XVI. L'Assaut - (2/4)

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Un instant plus tard, un groupe constitué de trois concubines et de cinq stoltzt se présentait devant le tunnel. L’étroitesse de la galerie causa un problème auquel Dursun n’avait pas pensé. Elle ne pouvait pas utiliser ses béquilles. C’est donc sans qu’elle s’y engagea. Elle espérait que sa jambe tiendrait jusqu’au bout. Mais dès le début, les obstacles entravèrent leur progression. Un escalier les amena nettement en dessous du sol, sous le niveau même des couloirs de service. La lueur de la lampe n’éclairait qu’une petite zone autour d’eux. À cela, s’ajoutait l’atmosphère rendue humide par son confinement immémorial. Malgré le froid ambiant, Dursun se retrouva rapidement en nage.

Au bout d’un moment, sa jambe commença à la faire souffrir. Elle essaya d’ignorer la douleur. Dans ce passage étroit, personne ne pourrait l’aider. Quand elle eut si mal qu’elle ne put s’empêcher de boiter, elle sentit la main de Nëjya se poser contre sa taille. Son amante était consciente de son handicap. La savoir si proche suffit à redonner de la force à Dursun.


L’Orvbel était une cité située entre la mer et une épaisse forêt. Grâce à cet emplacement, de nombreux reptiles volants l’investissaient, surtout les plus petits. Aussi personne ne faisait attention à un scaptin qui s’était posé sur le faîte du toit. Il surveillait consciencieusement les allées et venues dans les cours, malgré l’heure tardive. Il avait vu Dursun et les siens envahir les jardins du harem jusqu’à la salle des tempêtes. Un simple vol au niveau des fenêtres lui avait permis de constater la victoire.

Il déploya ses ailes, étonnamment longues pour un animal si petit, et décolla en direction de la caserne des gardes rouges. Le scaptin se posa devant la bouche d’aération du bâtiment. Elle avait été conçue pour être occultée facilement. La nature de l’attaque avait rendu cette défense inutile. Le reptile perdit alors son apparence animale et se transforma en une flaque de gélatine. Il coula le long du conduit jusqu’au poste de surveillance. Là, il glissa sous un banc sous lequel il reprit forme. Il avait maintenant l’aspect d’un jeune loup.

Quand le poste avait été pris, le garde de faction s’était réfugié dans la salle de repos, juste derrière. Il n’avait pas été capturé, mais il ne pouvait pas sortir. Malgré tout, sa surveillance mobilisait quatre soldats qui auraient été mieux employés ailleurs. Blaid examina attentivement leur position dans la pièce. L’un d’eux, s’amusait à lancer sa dague en l’air et à la faire tournoyer avant de la rattraper. Un autre tentait, sans succès jusqu’à présent, de rallumer les écrans de contrôle. Les deux derniers étaient assis par terre et jouaient aux dés. Son plan d’attaque définit, il s’installa, les pattes antérieures repliées sous le museau et attendit. Le signal de Dursun ne devrait plus tarder maintenant.


Devant le stoltz qui ouvrait la marche, le couloir bifurqua brutalement avant d’aborder un escalier.

— Je crois que nous arrivons, indiqua Alstor à ses suiveurs.

Effectivement, sur le palier minuscule, le tunnel était barré par un panneau de pin noir retenu par des griffes métalliques. Il suffisait de les tourner pour le libérer, mais une telle opération ne pouvait être effectuée que depuis le passage secret. Il était impossible de l’ouvrir depuis la pièce où il aboutissait.

Alstor dégagea l’ouverture. La salle derrière était sombre. Il s’avança, sa lampe à huile à la main. Il regarda autour de lui. Cela ressemblait à un salon dont les meubles auraient été repoussés dans un coin.

— C’est bon, chuchota-t-il, il n’y a pas de danger. Vous pouvez venir.

Un à un, la petite troupe d’assaut sortit du tunnel. Quand tout le monde fut entré, Nëjya voulut remettre le panneau de lambris en place. Non fixé, il ne tenait pas. Elle espérait que personne ne le remarquerait. Un tel passage conduisait au cœur de la zone contrôlée par les eunuques. Heureusement, son étroitesse limitait son avantage.

