XVII. L'Assaut - (3/4)
Le groupe de soldats qui surveillait l’accès aux cellules était trop nombreux même pour Blaid. Il opta pour une arrivée plus discrète. L’idéal aurait été de se métamorphoser en petit animal, tel un insecte. Malheureusement, il pouvait changer la répartition de sa masse, pas la modifier. Quelle que soit la forme qu’il adopte, elle aurait la taille d’un loup adolescent. Il pouvait toujours se transformer en essaim ; cependant, le danger était trop important que certains éléments refusent de réintégrer son corps. Et puis, sa conscience disparaîtrait, même si ce n’était que temporaire et l’objectif risquait d’être perdu de vue. Il eut soudain une idée.
Le bruit alerta aussitôt les geôliers. Ils saisirent leurs armes en se tournant vers son origine. Un ballon, un simple ballon, quoique de grande taille. Il ne présentait aucun danger, contrairement à celui qui l’avait lancé. Ils se désintéressèrent de l’objet, et fixèrent le couloir du regard. Quand il tomba dans l’escalier jusqu’au sous-sol, ils l’oublièrent.
Un soldat plus courageux que les autres s’avança au bout du couloir. Il regarda au-delà de la porte qui le clôturait, sans déceler la moindre menace. Puis il s’engagea plus avant et disparut à leur vue. Un instant plus tard, il réapparut.
— Personne, annonça-t-il.
— Qui a lancé ça alors ? demanda le lieutenant qui commandait le groupe.
Le soldat haussa les épaules d’ignorance. Puis il jeta un coup d’œil dans le poste de garde. Ses yeux se révulsèrent.
— Venez vite ! s’écria-t-il.
Ses compagnons le rejoignirent. En découvrant le carnage, ils eurent un haut-le-cœur. L’un d’eux hoqueta avant de vomir pour de bon.
— Sur vos gardes, ordonna le lieutenant. J’ignore quelle arme l’ennemi a utilisée. On barricade le couloir. Personne n’entre ni ne sort.
Blaid profita de ce que les soldats s’étaient éloigné pour reprendre sa forme canine. Il trotta jusqu’aux geôles. Un dernier planton en assurait la surveillance. Voilà qui allait lui faciliter. La vie. Silencieusement, il s’élança. Au dernier moment, il jappa. Le garde se retourna. Les mâchoires se refermèrent aussitôt sur sa gorge. Il mourut sans avoir pu proférer un cri.
La clef qui tourna dans la serrure avertit Deirane. Mais au lieu de Lætitia, ce fut un enfant qui entra.
— Qui es-tu ? demanda-t-elle.
— C’est Dursun qui m’envoie, répondit-il.
Deirane réveilla ses compagnes.
— Que se passe-t-il ? maugréa Mericia. Laisse-moi dormir.
— On part d’ici.
Blaid choisit une clef du trousseau qu’il tenait et libéra Deirane. La jeune femme massa son cou endolorie par le lourd collier de métal avant de se relever. Terel était déjà debout, elle aidait Mericia à se redresser.
— Tu avais raison, dit Terel. Je n’y croyais pas.
— Mais pourquoi Dursun a-t-elle envoyé un enfant ! s’écria Mericia. C’est dangereux.
En guise de réponse, Blaid lui tendit la veste d’uniforme qu’il avait récupéré sur le geôlier. En temps normal, le sang qui maculait le col l’aurait dégoûtée. Là, elle n’y porta aucune attention. Elle l’enfila, appréciant d’avoir enfin chaud après deux jours d’exposition au froid.
— Tu n’aurais pas apporté de quoi me couvrir les jambes ? demanda-t-elle.
— Il faut la prendre sur le garde dehors.
Elle sortit. En trouvant le cadavre, elle poussa un cri de surprise. Ses compagnes la rejoignirent.
— Qui a fait ça ? s’interrogea Terel.
— Un chien, répondit Blaid.
— Un chien ? Ce n’est quand même pas ton petit toutou qui a fait ça !
Puis elle s’accroupit et commença à retirer le pantalon du soldat.
— Il est trop jeune, protesta Deirane. Ce n’est qu’un chiot.
— Cela fait un moment que ce n’est plus un chiot, fit remarquer Mericia. Il a bien grandi depuis son adoption.
La belle concubine s’habillait avec les vêtements que lui passait Terel. Un instant plus tard, hormis les bottes, elle ressemblait à un soldat de l’armée régulière. Un soldat avec de la poitrine, des hanches et de longs cheveux.
— Ça fait du bien ! s’écria-t-elle.
Terel s’empara du sabre et de la dague de leur geôlier. Puis elle se redressa.
— Et maintenant ? demanda-t-elle.
Deirane se tourna vers Blaid.
