Après le déjeuner, Céléna proposa à Hugh de participer à la visite de l’après-midi afin de découvrir l’histoire de la distillerie et elle souhaitait aussi lui montrer les subtilités de la dégustation. Ils se rendirent à pied jusqu’au bâtiment. La balade dans les allées du parc, sous le soleil de ce début de novembre était des plus agréables. Céléna appréciait de discuter avec Hugh, ils partageaient des passions communes. Lui jouait aussi du piano et aimait lire dès qu’il avait un peu de temps. Céléna lui avoua qu’elle écrivait des contes pour enfants dès qu’elle pouvait s’échapper de ses obligations.

Une fois arrivée à la distillerie, Céléna prit les choses en main, et la visite se passa sous les meilleurs hospices, les touristes présents furent à leur tour charmé, elle avait tellement d’assurance. Hugh l’a regardé, observant chacun de ces gestes si fluides, tout semblait si bien orchestré. Il en oublia presque de se concentrer sur les aromes du whisky, qu’il dégustait. La lumière tamisée de la pièce, faisait briller ses yeux dans lesquels il se perdait. Pourtant des mots lui revinrent à l’esprit et surtout cette main qu’elle avait si vite enlevée quand malencontreusement avec ses doigts ils l’avaient effleurée à St Andrews. Il était peut-être trop tôt pour elle, pour une nouvelle histoire.

Vers 17h30 quand les derniers visiteurs quittèrent les lieux et qu’ils se retrouvèrent tous les deux, Hugh se jeta à l’eau.

– Céléna, je peux t’inviter à diner ce soir.

Elle le regarda droit dans les yeux, ce qui eut pour effet d’accélérer ses battements de cœur, et ses mains devinrent moites.

– Cela aurait été avec plaisir, mais j’ai déjà programmé un truc avec mon copain Sam.

– Peut-être demain alors ? tenta-t-il.

Embarrassée, Céléna dut à nouveau décliner sa proposition, elle devait prendre le vol de 10h pour les Iles Lewis. Sentant que le jeune homme se décomposait à chacun de ses refus, elle lui proposa.

– Attends je vais voir avec Sam, s’il ne voit pas d’inconvénients à ce que tu te joignes à nous.

– Je ne voudrais pas m’imposer.

– Non, bien au contraire.

Hugh pensa qu’il devrait se contenter de cela, après tout, il aurait ainsi tout loisir d’apprendre à la connaître différemment, que ses amis pourraient aussi lui en dire un peu plus.

Céléna saisit son portable et envoya un sms à Sam pour lui demander si c’était bon pour lui, et la réponse fut immédiate « OK bien sûr ».

Céléna raccompagna Hugh jusqu’à la chambre d’amis que Harold lui avait proposée. Elle était à l’opposé de la sienne. Hugh découvrant la pièce, apprécia les couleurs chaudes qui tapissaient les murs et surtout fut interpellé par le tableau qui était accroché au-dessus du lit. C’était une pièce d’une rare qualité, la lumière qui s’en dégageait le saisit et il demanda

– De qui est cette œuvre ?

– D’une amie de maman, une grande artiste Olivia Alistair. Tu dois t’en souvenir, elle était au gala à St Andrews et son mari était le caddie d’un des jeunes hommes, un certain Mike.

– Mais oui bien sûr, un sacré joueur, deux eagle dans une même journée, ce n’était jamais arrivé.

– Oui, maman a acheté cette œuvre parce qu’elle lui rappellait ses vacances d’adolescente justement sur cette île.

– Comme je la comprends, il est difficile de quitter cette toile du regard comme le mien de toi.

Céléna ne releva pas, elle semblait tout à coup à cent mille lieux de là.

– Tout va bien ? Lui demanda-t-il.

– Oui pardon, tu disais.

– Non rien, ça n’a pas d’importance.

– Je te laisse te préparer, tenue décontractée, c’est une soirée informelle.

Céléna referma la porte, laissant cette fois Hugh dans ses pensées. Elle se dirigea dans sa chambre, s’installa à son bureau et commença à griffonner quelques mots sur son carnet, un peu désordonnés et pourtant pas si insensés, un peu comme un mantra : penser à remercier Mike. Une fois ces quelques mots prononçaient à haute voix, elle se dirigea vers la salle de bain pour se préparer à son tour. Il était 18h30, elle n'avait plus de temps à rêvasser, enfin là elle était belle et bien songeuse, essayant d’imaginer l’homme qui lui avait sauver la mise plusieurs fois. Et alors qu’elle faisait couler l’eau, une odeur lui revint en mémoire, pourquoi ces effluves de chèvrefeuille l’interpellaient ?

Elle rejoignit Hugh qui l’attendait dans le salon, il était en grande discussion avec son père, il avait beaucoup d’allure dans son pantalon en toile noir et son sweat bordeaux. Quand elle entra dans la pièce, Hugh allait prendre la parole, mais Harold le devança

– Et bien ma douce, tu es très belle, cette robe te va à merveille.

Hugh se contenta d’opiner de la tête, que pourrait-t-il ajouter ? Elle n’était pas belle, elle était resplendissante, tout un tas de pensées lui traversèrent l’esprit, enfin là avec son père à côté il les refreina aussitôt et se contenta de sourire.

– Hugh, si tu es prêt nous pouvons y aller. Mes amis doivent nous attendre.