Soudain, la pièce s’illumina. Aveuglée, Dursun ferma les yeux.

— Quelle surprise ! s’écria une voix qu’elle ne connaissait que trop bien.

Encore sous le coup de l’éblouissement, Dursun se tourna dans sa direction. Lætitia se tenait devant elle, hors de portée, accompagnée de quelques fidèles et d’une escouade au complet de soldats. Comment Alstor n’avait il pas pu les voir quand il avait exploré la salle ? D’accord, Lætitia avait la peau sombre. Mais il aurait dû distinguer l’uniforme clair des militaires. Alstor fournit la réponse immédiatement. Il poussa Dursun en avant. Déséquilibrée, sa jambe lâcha et elle tomba.

— La voici comme promise, déclara-t-il.

— Je constate ça. Et avec un petit cadeau en prime.

Son regard s’était braqué sur Nëjya qui n’avait d’yeux que pour Dursun.

— Ainsi tu es revenue.

— J’avais besoin de cuir pour de nouvelles bottes. Je me suis dit que ta peau ferait l’affaire. Sauf que quand j’en aurai fini avec toi, elle sera trop abîmée pour un quelconque usage.

Lætitia éclata de rire.

— Toujours ce sens de l’humour si particulier.

Dursun, elle, surveillait Alstor.

— Comment avez-vous pu nous trahir ? demanda-t-elle.

— Dame Lætitia m’a fait les mêmes promesses que vous, expliqua-t-il. Mais sans Zakas dans l’équation. Tant qu’il était au pouvoir, je n’avais aucune chance de progresser et il est trop habile bretteur pour que je le tue en combat singulier.

Ainsi Zakas n’avait pas trahi. La situation n’était pas perdue.

Les regards hostiles des stoltzt s’étaient tournés vers le traître. Prudemment, Alstor s’écarta d’eux.

— Enfermez tous ces gens, ordonna Lætitia. Sauf elle.

Elle désigna Nëjya de la main.

Une concubine empoigna Dursun par le bras pour la relever. Sous la brutalité du geste, elle cria de douleur.

— Ne la touchez pas ! s’écria Nëjya.

Elle s’élança, se jetant au secours de son aimée. Trois hommes se portèrent à sa rencontre, bouclier en avant. Leur protection déjoua son attaque. Ils la projetèrent au sol. Le reste de l’escouade entoura les autres prisonniers. Tout combat était inutile tant la différence de force était flagrante. Un stoltz essaya de s’enfuir vers les tunnels. Sans hésiter, un soldat lui planta son épée dans le dos.

Les soldats avaient repoussé Nëjya contre un mur. L’un d’eux l’assomma de son bouclier. En voyant son amante s’effondrer, Dursun se mit à hurler. Un soldat l’empoigna par la taille. Elle avait beau gesticuler, battre des pieds, elle était trop menue pour se défendre. Lætitia ne tint aucun compte de ses cris. Elle se tourna vers le chef de l’escouade.

— Sergent, vous vouliez tester l’effet que cela faisait de dominer une Samborren. Je vous propose celle-là. En plus, elle n’aime que les femmes. N’hésitez pas à lui démontrer son erreur.

— Salope ! s’écria Dursun.

— Ce n’est pas moins qui fait des cochonneries avec les femmes, riposta Lætitia

Le sergent releva Nëjya toujours inerte.

— Pas grand-chose à béqueter, fit-il remarquer.

— Quand vous lui aurez enlevé sa cuirasse, vous changerez d’avis.

Le fait de voir sa compagne en danger calma Dursun. Elle avait l’esprit clair, parvenait à réfléchir. Elle devait créer une diversion. Et elle disposait de ce qu’il fallait pour cela. Elle glissa la main dans sa poche et attrapa la petite boule d’albâtre. Cet objet était étrange, il fallait le briser pour libérer le sort qu’il contenait. Mais l’action devait être volontaire. Il était assez fragile pour que même un enfant pût le déclencher, et pourtant jamais l’un d’eux ne s’était cassé spontanément malgré les manipulations qu’il subissait. Dursun le serra dans sa paume. Quand il éclata, une légère décharge lui chatouilla la peau.