— Quelle est la situation ?
— Daniel et Zakas attaquent depuis le bâtiment des eunuques en deux points. Dursun avec une petite équipe de stoltzt les prend à revers.
— Cet enfant me paraît bien mûr, fit remarquer Mericia. Il parle comme un adulte.
Deirane leva la main pour l’inciter au silence. Elle sourit malgré tout. Si elle connaissait la véritable nature de cet enfant… Elle-même n’avait pas mis longtemps à comprendre. Ses yeux bleu pâle l’avaient trahi. Le garçon continua.
— Des gardes rouges sont enfermés dans les geôles.
Mericia s’empara du trousseau de clefs.
— Qui est Zakas et d’où sortent ces stoltzt ? demanda Deirane.
— Ils viennent du quartier nord et Zakas est leur chef.
— Du quartier nord ! Les anciens pirates ! Dursun a passé un accord avec eux ! Bonne idée.
— Cette petite est bien dégourdie, fit remarquer Terel. Je l’ai sous’estimée.
Une voix grave interrompit ses réflexions. Deirane se tourna vers son origine. Mericia avait déjà libéré de leur cellule un groupe d’hommes. Ils étaient en civil. Avec leurs vêtements élégants, jamais on n’aurait soupçonné des gardes rouges, s’ils n’avaient arboré cette longue moustache tombante.
— Comment avez-vous pu vous faire capturer ? s’enquit Terel. N’êtes-vous pas un corps d’élite ?
Le garde rouge se retourna. Il allait répliquer. Son regard tomba sur Deirane. Il reconnut aussitôt la reine, bien que le Seigneur lumineux ne la désignât pas comme telle. Il se mit au garde à vous.
— Dame lumineuse, adjudant Simian. La nuit de l’attaque, nous n’étions pas en service. Nous sommes sortis en ville, séparément. Ils nous ont pris quand nous sommes rentrés. Seuls et sans armes, face à une escouade complète, résister aurait été du suicide. Et nous devions rester vivants si nous voulions avoir une chance de repousser l’invasion.
— Maintenant, vous êtes libres, fit remarquer Deirane. Mais vous n’avez toujours pas d’armes.
— Je ne dirais pas cela.
Il délesta Terel de son sabre.
— Voilà qui me sera plus utile qu’à vous.
— Je sais m’en servir, protesta-t-elle.
— Je n’en doute pas.
Il réalisa quelques moulinets afin de tester son équilibre.
— Correct, lâcha-t-il simplement. Où puis-je en trouver d’autres pour mes compagnons ?
— Je ne sais pas, répondit Blaid. Un groupe de huit hommes vous sépare de l’armurerie.
— Donc huit sabres. Allons les chercher.
Les quatre gardes partirent en avant.
— Tu restes ici, ordonna Deirane à Blaid. Un enfant n’a pas à voir ce qui va se passer.
— Compris, répondit Blaid.
Les concubines s’élancèrent à la suite des gardes. La traversée de la salle d’interrogatoire arracha des frissons à Mericia tant elle y avait souffert. C’était là qu’elle avait perdu sa main.
Alors qu’ils abordaient l’escalier, un jeune loup les rejoignit.
— Mais c’est ton chien. D’où sort-il ? chuchota Terel.
D’un doigt sur les lèvres, Simian lui fit signe de se taire. Puis, sans faire le moindre bruit, il commença à grimper. Blaid le suivit avec autant de discrétion. Simian apprécia sa présence à ses côtés. Il connaissait l’avantage tactique d’une bonne paire de crocs.
Le rez-de-chaussée atteint, il évalua la situation. Les soldats ennemis lui tournaient le dos, leur attention accaparée par la porte d’accès à la caserne, comme s’ils craignaient une invasion imminente de ce côté.
Toujours sans bruit, il s’approcha du plus proche. Sans sommation, il lui planta son sabre dans le dos. Pendant sa chute, il s’empara de son arme et la lança derrière lui. Un de ses compagnons la saisit. Alertés par le bruit, les soldats s’étaient retournés pour faire face. Le combat s’engagea. Malgré leur faible nombre, les gardes rouges prirent l’avantage. Rapidement, tous disposèrent d’un sabre et d’un casque de protection. Au bout d’un instant, le rapport de force s’inversa. Les deux derniers survivants lâchèrent leur arme et se rendirent.
— Vous avez de la chance, nos cellules n’ont pas eu le temps de refroidir, leur lança Simian. Par les temps qui courent, croyez-moi, ce n’est pas du luxe.
Terel regarda les soldats que deux gardes emmenaient dans les sous-sols.
— Et c’est tout ! s’écria-t-elle. Vous les enfermez simplement.
