Chapitre 3 - Exploits en bricolage

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 Ils redescendirent au palier des Langeard. D'un air concentré, Charles déballa sa trousse pour en tirer un marteau.

 — Vous comptez enfoncer la porte ? s’enquit Hector.

 — Alors… Non… Ce n’était pas mon intention… Mais à mon avis, un marteau ne nous sera pas très utile…

 — S'il vous plaît ! supplia Mathilde, débordante d'angoisse. Dépêchez-vous ! Héléna s'étouffe !

 — Mais tu m'avais dit que tu l'avais entendue crier et qu'elle allait bien, avec Tata !

 — Mais justement, Totor ! On était avec Tatiana ! Le but, c'était de se barrer !

 C’était exactement ce qu’il ne fallait pas dire. La bonne grosse bouille ronde du garçonnet se décomposa lentement. Choqué par la dure réalité, il se mit à pleurnicher pour la énième fois de la soirée :

 — Menteuse ! Tu m'as menti !

 — Bon ! Taisez-vous, à la fin ! s'agita le professeur de latin-grec. Ce n'est pas parce que ce foutu tournevis fait des siennes, qu'il faut absolument que vous m'embêtiez avec vos cris ! J’ai l’impression d’être avec une colonie de perruche !

 — Compris Charles, on se tait. Tais-toi, Totor, chut.

 — Oui… Mais avec Héléna… Ça veut dire qu'elle va mourir ?

 — Eh bien… J'espère que non ! Après tout, peut-être qu'elle va bien !

 — Mais tu m'avais dit qu'elle allait mal !

 — Mais Totor ! cria Mathilde, exaspérée.

 Un cri l'interrompit. C’était Charles, qui venait de tomber par terre. La fratrie, abasourdie, s’approcha. Mathilde comprit rapidement ce qu’il venait de se passer : le tournevis avait glissé de la vis sur le pouce du prof, qui le tenait présentement avec son autre main. L'adolescente tenta de prendre la situation en main :

 — Heu, Charles… Ça va ?

 — Haaaaa…

 — Hum… Faut croire que non. Je peux faire quelque chose pour vous ?

 — Haaaaa…

 — Très bien. Vous pouvez me montrer votre doigt ?

 — Haaaaa…

 — Vous voulez j'appelle les parents, les voisins, les pompiers ?

 — Haaaaa…

 — Notez que je vous aurais volontiers emmené mettre la main sous l'eau ! Mais la porte est fermée…

 — Haaaaa…

 — C’est que ça a l’air grave… Bon, je vais chercher…

 — Tata ! cria Hector. J'y vais !

 Il détala avant même que sa soeur ne puisse l'arrêter. Elle souffla, les yeux au ciel, avant d’interroger le professeur dans l’espoir de comprendre son problème… Mais en vain. Il restait raide comme un piquet, par terre, à gémir, quand le petit garçon revint, accompagné d’une Tatiana équipée d'un petit sac à main.

 — Rebonsoir, mes petits lapins ! Que se passe-t-il ?

 — Je n'en sais rien, madame Lamatora… Charles s'est fait mal en essayant d'ouvrir la porte. On dirait que la douleur est insoutenable…

 Soudain, Hector fut touché par la lumière divine.

 — Ah ! réalisa-t-il. En fait, vous voulez ouvrir la porte !

 — Mais t'es drôlement doué, Totor ! constata son aînée. À peine deux, trois trains de retard !

 — Mais pourquoi vous ne le faites pas avec les clefs ?

 — Peut-être qu'on ne les a pas.

 — Mais moi, je les ai !

 Mathilde crut recevoir un coup de poing dans l’estomac. Elle blêmit, essaya de reprendre son souffle… Puis hurlasur son petit-frère :

 — Pardon ? Tu as les clefs ? Et c'est maintenant que tu le dis ? Je te signale qu'on a déjà un blessé ! Tu pouvais vraiment pas nous le signaler avant ? Tu attendais quoi ? Qu'il y ait un mort, ou deux ? Que le Père Noël arrive, peut-être !

 — C'est pas ma faute ! pleurnicha le garçonnet. On m'avait rien demandé !

 — Mais oui, mon doudou ! le réconforta Tatiana en le prenant dans ses bras. Ta grande soeur ne t'en veux absolument pas. N'est-ce pas... Comment vous appelez-vous, déjà ?

 — Mathilde. Et puis, non, d'accord, je ne lui en veux pas… C'est juste Charles, qui risque d’être… Bref. Maintenant, Totor, tu me donnes les clefs avant qu'une autre catastrophe nous tombe dessus. Ensuite, on s'occupe de Charles. D'accord ?

