LXVII. L'Assaut final.

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Le choc suivant eut lieu dans ce qui ressemblait à une salle de repos. Les militaires et le groupe de Zakas se considérèrent un moment. En découvrant les femmes qui accompagnaient les stoltzt, le visage de l’officier s’éclaira d’un sourire.

— Messieurs, ces gens ne sont pas des soldats réguliers, lança-t-il à ses hommes. Vous n’avez pas à respecter les lois de la guerre. Amusez-vous bien.

Puis il donna le signal de l’assaut. Zakas était prêt. La salle était petite, elle ressemblait au pont des bateaux lors de l’abordage. Il se sentait à l’aise.

Le combat s’engagea avec violence. Les stoltzt ne s’étaient pas battus depuis la défaite des feythas. Mais les soldats orvbelians n’étaient jamais montés au feu. Ils manquaient d’expérience. Seul leur nombre leur permit de faire face à l’assaut des pirates.

Zakas laissa ses hommes passer devant lui. Il repéra Cora légèrement à sa droite. Il s’approcha d’elle par-derrière. Quand elle fut à sa portée, il tira sa dague de son fourreau. Soudain, lui enfonça la lame dans le creux des reins. Surprise par cette attaque qui venait d’une direction qu’elle croyait sûre, elle se retourna. Un mouvement tournant de l’arme lui trancha la moelle épinière, elle s’effondra.

— Pourquoi ? murmura-t-elle.

Il s’accroupit, prenant soin d’éviter le sang qui se répandait autour d’elle.

— Tu m’as fait perdre la face devant mes hommes, répondit-il.

Elle lui attrapa le col d’une main. Affaiblie, elle ne résista pas quand il se dégagea. Il attendit un instant que ses yeux devinssent vitreux. Il se releva, jeta un coup d’œil autour de lui personne ne l’avait vu à l’exception de Tramal. En tout cas, aucune femme. Il n’aurait pas à les éliminer afin de préserver son secret. Son second lui adressa un sourire de connivence et reprit le combat. Aucune femme certes, mais il avait oublié l’eunuque.


Une fois que l’armée avait commencé à reculer, elle ne parvint plus à stopper la progression des résistants. Deirane fut la première à atteindre l’appartement de Brun, dans lequel Lætitia avait pu finalement établi son quartier général. Il faut dire qu’elle était celle qui avait le moins de distance à parcourir.

La passerelle qui séparait l’aile des ministres de celle des rois fut dégagée au moyen d’une grenade. Les soldats qui ne s’attendaient pas à se voir opposer des armes si puissantes se rendirent sans condition. Deirane entra dans l’appartement de Brun en marchant au milieu d’une troupe d’hommes accroupis les mains sur la tête.

— Où est Lætitia ? demanda-t-elle.

— Dans le grand salon, répondit un soldat que son grade désignait comme un sergent. Qu’allez-vous faire de nous ?

— Vous avez trahi le pays en vous révoltant contre votre roi. Vous passerez en jugement.

Le sergent respira de soulagement. Il n’allait pas être exécuté sans sommation. Si Simian approuvait, il était impossible de le dire tant son visage était indéchiffrable. En tout cas, il ouvrit une porte. Elle donnait sur une salle de billard. Ses seules issues était cette porte et les fenêtres donnant sur le jardin d'Orellide, quatre étages plus bas. Un endroit parfait pour faire office de prison.

— Entrez là-dedans, ordonna-t-il.

Deux gardes rouges précédèrent les prisonniers et vidèrent la pièce de tout ce qui aurait pu servir d’arme. Il ne resta que la table elle-même. Les soldats vaincus entrèrent un par un, les mains toujours derrière la tête. Puis le garde referma derrière eux. Il n’avait pas la clef permettant de la verrouiller, il se contenta de bloquer la poignée avec un banc qu’il redressa.


Le sergent regarda autour de lui

— Je connais cet endroit, dit-il, il y a un passage secret derrière l’armoire.

— Et on les prend à revers, suggéra quelqu’un.

