Chapitre 4 - Les Méditations de Tatiana

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 Mathilde traversa à toute allure le salon, prenant à peine garde à son petit-frère qui jouait avec Chorizo et Paella – les deux cochons d’Inde. De leur côté, Tatiana et Charles avaient allumé la télé comme s'ils étaient chez eux. Sans leur prêter attention, elle se précipita dans la salle de bain où elle avait laissé sa sœur.

 Mais, dedans, elle manqua de s'évanouir : Héléna avait disparu ! Elle retourna dans le salon :

 — Nana a disparu ! Vous savez où elle est ?

 — Je l'ai entendue brailler dans sa chambre, répondit Tatiana d’un ton atone, les yeux fixés sur l'écran. Et je l'ai vue partir de la salle de bain pour aller dans le couloir.

 — Vous voyez, qu'elle allait bien, votre petite sœur, poursuivit Charles sur le même ton.

 Mathilde fila sans demander son reste dans la chambre d’Héléna. Celle-ci y assemblait des cubes de bois colorés, tout en babillant une mélodie de son invention. L'adolescente l'attrapa, la serra dans ses bras et lui mit un nouveau body rouge. Elles retournèrent ensuite dans le salon, où Charles et Tatiana visionnaient Les Mystères de l'amour. L’aînée des Langeard attrapa immédiatement la télécommande pour éteindre télé d'un coup sec.

 — Dites, vous n'avez pas bientôt fini, de regarder n’importe quoi ? Et puis, merci beaucoup pour votre aide, mais maintenant, Nana va très bien, comme vous pouvez le voir. Et si vous rentriez chez  vous ? Il se fait tard ! Et puis, imaginez la tête des parents s’ils vous voyaient chez nous !

 Surprise pas sa sœur qui vociférait, Héléna se mit à hurler de concert. Tatiana, elle, prit un air dignement offensé et se leva :

 — Très bien. Puisque personne ne veut de moi ici, je m'en vais. Et surtout, ne me remerciez pas pour avoir soigné Chacharles.

 — Génial, elle s'en va, marmonnait justement celui-ci. Moi, je dois rester ici, reprit-il tout haut. Je suis handicapé d'une main, je ne peux pas me débrouiller tout seul dans mon appartement.

 — Et Holly ? demanda Hector.

 — Je lui ai donné ses croquettes avant de partir.

 Mathilde, voyant que ses voisins ne comptaient pas partir si facilement, se mordilla les lèvres. Elle insista :

 — Vous êtes vraiment sûr que vous ne pouvez pas rentrer chez vous ?

 — Vous voulez ma mort ? Imaginez que… Que je décide de faire du thé. Je n'aurais qu'une seule main pour le faire, et de plus, ma main droite alors que je suis gaucher. Si je me brûle, je pourrais…

 — C'est bon, restez.

 Satisfait, il s'allongea tranquillement de tout son long sur le canapé. Madame Lamatora eut l'air d’autant plus indignée que ses voisins se fichaient d'elle. Vexée, elle claqua donc la porte et disparut. Sur ce, une sonnerie retentit. C'était le téléphone de Charles. Celui-ci le sortit, gêné :

 — Tiens, c'est mes parents… Hum, ça ne vous embête, si je décroche ?

 Honnêtement ? Beaucoup. Mais Mathilde, grand seigneur, hocha la tête. Soulagé, Charles décrocha :

 — Salut maman, salut papa ! Tout va bien, chez vous ? Oui… Oui… Ah, là, par contre, non… Sinon, vous avez réparé le lustre ? Oui… Bah, vous savez, c’était pas de ma faute ! J’y peux rien, moi… Si Grisouille commence à se fourrer dans mes jambes… Ah, tiens ! Vous avez planté un pommier ? Et les pommes ? Elles sont bonnes ? Ah, il n’a pas encore commencé à donner… Ni même à fleurir…

 La sonnette se déclencha à nouveau. Le professeur dit au téléphone :

 — Attendez, je vous rappelle… Il y a du monde qui arrive…

 — Je vais voir qui c'est ! claironna Mathilde.

