À quelques pas de là, dans une ferme proche de Saint Andrews, Céléna visitait les lieux avec attention. Après quelques recherches, elle avait obtenu cette adresse d’un ami de son père. Elle avait besoin rapidement d’une orge de qualité, afin de pouvoir reconstituer son stock et ainsi remplacer ce que le feu avait engloutit. Elle avait gardé dans un coin de sa tête la possibilité de la produire sur des terres appartenant à la famille proche de Pitchlory. Ainsi cela lui permettrait de contrôler et de maitriser la production, et de développer des arômes plus précis. En attendant, elle n’avait pas d'autre solution.

Elle se tenait au bord de cette océan vert aux reflets dorés, appréciant le vent qui faisant onduler les épis. Cette céréale représentait la dépense la plus importante de la distillerie, et était à l’origine de l’uisge beatha. Il lui fallait une orge riche en amidon, qui lui permettrait d’obtenir des sucres fermentescibles et par conséquent de l’alcool. Il était hors de question de se tromper si on ne voulait pas se retrouver avec une variété inexploitable. Il lui faudrait, au moment de la livraison, vérifier que les épis de deux rangs de grains ne présentaient aucune trace de moisissures ?

Il y avait deux ans, lors de sa semaine à la distillerie « The Balvenie », elle avait appris comment on cultivait encore à ce jour l’orge pour le maltage. Elle avait découvert cet art ancestral, qu’ils utilisaient encore aujourd’hui sur leurs quatre cent hectares. Cela suffisait pour leur production. L’orge y était cultivée selon des méthodes immuables, et la seule pointe de modernisme résidait dans l’utilisation de la moissonneuse-batteuse.

Céléna, attirée par cette campagne, se sentait libre et prête à se lancer. Alors qu’elle était plongée dans ses pensées, son carnet à la main, elle prit des notes pour être sûre de ne rien oublier. Quelqu’un l’interpella.

– Bonjour, mademoiselle Mac Graig, nous avions rendez-vous.

Le vieux monsieur qui se tenait devant elle, était tout aussi charmant que le lieu, ses grands yeux bleus étaient pétillants et sa poignée de main la rassura.

– Bonjour, monsieur Lroy. Vous m’avez été chaudement recommandé et je suis ravie de vous rencontrer.

– Le plaisir est partagé. En quoi puis-je vous aider ? Après votre coup de téléphone j’étais impatient de vous rencontrer.

Céléna commença à lui raconter ses mésaventures des derniers jours, comment ses silos d’orge avaient flambé. Il lui fallait renouveler rapidement ses réserves, si elle voulait pouvoir répondre à ses fournisseurs. Elle voulait passer une commande pour les deux années à venir, et elle préférait être honnête avec lui, par la suite elle envisageait de cultiver ses propres céréales.

Ils continuèrent à discuter tout en longeant le champ qui menait à la ferme. En route, ils croisèrent des ouvriers qui s’attelaient au semis des orges d’hiver. Céléna pénétra dans la zone de trempage, l’orge entrait dans une phase naturelle de dormance avant de commencer sa germination.

Encore humide, il était alors répandu sur des aires de maltages en couches épaisses d’environ trente centimètres. Les deux fils du producteur retournaient la masse avec des pelles en bois. Lroy proposa à Céléna de s’essayer à la manœuvre, ce qu’elle accepta sans hésiter. Cela s’avéra physique, éprouvant et pourtant tellement bienfaisant. Il renouvelait cette manipulation en moyenne trois fois par jour pour éviter que les germes s’enchevêtrent. L’orge à ce stade, s’appelait malt vert et pouvait être transféré au four pour le séchage.