Seule dans la cave, Céléna se sentait bien, l’espace confiné et sombre l’enveloppait telle la chrysalide dans son cocon. La pièce avait été creusée dans la roche si proche de l’océan que les odeurs qui se dégageaient des murs l’apaisaient. Depuis qu’elle avait mis les pieds à Saint Andrews, ce dimanche matin était une pause salvatrice. Même si elle avait été bousculée, malmenée, elle ne voulait pas se laisser emporter par cette vague d’angoisses à l’idée même de le croiser. Elle faisait bonne figure devant tous, là enfin seule elle laissa des larmes coulées, elle avait besoin de déverser toutes ses pensées pour les évacuer et passer ainsi à autre chose.

Elle poussa délicatement la table que Hugh lui avait mise à disposition vers le halo de lumière naturelle dessinée par les rayons du soleil. Elle alluma une bougie qui se trouvait sur une étagère et la déposa juste à côté d’elle. La flamme dansait et dessinait des ombres, comme si des êtres surnaturels étaient venus là pour la protéger. Elle saisit la première caisse dans laquelle se trouvait ce dont elle avait besoin, commande qu’elle avait faite auprès de Rory et Grégor, et que Christophe et Sam lui avaient récupérée. Dans la boite, des morceaux de tartans étaient pliés bien soigneusement, du ruban, du fil et des aiguilles accrochés. Juste à côté, se trouvait des feuilles, une plume et de l’encre pour calligraphier. Dans une enveloppe, des chardons séchés étaient accrochés à une épingle de sureté, elle les avait fabriqués il y a quelques temps avec maman. Elle commença par coudre chaque petit carré de tissu en mini-kilt puis ajouta le ruban pour faire la ceinture sur laquelle elle allait accrocher l’emblème de l’Ecosse le chardon en lieu et place du sporam. Une fois qu’elle eut terminé ce travail de couture, activité qu’elle avait apprise avec maman, elle songea qu’elle devrait la remercier en temps et en heure d’avoir été aussi patience devant sa maladresse et son manque d’enthousiasme.

Pourtant ce matin-là, Céléna prit conscience que rien n’était fait au hasard. Les petits kilts étaient posés sur la table, bien soigneusement rangés pour éviter de faux plis qui pourraient venir tout gâcher. Céléna prit ensuite sa plume pour écrire un petit mot différent sur chaque carte qui serait jointe à la caisse que les organisateurs du tournoi souhaitaient offrir aux dix premiers. Elle signa chacune d’elle avec les initiales de son nom qui lui tenait à cœur. Puis elle commença le montage, c’était du plus bel effet, les dix bouteilles étaient face à elle, telle une armée de Highlanders prêt à chasser l’ennemi des terres écossaises.

Si seulement cela pouvait être la réalité, songea-t-elle, il chasserait à coup d’épée Martin et son père. À cette pensée, Céléna sourit, Rory avait eu la bonne idée d’ajouter un petit mot d’encouragement. Comme elle lui avait demandé, il y avait dix bouteilles qu’elle avait fabriquées avec son père dix ans auparavant. Il s’agissait là du premier nectar que papa et elle avait mis au point. Elle se souvenait avec tendresse de cette première fois, et des images lui revinrent aussitôt en tête, il était venu la chercher au petit matin, ils avaient fait le tour du parc prétextant d’aller observer les oiseaux qui venaient de naître, une fois devant la distillerie, elle sut que son père avait une tout autre idée en tête. Cette journée était restée graver en elle, Rory avait glissé une flasque remplie du nectar et avait ajouté une note : « partage celle-ci avec qui te plaira du moment que tu le fais avec ton cœur ». Elle l’ouvrit juste pour sentir les arômes qui s’en dégageait même si elle les connaissait, dès que l’odeur de miel arriva à ses narines, elle se sentit transporter par magie dans sa distillerie assis dans le sofa au côté de son père. Tout à coup elle pensa à la lettre de Monsieur Garnier qu’elle avait laissé sur le siège avant de la voiture, elle n’avait pas eu le temps de la lire. Alors qu’elle finissait de remplir chaque coffret des bouteilles qui n’avaient pas été abîmées, un bruit la fit sursauter.