 C'était Tatiana. 

 — Salut ma choupette ! Je reviens, j'ai oublié mon sac à main… Il y a mes clefs, dedans, alors tu vois… Et aussi, à un moment, je me rappelle, tu avais ouvert à quelqu'un. C'était qui ? Parce que j'attends le facteur. Et je me disais, peut-être qu'il était monté pour me donner mon colis. Et surtout, j'étais venue voir comment allait mon petit chéri.

 — Votre petit chéri ? Quel petit chéri ? Vous avez un petit chéri ?

 — Mais oui ! Mon petit Chacharles !

 Tatiana entra de force dans le salon, suivie par une Mathilde beaucoup moins enthousiaste. La voisine se mit à fouiller les moindres recoins dans un vacarme apocalyptique. Tout en inspectant la pièce, elle demanda à l’adolescente :

 — Alors, mon lapin ? Qui est-ce qui avait sonné ? Mon facteur ?

 — Ah… Non… En fait, c'était Clément.

 — Ah bon ? s’intéressa Charles. C'est qui ?

 — C'est un garçon de la classe de Mathilde et elle est amoureuse de lui ! hurla Hector.

 — Tais-toi, Totor.

 — C'est vrai ? gloussa Tatiana. Mais c'est follement excitant, tout ça !

 — Bof, éluda-t-elle. En fait, il est très bête. Il est juste venu nous voir pour nous demander de baisser d'un ton.

 — Ah, ça, beaucoup de gens sont bêtes, constata rêveusement madame Lamatora, poussant Charles afin de se faire une place sur le canapé, ayant définitivement abandonné la recherche de son sac. Et si leur bêtise brillait, ce serait elle qui illuminerait le monde. Pas vrai ?

 — Heu… Sans doute ! répondit le professeur, complètement perdu.

 — Moi-même, poursuivit Tatiana, je rencontre beaucoup de gens bêtes.

 — Ah, vraiment ?

 — Oui. Ils ne veulent pas me parler. Ils affirment que je suis trop bizarre. Mais bizarre, qu'est-ce ? Quelqu'un de trop normal serait bizarre, non ?

 — Heu, réfléchit Mathilde, méfiante. Ouais… Ce serait… Bizarre.

 — Peut-être qu’au fond, je suis trop normale… Et c'est pour ça que les gens me trouvent bizarre ! Et comme ils me trouvent bizarre, je suis seule…

 — Mais vous n'êtes pas seule ! cria Hector. On est avec vous !

 — Oui, accorda-t-elle, rassérénée. Et j’espère que je ne serais plus jamais seule !

 Disant cela, elle tourna un regard langoureux vers Charles. Celui-ci rougit comme une écrevisse et se leva précipitamment du canapé pour changer de place. Il attrapa une chaise, la poussa à l'autre bout du salon et s'assit dessus. Mais la voisine continuait à déblatérer, ne s’en étant apparemment pas rendue compte :

 — Je disais que les gens ne veulent jamais aller avec moi. Pour les cours de chant. Oui, je suis des cours de chant. Vous en dites quoi ?

 Cette fois, il n'y eut personne pour répondre. Charles, Hector et Mathilde étaient à court d’idée. Quant à Héléna, elle avait recommencé à babiller toute seule. Ne remarquant toujours rien, Tatiana poursuivit :

 — Je ne sais pas vous, mais moi, j'adore chanter ! Je fais du chant lyrique. De l’opéra ! Et vous ?

 — Heu, fit la jeune fille, ouais… C'est cool, l'opéra, sauf que… Je dois aller m'occuper d'Héléna !

 Elle partit avec le bébé dans sa chambre.

 — Dis-donc, mon loupiot ! demanda Tatiana à Hector. Il y a des disques de musique, ici ?

 — Ouais ! Papa et maman adorent ! On a…

 Il s'approcha de la radio posée dans un coin, attrapa un disque et le lut attentivement :

 — La… i… r… L’air… de… la… rei… ne… de... la… nu… it… nuit…

 — Divin ! C'est justement ce chant que j'interprète le mieux ! Que diriez-vous que je le chante ?

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