Le collier que portait Blaid grésilla. Le signal. Dursun avait lancé l’attaque. Elle était donc en position. C’était à lui d’agir. Sans le moindre bruit, il rampa hors de sa cachette. Un petit placard le masquait à la vue des soldats. Soudain, il s’élança. Et ce fut un déchaînement de violence. Il arracha la tête du premier homme sans qu’il ait compris ce qui lui arrivait. Le second eut le temps de dégainer avant que des dents aiguisées comme des rasoirs ne se referment sur son bras et le sectionnent. Il s’effondra en hurlant de douleur le sang giclant par à coups du moignon. Le dernier se montra plus prudent. Il interposa de son bouclier. La vision des crocs qui doublèrent de longueur pendant les quelques pas que ce monstre mit à l’atteindre le subjuguèrent un instant de trop. Les mâchoires s’allongèrent au point d’envelopper la protection et la réduire en miette, emportant la main avec.

Blaid était maintenant maître de la salle. Il adopta la forme d’une petite fille à la peau sombre et appela.

— Monsieur le garde rouge, vous pouvez sortir, il n’y a plus de danger.

Devant l’absence de réponse, il insista.

— Les soldats sont tous morts, vous pouvez sortir.

— Vous me prenez pour un imbécile, espèces de monstres. Où avez-vous trouvé cet enfant ? Dans l’école du harem. Vous devriez avoir honte.

— Je suis Fallen, je suis la fille de Deirane.

Personne ne répondit. Blaid traîna alors un corps près de la porte. Le sang qui continuait à en sortir s’écoula sous le battant. Cela dut décider le garde puisqu’elle s’entrouvrit.

— Je ne décèle aucune peur dans ta voix.

— Pourquoi aurais-je peur ? Il n’y a que moi ici.

Le garde rouge passa la tête par l’entrebaillement et regarda. Devant les corps mutilés, il haussa un sourcil d’étonnement.

— C’est toi qui as fait ça ?

— Non.

— Qui alors ?

— Je ne sais pas. Je suis arrivée, ils étaient déjà morts.

Si la faible durée entre la mort des soldats et l’arrivée de Fallen le surprit, il ne le montra pas. Le garde rouge entra dans le poste de surveillance. D’un rapide coup d’œil, il estima la situation. Il n’y avait plus personne de vivant, hormis cet enfant et lui-même. Son regard s’arrêta sur la table.

— À boire ! s’écria-t-il. Ça fait deux jours que je suis enfermé là-dedans, sans rien.

Il but à même la carafe, sans se verser une chope. La bière était infecte, pourtant elle lui parut comme le plus délicieux des nectars. Puis il s’empara d’un cuisseau à moitié dévoré et le nettoya.

— Tu as dit t’appeler Fallen ? Moi, c’est Vistrol. Tu as peut-être faim.

— J’ai déjà mangé.

Si Vistrol avait fait plus attention aux cadavres, il aurait remarqué qu’il manquait des morceaux.

— Il faut faire vite, l’attaque est lancée.

— Quelle attaque ?

— Daniel et ses amis. En deux groupes, le premier chez les domestiques et le second dans l’aile nord-ouest du harem.

— Très bien.

Vistrol se leva et brancha la console de surveillance. En un instant, tous les écrans s’allumèrent. Les couloirs étaient encombrés de gens. Paradoxalement, il vit peu de concubines parmi eux. La plupart se terraient dans leur suite. Il repéra facilement les zones de combat aux endroits indiqués par l’enfant. Il ne mit que quelques instants pour prendre la mesure de la situation. Il remarqua Calas dans l’un des groupes d’assaut.

— Mes compagnons sont déjà sur place. Je dois les rejoindre.

Il montra un écran.

— En attaquant à cet endroit, la surprise permettra de briser la défense ennemie.

Il éteignit la console.

— Toi, tu ne bouges pas d’ici, ordonna-t-il. C’est dangereux. Et quand je reviendrai, tu as intérêt à être là, tu me dois des explications.

Sans plus de façon, il décrocha une épée des doigts d’un cadavre et prit le dernier bouclier intact. Puis il s’élança hors de la salle, en direction du harem.

