Seule, assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, Céléna repensait à cette folle journée. Face à elle, les nuages de plus en plus nombreux dansaient avec la lune. Voilà plus d'une heure, que les derniers invités étaient partis, le château s’était endormi depuis, bercé par la douce mélodie du piano.

Le film de ce mardi défilait dans sa tête. Elle avait confié à son père ses doutes, ses expériences douloureuses à Bordeaux, avait apprécié ses retrouvailles avec ses amis, les excuses du directeur, et la remise de son master.

Tout allait rester gravé dans sa mémoire, comme le parfum du whisky de grand-père qu'elle avait retrouvé vingt ans après.

À partir de demain, de nouveaux projets, de nouvelles missions, de nouveaux contrats, elle allait devoir prendre les choses en main et deviendrait la responsable de cet héritage. Elle s’en réjouissait.

Depuis toute petite, elle suivait son père, et Rory dans la distillerie. Elle adorait se déplacer entre le wash still et le spirit still, admirant le processus de transformation. Elle aimait se glisser à l’intérieur des groupes de visiteurs pour écouter son père qui expliquait la fabrication du produit, l’histoire de la distillerie et son évolution. Elle en connaissait les moindres recoins et souvent s’amusait à jouer au guide à son tour avec ses amis.

Avant ses dix, elle savait déjà reconnaitre les arômes des différents alcools sans pour autant les avoir goûtés. Adolescente, elle avait pu tremper ses lèvres pour en découvrir les goûts. Combien de fois, Rory l’avait retrouvée assise dans la cave, adossée aux futs de chênes entreposés, avec son carnet.

Céléna écrivait tout ce qui lui passait par la tête, elle avait besoin de sentir le stylo sur la feuille. C’était dans la distillerie qu’elle avait écrit les contes. C’était son jardin secret, un lieu à l’écart de tous.

Ce soir, assise face au ballet que les nuages réalisaient enrobant la lune, elle saisit son petit cahier et commença à écrire l’histoire d'un petit diablotin posé sur une branche de sapin, qui interpellait madame l'astre dans le ciel. Le crayon dessinait de belles ondulations sur la page blanche, le texte était agrémenté de plusieurs croquis comme pour lui donner vie. Le spectacle qui se jouait face à elle, était apaisant et l’inspirait. Ses paupières commençaient à devenir de plus en plus lourdes. Elle posa son cahier sur son bureau, le laissant ouvert à la page commencée. Elle s’emmitoufla sous sa couette, Cheecky vint se poser sur elle, sa douce chaleur et ses ronrons la bercèrent, et elle s’endormit.

Céléna fut réveillé en sursaut par un grand claquement, les yeux mi-clos, elle se souvint qu’elle n’avait pas fermé les volets. Elle dut allumer la lumière, sa chambre était dans la pénombre, la lune jouait à cache-cache avec les nuages. Elle ouvrit la fenêtre, un courant d’air glacial envahit la pièce, le vent s’était levé, les sapins du parc semblaient être des fantômes essayant de briser leurs chaines. Elle aperçut au loin sur les montagnes, les éclairs zébrant le ciel. L’orage approchait, il résonnait de plus en plus fort. Elle attrapa les volets qui résistaient avec le vent et les ferma. Cheeky avait ouvert un œil quand Céléna s’était levée, il s’étira, et se rendormit bien paisiblement dans un coin sur l’oreiller. Il était à peine deux heures du matin. Elle avait soif et froid, aussi elle décida de descendre se faire un thé, elle dévala les escaliers pieds nus.

Lorsqu’elle arriva en bas, elle aperçut une lumière dans le bureau de son père et réalisa alors qu’elle n’était pas la seule à ne plus dormir. Le bruit avait dû le réveiller lui aussi. Elle passa par la cuisine, mit une bouilloire sur le feu, récupéra deux tasses et la boite de thé. Elle déposa le tout sur un petit plateau, sans oublier d’ajouter des petits biscuits, reste du buffet puis elle rejoint Harold. Il était assis devant la cheminée, un livre dans les mains.