recula. Le nouveau venu s’avança, s’interposa entre Calas et le soldat.

— Qui es-tu ? demanda ce dernier.

— Jaxtal. Et toi ?

— Tu t’opposes à une arrestation officielle.

— Une arrestation ? Cela ressemble plutôt à une exécution, le contredit-il en naytain.

Il se tourna un bref instant vers le garde rouge et sa protégée. Son regard se fixa sur Dursun.

— Je te trouve enfin. Nous avons à parler tous les deux.

Puis il refit face à son adversaire. Ses adversaires ! Ils étaient huit, une escouade au complet. Calas déposa Dursun sur la marche froide, mais dépourvue de neige, et se plaça à côté de Jaxtal, son épée, maintenant dégainée, à la main.

Sans prévenir, le combat s’engagea. Trois soldats s’élancèrent contre Jaxtal, le reste contre Calas. Ce dernier était un garde rouge, sa lame tenait ses adversaires à distance. Jaxtal, disposant d’une allonge plus courte, était plus au contact. Calas aurait cru que son arme, sans tranchant ni pointe, se révélerait inoffensive, mais quand elle heurta un crâne, l’homme ne se releva pas.

Voyant ses partenaires en difficulté, un spadassin quitta Calas pour attaquer le nouveau venu par-derrière. Sa tête fut violemment projeté en arrière, il s’effondra, le visage ensanglanté. À l’écart de la bataille, Dursun repéra un deuxième combattant en train de remettre une pierre dans sa fronde. Comme Jaxtal, il portait cette tunique à capuche dont un rabat masquait la face, que tout le monde utilisait en bordure du désert de feu. Et pas plus que Jaxtal, il n’était grand. Ainsi donc, ils étaient deux à être venus à leur secours. Les soldats renégats ne s’en étaient pas aperçus, ce qui allait causer leur perte.

Calas élimina son dernier adversaire et se tourna vers Jaxtal. Le seul encore debout préféra renoncer et s’enfuit. Il n’alla pas loin, la fronde interrompit sa course. Mentalement, Dursun compta les points : trois pour Calas, trois pour Jaxtal et deux pour Fronde.

Calas et Jaxtal se serrèrent le bras à la manière des Naytains, une pratique répandue en fait tout le long de la route de l’est. Puis Jaxtal se tourna vers Dursun. Il s’approcha d’elle et l’aida à se lever.

La main qui la soutint était douce quand il dut la rattraper parce que ces jambes se dérobèrent. Il la souleva dans ses bras avec encore plus de délicatesse que Calas pour la ramener à proximité du garde rouge. Le troisième combattant avait commencé à les rejoindre. Soudain, il s’immobilisa, comme hésitant.

Dursun se débattit.

— Posez moi ! ordonna-t-elle.

Se souvenant que Jaxtal utilisait la langue naytaine, elle allait traduire sa phrase. Mais Jaxtal avait compris. Il obéit, la soutenant juste ce qu’il fallait pour qu’elle ne perdît pas l’équilibre. Gardant la main sur l’épaule de l’homme aussi longtemps qu’elle le put, elle clopina vers le nouvel arrivant. Celui-ci dénoua la sangle qui maintenait sa capuche et la baissa, révélant enfin son visage.

— Nëjya ! s’écria Dursun.

Elle se précipita vers l’objet de son amour. Elle lui avait tant manqué. Sa jambe la trahit une fois de plus et elle se serait effondrée si Nëjya ne s’était avancée pour la rattraper. Profitant de ce que son amante la soutenait solidement elle lui caressa le visage. Puis elle ne put se retenir davantage et lui déposa un baiser tendre sur les lèvres. Nëjya l’enlaça.

Jaxtal posait sur eux un regard bienveillant.

— Je pensais que les relations entre personnes du même sexe répugnaient les Samborrens, ironisa Calas.

— Vous avez une drôle de façon de remercier ceux qui viennent de vous sauver la vie.

— Je vous prie de me pardonner. Ma remarque était déplacée.

Jaxtal accepta l’excuse d’un simple hochement de tête.

— Il faut croire que mon amour est plus grand que mon dégoût. Regardez comme elle est heureuse. Cela aurait suffi à justifier que je mette mes opinions de côté, si j’en avais éprouvé de telles.

Jaxtal n’avait pas tort. Tout en Nëjya exprimait la joie d’avoir retrouvé Dursun. Elle l’écarta d’elle et admira la silhouette de son amour.

— Tu as changé, dit-elle.

— Il ne s’est écoulé qu’une année pourtant depuis ton départ.

— Mais quelle année ! s’exclama Nëjya.

Elle prit Dursun sous le bras pour l’aider à marcher jusqu’aux deux hommes.

— Papa, dit-elle en naytain, je te présente celle que j’aime. Elle s’appelle Dursun.

— Ton père ! s’écria Dursun. Si j’avais su, jamais je ne vous aurais utilisé comme je l’ai fait tout à l’heure.

Jaxtal prit les mains de la jeune femme dans les siennes.

— Depuis quand un père n’a-t-il plus le droit de prendre sa fille dans ses bras quand elle éprouve un moment de faiblesse ?

— Votre fille, mais je…

— À moins qu’un autre homme joue déjà ce rôle.

— Plus depuis mes quatre ans.

— Dans ce cas, je le remplacerais. Aussi longtemps que je verrais ce pétillement dans les yeux de Nëjya.

— Papa ! s’écria la jeune femme sur un ton de reproche.

Il libéra l’Aclanli de son étreinte qui en profita pour reprendre appui sur Nëjya.

— Je suggère que l’on trouve un endroit chaud pour continuer cette discussion, intervint Calas.

— Nous allons vous accompagner, proposa Jaxtal. Où vous rendez-vous ?

— Ce ne sera pas nécessaire.

Le Samborren jeta un coup d’œil sur les deux jeunes femmes, étroitement serrées l’une contre l’autre.

— Je crois que si, le détrompa-t-il.

Calas se contenta de hocher la tête. Jaxtal avait raison. Maintenant qu’elles s’étaient retrouvées, rien ni personne ne pourrait les séparer. Tous ensemble, ils reprirent leur marche vers le nord.

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