Interlude : Cours de l’Unster, 14 ans plus tôt.

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Saalyn se réveilla en un lieu inconnu. Il faisait trop sombre pour qu’elle y vît, mais elle était allongée dans un lit. Le matelas était moelleux et les draps soyeux. La légende ne l’avait donc pas tuée. En revanche, il ne s’était pas gêné pour la déshabiller. Sinon comment aurait-elle pu se retrouver dans cette confortable chemise de nuit ? Il l’avait soignée aussi, un bandage enserrait sa cuisse et un autre sa main blessée.

Ses yeux s’habituaient à l’obscurité. Elle commençait à distinguer ce qui l’entourait. À sa droite, elle repéra ce qui semblait être un globe d’éclairage. Elle se pencha et trouva la molette d’alimentation là où elle s’y attendait. Elle la tourna. Le temps que la luminosité apparût puis se renforçât, elle réfléchit. Peu de pays utilisaient de tels globes. L’Helaria, bien sûr, le Mustul et deux ou trois principautés de l’Ocarian. La légende n’avait pas pu la transporter vers des destinations aussi lointaines. Mais l’ambassade d’Helaria était toute proche, sur les rives de l’Unster. Rassérénée d’être rentrée chez elle, elle se leva et observa la chambre maintenant éclairée.

Son épée était posée sur une table juste à côté de son lit. Un placard occupait tout un mur. Et un rideau obturait une fenêtre. Elle le décrocha, inondant la pièce de lumière, et regarda à l’extérieur. Elle s’était trompée, elle ne se trouvait pas dans l’ambassade, mais sur un bateau.


Saalyn ouvrit le placard. Elle y découvrit les vêtements qu’elle espérait. En un tournemain, elle troqua sa chemise de nuit par une tenue plus adaptée à sa condition de guerrière, puis elle sortit sur le pont. Il y avait beaucoup de monde. La majorité était helarieal, mais elle reconnut la chevelure blonde coupée en brosse drue en vogue au Salirian et même les cheveux crépus et la peau noire des Naytains. Elle chercha autour d’elle et trouva enfin un visage connu. Meton se tenait sur le gaillard d’avant, appuyé au bastingage. Elle le rejoignit.

— Tu es réveillé, constata-t-il.

Elle hocha la tête.

— Merci pour le bateau. Il nous attendait à Boulden.

— Non. Je n’y suis pour rien.

— Qui alors ?

Saalyn ne répondit pas. Elle avait bien une petite idée, mais elle ne devait pas le dire. Tout ce qui s’était passé dans la salle du trône de Sernos devait rester secret.

— Comment suis-je arrivée ici ?

— Je l’ignore. Quand on a appareillé de Boulden, tu n’étais pas là. Et le lendemain, tu étais endormie dans une chambre dans l’état où tu te trouves.

Saalyn s’appuya au bastingage et désigna le monde en bas sur le pont.

— Vous avez embarqué même les ressortissants des autres pays ? remarqua-t-elle.

— Les fuyards qui ont quitté l’Yrian après la chute de Miles n’y ont plus d’avenir. Nous allons leur offrir une seconde chance. Les autres, nous les renverrons chez eux une fois au pays.

Elle regarda les réfugiés. La plupart d’entre eux étaient apathiques. Ceux qui s’activaient étaient rares.

— Raconte, dit-elle d’une voix qui tremblait.

Meton lui jeta un bref coup d’œil. Vu la façon dont elle se retenait au bastingage, comme pour ne pas tomber, il comprit le sens exact de sa question.

— Tu sais comment Dercros adorait les petites comtesses. Il a voulu se porter à leur secours. Il s’est précipité hors du consulat pour les retrouver. Personne n’a rien pu faire, pas même Ksaten, puisqu’à ce moment-là, elle était encore sur la route.

Saalyn resta longtemps à réfléchir.

— Je sais où est Ksaten ! lâcha-t-elle soudain.

— Pardon !

Les doigts de Meton se crispèrent sur la barre de bois, au point que ses articulations blanchissent.