— Faites ce que vous voulez. Personnellement, je n’ai pas l’intention d’attendre d’être jugé. Le Lumensten se situe à moins d’une centaine de longes à l’est. J’ai l’intention d’y dormir quand le roi reviendra de son expédition.

Le brouhaha lui indiqua que son idée emportait l’adhésion. Il ne restait plus qu’à déplacer l’armoire qui bouchait le passage.


L’étage supérieur de l’appartement de Brun était séparé en deux par un large couloir. La porte à double battant du salon y donnait. Elle représentait le dernier obstacle. Les eunuques, Calas à leur tête, furent les seconds à arriver.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-il.

— Lætitia se cache derrière cette porte, répondit Deirane.

— Deirane ! Dursun a réussi à vous libérer ?

— Dursun ? Non ! On ne l’a pas vue.

— Pourtant, elle est venue en éclaireur afin de vous délivrer.

Un froid glacial s’empara de Deirane, elle imagina le pire. Calas ne sembla pas s’en apercevoir. Il se tourna vers Simian qui se mit aussitôt au garde à vous.

— Si l’ennemi est juste de l’autre côté de cette porte, pourquoi n’entrez-vous pas ?

— Lieutenant ! Nous ne pouvons pas, lieutenant !

— Repos sergent, et expliquez-vous. Vous avez réussi à repousser l’ennemi pour atteindre cette porte. Pourquoi vous arrêter si près du but ?

— Permission d’être explicite, lieutenant !

— Bien sûr.

Il désigna la porte du salon.

— Ceci est un panneau de planches de pin noir d’Honëga épaisse de cinq doigts. Une hache serait à peine capable de l’entailler. Un bélier pourrait l’abattre. Hélas, nous ne pouvons pas le manipuler dans un couloir aussi étroit.

Calas sourit devant cette explication.

— Avez-vous fini votre formation ?

— Négatif lieutenant. Je n’ai été engagé que depuis quelques mois.

— Vous ne connaissez donc pas l’histoire de ce palais.

— Négatif.

Calas disparut dans la salle d’entraînement de Brun. Il revint avec deux masses d’armes au bout métallique hérissé de pointes. Deirane fut surprise en les voyant. Elle se les était toujours imaginées bien plus grosses.

— Vous voulez défoncer la porte avec ça ? s’étonna Simian.

— Ce palais est construit en granite rose, une pierre solide que seules la magie gems ou les armes les plus puissantes peuvent détruire. Toutefois, en faire quelque chose de beau a constitué un défi pour les architectes. À l’intérieur, ils ont donc recouvert le granite d’un placage de craie, nettement plus esthétique.

— Lieutenant, je ne vois pas où vous voulez en venir.

— Suivez-moi.

À la suite de Calas, toute la troupe entra là où il avait pris les armes. En reconnaissant l’endroit, Deirane éprouva un moment de panique. Si elle ne s’enfuit pas, c’était parce que les gardes qui arrivaient lui bloquèrent la retraite. Elle regarda fixement le crochet auquel elle avait été si longtemps suspendue, se débrouillant pour ne pas passer dessous.

Calas continua ses explications.

— Autrefois, cette pièce n’était qu’un dressing associé à la chambre royale. L’avant-dernier Brun l’a convertie en une salle d’entraînement. Il a ouvert une porte dans le mur renforcé.

Il désigna l’accès par lequel ils étaient entrés.

— Cela signifie qu’une simple cloison en moellons de craie seulement le sépare du reste de la chambre.

— Quelle épaisseur ? demanda Simian.

— Trois doigts.

— On doit l’enfoncer facilement.

Calas lui tendit une des deux masses d’armes.

— À vous l’honneur.

Un sourire éclatant sur les lèvres, Simian s’en empara.


Le mur fut plus long à démolir que Calas ne l’avait imaginé. Finalement, l’outil de Simian lui échappa des mains. Maintenant que le trou était percé, abattre les moellons qui l’entouraient ne prit presque pas de temps. Rapidement, il dégagea un espace assez grand pour permettre aux gardes et aux eunuques de traverser. Calas entra le premier dans la chambre de Brun. Les tapis et le lit étaient couverts de gravats et de bois. Une toile s’était décrochée du mur et traînait sur le sol. Le lieutenant la poussa du pied et invita les autres à le suivre.