— Il ne nous appartient pas de juger, répondit Simian. Cette prérogative incombe au Seigneur Lumineux.
Le dernier garde était entré dans le poste de surveillance afin de déverrouiller la porte, puis il s’était rendu sur le palier. Il lança un trille. Aussitôt, quelques hommes sortirent du temple de Matak pour le rejoindre. Ils étaient habillés en civil, mais tous arboraient la longue moustache des gardes rouges.
— Vous avez l’air chouettes comme ça, leur lança celui qui les attendait.
— Quand on est rentré, toutes les portes étaient fermées.
— Comment se fait-il que tous les gardes rouges se soient trouvés dehors ? s’enquit Mericia. Il n’y en avait pas un pour assurer la surveillance ?
— Nous sommes chargés de protéger le roi, se défendit Simian. Le roi est absent, nous n’avons rien à protéger.
— Le harem…
— Est sous la protection des Immortels.
Mericia n’ajouta rien. Simian avait raison.
— Je constate que nous disposons maintenant d’une escouade presque complète.
— Il ne manque que trois d’entre nous, reconnu Simian. Les officiers Calas et Colun ainsi que le caporal Vistrol.
— J’en vois un sur les écrans, s’écria un garde.
Tous se précipitèrent et regardèrent. Un instant, Simian se tourna. Les concubines n’avaient pas l’autorisation d’entrer dans cette pièce. Puis il haussa les épaules. C’était trop tard, elles avaient déjà aperçu le système de surveillance du palais.
Sur un écran Calas était visible en compagnie d’hommes qui n’étaient pas des eunuques ni des soldats.
— Qui sont-ils ? demanda un garde. Les hommes entiers n’ont pas le droit d’entrer dans le harem.
— Je l’ignore, répondit Simian, mais ils se battent à nos côtés. Ne crachons pas sur cette aide.
Vistrol fut plus dur à repérer. Il s’était embusqué dans un réduit et mobilisait une escouade, ce qui soulageait la résistance à laquelle s’opposait Daniel.
— Une tête brûlée, comme d’habitude. Il ne nous a pas attendus, déplora Simian.
— Mais efficace, ajouta un autre. Il bloque douze hommes à lui seul.
— C’est vrai.
Simian ferma les yeux, il réfléchissait.
— Nous allons soutenir Vistrol, décida-t-il enfin. L’ennemi semble avoir établi son quartier général dans cette aile. En faisant tomber le dispositif à cet endroit, nous devrions avoir la victoire.
Un instant plus tard, les gardes avaient puisé dans l’armurerie l’équipement dont ils allaient avoir besoin. Loin de l’écarlate tapageur de leur uniforme de parade, ils avaient choisi une tenue de couleur terne, plus discrète à laquelle ils adjoignirent un casque métallique et un bouclier rond. Ils délaissèrent également leur sabre au profit d’un glaive plus court.
— Vous restez ici, ordonna Simian aux femmes.
Trop tard, Terel s’était déjà habillée et avec son aide Mericia achevait de fermer sa cuirasse. Deirane était trop petite, aucune armure ne lui convenait. Mais avec le pouvoir des gemmes incrustées dans sa peau, en avait-elle réellement besoin ? Elle n’avait non plus pas besoin d’allonge. Aucun coup ne pouvait l’atteindre. Elle choisit une dague, courte et bien acérée.
— Je suis prête, déclara-t-elle.
— Mesdames, lâcha Simian d’un ton plaintif.
— On ne peut pas me blesser, riposta Deirane.
— Et moi, je n’en suis plus à une cicatrice près, ajouta Mericia.
Simian se demanda de quelles cicatrices elle parlait. Un instant plus tôt, sa robe en haillon n’en révélait aucune. Il jeta un coup d’œil sur Terel, son dernier espoir.
— Je tiens à m’occuper personnellement de Lætitia dès qu’on la verra.
— La justice est un privilège royal, plaida Simian. Il n’appartient pas aux gardes rouges de la rendre.
— Ça tombe bien, je ne suis pas un garde rouge.
— Vous ne pourrez pas nous forcer à rester ici, termina Deirane. Si vous ne voulez pas que l’on vous suive, vous devrez nous enfermer.
Comme s’il avait compris ces paroles, Blaid se glissa à côté de sa maîtresse et releva les babines en un avertissement de ce qu’il encourait s’il osait lever la main sur Deirane.
— Très bien, céda Simian. Je n’ai de toute façon pas le droit de toucher une concubine, même pour la contraindre, sauf sur ordre explicite du roi. Je ne pense pas recevoir un tel ordre dans l’immédiat.
Le groupe se mit en route vers le harem. Simian prit soin de bien verrouiller la caserne derrière lui, afin que nul ne l’investisse en leur absence.
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