 Personne n'y voyant d'objection, ils ouvrirent la porte – par chance, le professeur particulier n'avait pas entamé la serrure. Comme il ne semblait guère disposé à bouger, Tatiana et Mathilde lui proposèrent de le porter. Charles se remit aussitôt debout sans plus rechigner. À l'intérieur, il se rua sur le robinet, où il fit couler l'eau sur son doigt pendant au moins cinq minutes. Mathilde et Tatiana en profitèrent pour chercher de l'alcool, des bandages et du coton.

 — Dites, souffla la jeune fille à sa voisine, vous croyez que le tournevis était rouillé ?

 — Peut-être, pourquoi ?

 — Ben, le tétanos ? Ce serait vraiment bête que…

 — Il devrait être vacciné. Mais je vais quand même le désinfecter, c'est plus sûr.

 Madame Lamatora s'approcha de Charles, avec un sourire effrayant de lionne devant sa proie. Le professeur, lui, avait enfin quitté le lavabo pour s'affaler sur le canapé. Il refusait fermement de sortir son pouce de sa bouche.

 — Mon loupiot… Vous savez, pour que je vous soigne, il faut que vous enleviez ce petit doigt de votre bouche. Car vous voulez que je vous soigne, n'est-ce pas ?

 Roulant des yeux apeurés, Charles fit catégoriquement non de la tête. Hector s'approcha de sa sœur :

 — Qu'est-ce qu'il a ?

 — Madame Lamatora veut le désinfecter, sauf qu'il veut pas…

 — Ah, oui… Il suce son pouce…

 — Vous savez, m'sieur ! Faut pas sucer son pouce. Moi, Mathilde m'a dit d'arrêter. Pas'que sinon, elle a dit qu'il allait devenir tout noir et tomber.

 Tout le monde le dévisagea avec des yeux ronds. De saisissement, Charles laissa tomber son pouce de sa bouche. Tatiana en profita pour l'attraper et l'enduire d'un coton imbibé d'alcool… Ce qui ne fut pas vraiment à son goût :

 — Ah ! Mais arrêtez ! Vous êtes folle ! Ça fait mal !

 — Calmez-vous, mon petit Chacharles ! roucoula Tatiana. Enfin, vous êtes d'accord pour que je vous appelles Chacharles ?

 — Appelez-moi comme vous voulez… Mais laissez-moi mourir en paix !

 — Allons, mon petit pigeon, c'est fini. Voilà, ce n'était pas si terrible… N'est-ce pas ?

 — Si.

 — Mais voyons ! Ne boudez pas… Maintenant, un pansement… Et une jolie petite poupée pour faire tenir le tout. Voilà !

 Il contempla d'un œil incrédule le ridicule nœud qui ornait son doigt, quand la sonnette se déclencha.

 — C'est qui ? C'est papa et maman ? demanda Hector.

 — Non, répliqua Mathilde. Ils ont les clefs, normalement. Je vais voir.

 Elle sortit… pour tomber nez à nez avec Clément. Son camarade de classe se tenait sur le seuil de la porte, tout le poids de son corps basculé sur une seule jambe. Les pouces glissés dans les poches de son jean dans une attitude décontractée, il semblait inconscient de l'effet qu'il produisait sur la demoiselle. Elle resta un instant bouche bée, avant de balbutier, la bouche pâteuse :

 — Oh… Oh ! Je… Salut, Clément ! Comment ça va ?

 Il ne prit même le temps de dire bonjour.

 — C'est de chez vous qu'il monte, tout ce boucan ?

 — Ou… Oui, je crois… C’est fort probable… Quourpoi… Heu, pourquoi ?

 — Bah, dans ce cas, ce serait bien si vous la fermiez. Y'en a qui veulent regarder le match de foot.

 Mathilde le regarda descendre les étages, ahurie.

 Elle… Elle était réellement tombée amoureuse de cet énergumène ? Et les autres filles de sa classe aussi ? Elle se rua dans la cage d'escalier, se pencha par dessus la rambarde et hurla de toute la force de ses poumons :

 — Désolée pour tout ce boucan, espèce de malpoli ! Excuse-moi ! C'est juste qu'il y a un pauvre bougre qui s’entaille le pouce devant ma porte, que ma sœur se noie… Bon sang, c’est vrai ! Ma sœur ! Zut ! Je l'avais oubliée !

 Elle rentra en courant dans l’appartement sans demander son reste.

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