Ils montèrent dans la voiture de Céléna, et prirent la direction du centre-ville. Le trajet fut l’occasion d’entonner les airs que la radio distillait, une façon pour Hugh de distraire son esprit, il se concentrait aussi sur le paysage, pour ne pas lui donner l’impression de la dévisager. Céléna se gara sur le parking du centre-ville et proposa de terminer à pied, l’occasion pour elle de lui faire découvrir un peu sa ville. Ils déambulaient ainsi dans les rues, gardant une distance respectueuse, bien qu’à ce moment-là, Hugh n’avait qu’une envie lui prendre la main. Aucune fille jusque là lui avait fait autant d’effet.

Arrivés devant le pub, Sam se pointa, un sourire aux lèvres

– Ah, te voilà enfin, tu aimes à nous faire languir.

Céléna déposa un baiser sur la joue de son ami, qui l’a pris dans ses bras sous le regard envieux d’Hugh.

– Pas besoin de vous présenter, vous vous connaissez déjà.

– Allez entrer, Elisabeth et Peter nous attendent.

Au cours du repas, les discussions allèrent bon train, chacun racontant son anecdote, faisant rire aux éclats les trois autres. Sam évita bien sûr le sujet Martin, par contre il ne put s’empêcher de glisser dans la conversation le nom de Mike et surtout le beau gosse qui l’était. Elisabeth taquina Céléna ; s’offusquant qu’elle ne lui ait pas présenté et surtout qu’elle n’eut pas pris la peine de le rencontrer. C’est à ce moment là que Peter demanda à Hugh

– Et toi, tu as quelqu’un dans la vie ?

Il ne s’était pas attendu à une telle question aussi directe et se trouva légèrement décontenancé et c’est Céléna qui vint à sa rescousse.

– Peter ça ne nous regarde pas.

– Non aucun soucis, Céléna, j’étais avec une fille pendant trois ans, et du jour au lendemain, elle m’a laissé planter sans raison, juste un mot posé sur la table du salon.

Ces quelques mots laissèrent la tablée sans voix, n’osant plus dire quoi que ce soit, Elisabeth lançant un regard noir à Peter. Hugh reprit alors la parole ne voulant pas gâcher la soirée.

– Ne vous en faites pas, j’ai digéré depuis, et puis je me dis que finalement c’était mieux ainsi.

Céléna posa son regard dans le sien, semblant comprendre son désarroi et avec douceur lui dit

– Chacun de nous cherche son âme sœur pour partager un peu de bonheur. Rassure-toi, elle t’attend forcément. Sois patient et qui sait peut-être c'est quand tu t’y attendras le moins qu'elle croisera ta route.

Céléna ne percevait pas que les mots qu’elles venaient d’utiliser, avaient briser les espoirs que en lui grandissait. Mais avant qu’il ne puisse dire à son tour quoique ce soit, elle le prit par la main et lui proposa de venir chanter avec elle, c’était soirée karaoké. Sam et elle adoraient ces soirées-là, ils avaient toujours fait des duos exceptionnels. Ce soir, il voulait bien la partager avec ce Hugh.

À peine eurent-ils quitté la table qu'Elisabeth s’empressa de demander à Sam

– Dis c’est moi, où il en pince pour Céléna.

– Oui je crois bien, il ne la quitte pas des yeux et quand elle lui parle, il rougit.

– Tu penses que c’est réciproque ?

– Après le week-end qu’elle a vécu, je ne sais pas. En tout cas, tiens regarde.

Sam sortit son portable, tapa sur google pour retrouver une photo de Mike qu’il lui montra.

– Lui par contre je te garantis qu’il faut que leur chemin se croise.

– Je comprends, mais elle ne l’a pas vu une seule fois.

– Je ne pense pas, elle m’en aurait forcément parlé ou à Christophe.

Peter ne put s’empêcher d’ajouter

– Pauvre Hugh, c’est perdu d’avance.

La soirée se poursuivit ainsi, chacun voulant faire son duo avec Céléna, il était minuit passé quand chacun s’en retourna. Une fois arrivée, Hugh suivit de Céléna montèrent les escaliers silencieusement sur la pointe des pieds, chacun tenant ses chaussures dans les mains. Ils ne voulaient pas réveiller la maisonnée. Arriver sur le pallier, chacun prit le couloir qui menait à sa chambre. Céléna saisit la poignée quand elle sentit une présence derrière, elle se retourna, Hugh se tenait là, ses yeux brillaient et il ne put s’empêcher de venir poser un baiser sur sa bouche. Céléna surprise, ne bougea pas, ne résista pas, ses lèvres étaient si douces et si chaudes. Un léger frisson parcourut son corps, elle appréciait l’instant et pourtant avant qu’une intimité trop importante ne s’instaure, elle le repoussa doucement. Elle plongea à nouveau son regard dans le sien et avec la franchise qui la caractérisait, lui dit

– Non je ne peux pas, pardon. J’espère que tu comprends …

Hugh en gentleman qui l’était se contenta de ces quelques mots, et s’en retourna en direction de sa chambre, le cœur lourd. Céléna ferma la porte, vint s’appuyer sur celle-ci, se laissa glisser, la tête dans ses genoux, elle éclata en sanglots, plus parce qu’elle regrettait de l’avoir blessé que parce qu’elle aurait voulu s’abandonner dans ses bras. Et elle répéta à voix haute « penser à remercier Mike ».