— Un sensitif a prévenu Vespef qui m’a transmis l'information. Un paysan l’a déposée à notre consulat d’Aduil. Et elle est vivante. Gravement blessée, mais vivante.

Meton connaissait Aduil, un minuscule royaume Dwergr adjacent à la frontière ouest de Miles.

— Je dois aller là-bas, s’écria-t-il.

Il s’éloigna du bastingage.

— Laisse le bateau accoster, suggéra-t-elle.

— Pour quoi faire ? Je sais nager.

— Et les chevaux ?

— J’en louerai.

Il quitta le gaillard. Saalyn reprit sa place, regardant sans le voir, le paysage de la rive qui défilait.


Saalyn sentit quelqu’un s’approcher. Personne ne pouvait la menacer sur ce bateau. Elle l’ignora.

— Saalyn ?

Maintenant, elle ne pouvait plus se désintéresser de l’intrus. Elle se retourna brutalement et s’arrêta quand elle découvrit une réfugiée, une stoltzin qui travaillait certainement à l’ambassade de Miles.

— Que voulez-vous ?

— Je m’appelle Klimal. Dercros vous a peut-être parlé de moi ?

Ce nom ne disait rien à Saalyn. Or son frère lui racontait tout, y compris ses aventures d’un soir. Pourquoi avait-il tu l’existence de celle-là ? Elle secoua la tête de dénégation.

— J’étais proche de Dercros.

— Proche à quel point ?

— Nous vivions ensemble depuis plusieurs mois.

Pendant cette période, Saalyn avait passé du temps à plusieurs reprises avec Dercros. Une seule raison vint à son esprit pour expliquer que Dercros ne lui en ait pas parlé. Cette fille n’était pas une conquête comme les autres. Elle incarnait quelque chose de plus. Il envisageait certainement de la lui présenter lors d’une occasion spéciale.

— Vous l’aimiez ?

La jeune femme hocha la tête.

— Trouvons-nous une bouteille. Nous allons boire ensemble à sa mémoire.

— Je ne peux pas. Pas dans mon état.

— Que vous arrive-t-il ? (Saalyn jaugea la silhouette en face d’elle) Vous avez l’air en bonne santé.

Klimal hésita avant de répondre.

— J’ai essayé de le raisonner. J’ai tout tenté. Mais vous le connaissez. Quand il a une idée en tête, il est impossible de l’en détourner.

Saalyn hocha la tête. Elle reconnaissait bien là son frère.

— Quand j’ai compris que malgré tous mes efforts je ne pourrais jamais le faire changer d’avis, qu’il irait au secours des comtesses, je me suis donnée à lui une dernière fois. Je me suis dit que ça pourrait le convaincre.

Saalyn sourit en imaginant la situation. Avec son frère, une telle proposition n’avait aucune chance d’aboutir. Et pourtant, la jeune stoltzin disposait de solides arguments à lui présenter.

— Ça n’a pas marché, conclut Saalyn.

— Non. Mais comme je craignais que ce soit la dernière fois que je le voie. J’ai…

Elle hésita, n’osant aller plus loin. Mais Saalyn comprit tout de suite.

— Vous avez ouvert votre matrice ! Vous portez l’enfant de Dercros !

Elle confirma d’un oui timide, presque apeuré.

— Une fille, je suppose.

— Il n’est pas trop tard pour la deuxième union, mais je veux qu’il ne soit que de Dercros. Je ne veux pas de deuxième père pour cette enfant.

— Je ne pouvais pas imaginer plus beau cadeau que celui que vous venez de m’offrir.

Saalyn ouvrit les bras pour accueillir la jeune stoltzin qui s’y précipita.

— Cet enfant sera chéri au-delà du raisonnable, j’en ai peur.

— Pas trop, quand même, sinon il risque de se comporter en enfant gâté.

— Si cela devait se produire, n’hésitez pas à me le rappeler.

Saalyn serra la jeune femme contre elle. Cet enfant ne remplacerait jamais Dercros. Mais c’était tout ce qui restait de lui. Elle n’allait pas laisser échapper cette chance qui s’offrait.

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