Deirane entra derrière lui. Elle regarda la porte fermée.

— On n’est pas plus avancé, fit-elle remarquer.

— Au contraire, la détrompa Calas. Cette porte est prévue pour protéger le roi en cas d’invasion du palais. Elle ne peut être verrouillée que de l’intérieur.

Daniel allait l’ouvrir, Calas l’en empêcha.

— Il vaut mieux nous laisser faire.

— Ce n’est pas refus. Je suis un administrateur, pas un guerrier.

Les gardes rouges se disposèrent en deux colonnes de part et d’autre de la porte, sous la protection du mur. Il vérifia que personne ne se trouvait dans l’axe. Puis, il tourna la poignée et tira le battant.


Deirane s’attendait à ce qu’une flèche entrât dans la pièce. Pourtant, rien ne se passa. Prudemment, elle s’avança vers l’ouverture.

— Que faites-vous ! s’écria Calas, restez cachée.

— N’ayez pas peur, on ne peut rien me faire, répliqua-t-elle.

Elle risqua un coup d’œil dans le salon qui se trouvait juste derrière.


La pièce était presque vide. Elle ne contenait que Lætitia, quelques-unes des concubines de sa faction. Et Dursun. En découvrant son amie prisonnière de son ennemie, une colère froide s’empara d’elle.

— Lâche-la ! ordonna-t-elle.

Lætitia avait d’habitude le sourire facile. Là, elle restait grave.

— N’avance pas sinon je la tue.

Le bras passé autour du cou de l’adolescente, l’arbalète pointée sur sa jugulaire, tout indiquait qu’elle était décidée à mettre sa menace à exécution.

— Que comptes-tu faire ? Tu as perdu.

— Un pas de plus, et elle est morte.

— Es-tu consciente que tu ne lui survivras pas plus que cinq tösihons ? Ta seule chance est de lâcher ton arme et de te rendre.

— Ne bouge pas.

Sans tenir compte de l’ordre, Deirane avança. Lætitia pointa son arbalète sur elle et tira. Sous le choc, Deirane tomba à genoux en poussant un cri de douleur.

— Je t’avais prévenue, exulta Lætitia.

— Laisse-moi reprendre mon souffle, hoqueta Deirane. Ça fait mal.

À la grande horreur de Lætitia, Deirane se redressa. Sa tunique, bien que trouée à l’endroit de l’impact, ne portait aucune trace de sang.

— Je t’ai touchée ! s’écria-t-elle. Comment peux-tu te relever ?

— Imbécile ! Tu n’as toujours pas compris.

Elle avança de nouveau. Lætitia tira un second carreau. Deirane s’effondra encore.

Une fois de plus, elle se releva.

Les concubines échangèrent des regards inquiets. Trois d’entre elles s’enfuirent vers la porte du salon. Elle était verrouillée. Lætitia leur envoya un regard méprisant. Puis elle décocha une nouvelle flèche.

Ce coup-ci, Deirane resta un moment allongée sur le sol, moment dont profita Lætitia pour jeter son arbalète vide et en prendre une nouvelle.

— Tu vois que tu n’es pas invulnérable. J’ai fini par t’avoir.

— Je ne suis pas blessée. C’est juste que ça fait un mal de chien.

Deirane se releva sur un bras, cherchant son souffle.

— Mon sort me protège contre les blessures, pas contre la douleur.

Lætitia tira une nouvelle flèche. Elle visa la poitrine afin de générer un maximum de souffrance. Deirane poussa un cri de douleur.

Une expression d’horreur sur le visage, Lætitia la regarda se remettre debout. Elle actionna la queue de détente une dernière fois, mais ses munitions étaient maintenant épuisées.

Soudain, la concubine hurla. Dursun enfonçait ses dents dans la chair du bras. Elle relâcha sa prisonnière qui se précipita sur Deirane. Elle l'aida à se relever.