— Attendez ! s’écria Blaid. Des gens sont prisonniers, ici.

Mais Vistrol était déjà loin. L’appel tomba dans le vide.


La cuirasse de Nëjya n’était pas évidente à enlever. Ce n’était pas une de ces robes de concubine en soie que le soldat aurait pris plaisir à découper pendant que ses collègues maintenaient les prisonniers à l’autre bout du salon. Là, il avait affaire à une robuste tenue en cuir étroitement ajustée et fixée par de solides agrafes, apte à protéger sa porteuse des coups d’épée. Il avait à peine progressé dans son opération que la porte s’ouvrit brutalement.

— Les eunuques attaquent ! s’écria-t-il.

Le sergent se détourna de sa victime.

— Déjà ! Je ne m’attendais pas à ce que ces tapettes soient si rapides.

— C’est trop tôt, confirma Alstor, on devait leur envoyer un signal.

— Quel signal ? demanda Lætitia.

— Un sort qu’on devait briser.

— Où est ce sort ?

Alstor désigna Dursun.

— C’est elle qui l’a.

— Et c’est seulement maintenant que tu le dis !

Le sergent empoigna la jeune femme par le bras.

— Ce sort, où est-il ? aboya Lætitia

— Je l’ai activé ! lança-t-elle crânement.

En deux pas, Lætitia les rejoignit. Elle décocha une gifle Dursun.

— Salope. Tu ne perds rien pour attendre. J’espère que Deirane aime les puzzles. Elle en aura besoin quand je t’enverrai à elle.

— Plus tu t’en prendras à moi, plus sa vengeance sera terrible.

— Tu as lu trop de romans. Elle ne se vengera pas, je ne lui en laisserai pas l’occasion. Elle sera morte avant de le pouvoir.

— Comment comptes-tu la tuer ? Brun lui a donné mille coups de fouet, elle n’a même pas une égratignure.

— Si je l’enterre vivante, résistera-t-elle ?

D’un geste, elle enjoignit aux soldats d’emporter les prisonniers. Escortant les concubines et les stoltzt qui les accompagnaient, ils quittèrent le salon. Lætitia leur emboîta le pas, avec ses suivantes. Elle verrouilla la porte derrière elle. Quelques soldats traînèrent des meubles afin de condamner l’accès. La révoltée voulait s’assurer que ce salon ne serait pas une source d’invasion. Dans la cohue, elle avait oublié Nëjya, toujours inerte derrière son canapé.

Un moment après qu’elle fut partie, une forme humaine émergea du tunnel. Elle tenait une lampe à huile. Guidée par cette faible lueur, elle explora la salle. Elle ne tarda pas à dénicher Nëjya. Dënea s’accroupit à côté d’elle. Elle observa un longuement sa rivale, étendue devant elle, incapable de se défendre. La situation était trop tentante. Elle n’avait qu’un coup de couteau à donner, et Dursun lui appartiendrait pour toujours. Sa main se referma sur la poignée de son arme. Elle hésita.

— Je ne suis pas une meurtrière, murmura-t-elle enfin.

Elle se releva, posa sa lampe sur un guéridon. Puis elle attrapa les bras de la Samborren et la tira jusqu’au tunnel. Elle laissait une traînée de sang derrière elle. Les blessures de la jeune femme étaient plus graves que ce qu’elle avait vu, mais elle semblait respirer normalement. Les eunuques sauraient la soigner, ils étaient doués pour cela. Elle eut du mal à passer le seuil de la galerie, n’arrivant pas à soulever suffisamment le corps pour le franchir. Elle y parvint, non sans infliger d’autres égratignures à la jeune femme. Elle ne pouvait rien y faire et de toute façon, même couturée de cicatrices, elle resterait plus belle que la plupart des femmes de ce monde.

Une fois l’obstacle surmonté, elle referma le panneau. Maintenant qu’elle avait atteint la sécurité, elle s’autorisa à souffler un peu. Elle allait avoir du mal à transporter le corps dans ce tunnel étroit. Mais elle avait tout le temps. Après s’être reposée, elle se mit en route.


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