— Comment vas-tu ? demanda Deirane.

— Elle a assassiné Nëjya !

— Nëjya, mais elle n’est pas… Elle est revenue ?

— Elle l’a tuée quand elle m’a capturée.

Deirane sécha les larmes qui coulaient sur le visage adolescent. Puis elle se mit debout.


Lætitia se précipita vers la porte du salon, la clef à la main.

— Hé ! s’écria Deirane.

Elle attrapa son ennemie par le bras et lui décocha un uppercut en pleine mâchoire. Lætitia poussa un cri et s’effondra. Dursun arriva derrière elle et envoya des coups de pied à la jeune femme allongée sur le sol.

— Assassin ! Tu vas payer pour Nëjya ! Je vais te tuer !

Calas entra dans la pièce. Il jeta un coup d’œil sur Deirane qui serrait sa main contre sa poitrine.

— Ça fait mal, geignit-elle.

— Je crois que je vais devoir vous enseigner à décocher des droites, constata-t-il.

Puis il attrapa Dursun par le bras et la releva.

— Du calme ! Vous allez vous faire mal.

— Cette salope a tué Nëjya !

Elle tenta d’envoyer un nouveau coup de pied à Lætitia. Calas la tint à distance.

— Elle paiera, mais pas en faisant de vous une meurtrière.

Sans lâcher la jeune femme, Calas ramassa les clefs que Lætitia avait laissées tomber. Au passage, il jeta un coup d’œil sur la concubine. Malgré sa violence, Dursun ne l’avait pas trop amochée. Elle avait porté la plupart des coups dans le ventre ou les hanches. Après avoir confié Dursun à Deirane, le garde rouge ouvrit la porte.

Daniel entra. Il examina les concubines de la faction de Lætitia, blotties les unes contre les autres dans le coin le plus éloigné de la pièce, leur cheffe allongée sur le sol et Deirane qui enlaçait Dursun. Il avait un air satisfait.

— Tu es dans un sale état, fit remarquer Dursun à Deirane.

— Tu n’es pas mieux, lui renvoya son amie.

— Oh si !

Dursun étreignit Deirane. Sa main se posa sur une portion de peau dévoilée par la déchirure des vêtements de la jeune femme. Elle la retira aussitôt, comme frappée d’une décharge. Deirane le remarqua. Dursun avait changé aussi. Elle était devenue adulte. D’ailleurs, ses douze ans n’allaient plus tarder.

Daniel interrompit ses réflexions.

— L’autorité légitime de l’Orvbel a repris le contrôle du palais, annonça-t-il.

— Brun n’est pas ici, objecta Deirane.

— Vous savez bien que Brun ne rentrera jamais. Même si j’ignore encore ce que vous lui avez réservé.

— Je vous le dirai plus tard, cela va vous amuser.

Dursun lança à Deirane un air intrigué, mais cette dernière ne fit aucune révélation.

— Mericia m’a fait dire qu’elle vous attend dans la salle du trône.

Un coup d’œil circulaire montra à Deirane que la belle concubine, de même que Terel, n’étaient plus parmi elles. Elle avait dû s’éclipser pendant que les gardes abattaient le mur.

— Tu crois qu’elle veut prendre ta place ? s’inquiéta Dursun.

— Je ne pense pas. Pas sans Salomé à ses côtés.

Deirane désigna Lætitia toujours allongée sur le sol.

— Elle vient avec nous.

— Bien sûr, confirma Daniel.

Il choisit un eunuque qui releva la concubine. Dursun semblait avoir oublié Lætitia. Cependant le regard de haine que la jeune Aclanli envoya à la concubine vaincue n’échappa pas à Calas. Il ne vaudrait mieux pas que les deux femmes se retrouvassent seules dans la même pièce.

Deirane quitta alors la chambre. Elle ne remarqua pas que les gardes rouges lui avaient emboîté le pas, comme leur mission d’escorte du souverain de l’Orvbel l’exigeait.

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