Chapitre 5 - Coup de feu

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 — Non, surtout pas ! s’opposa Charles en se précipitant vers la radio, pour empêcher sa folklorique voisine de passer.

 — Mais pourquoi ? Ça me ferait tellement plaisir, mon chéri ! Et d'ailleurs, je vous aime beaucoup mais on est chez Mathilde. C'est à elle de demander ! Non ?

 Tout le monde l'appela. Elle arriva en courant, sans Héléna :

 — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a, encore ? La troisième guerre mondiale ?

 — Nan ! la détrompa son petit frère. C'est Tata qui veut chanter.

 — Quoi ? Pourquoi pas organiser une course de vélo dans la salle de bain, tant qu'on y est ?

 — Ouais ! s’enthousiasma Hector.

 Madame Lamatora se mit à bouder.

 — Personne ne m'aime, ici. Personne ne me prend au sérieux.

 — Mais si vous n'êtes pas contente, vous n'avez qu'à ficher le camp ! cria Mathilde, qui commençait à perdre son calme.

 Comme Tatiana se renfrognait de plus belle, elle se reprit plus doucement :

 — Bon, désolée… Débrouillez-vous comme vous voulez, mais moi, je vais faire le biberon d'Héléna.

 — Mais je peux pas chanter, alors ?

 — Oh ! Faites comme vous voulez !

 Elle sortit énervée pour retourner voir Héléna. Tatiana sourit langoureusement au professeur de latin-grec, tout en enclenchant la musique.

 Très intéressé, Hector en oublia les cochons d'Inde qui déguerpirent à l’autre bout de la pièce. Quelques secondes plus tard, Mathilde – qui ne pensait pas que Tatiana était vraiment sérieuse – revint en courant, sa sœur et son biberon dans les bras.

 La vue de sa voisine s’époumonant en allemand – tandis que Charles se bouchait tant bien que mal les oreilles – lui parut légèrement surréaliste. Manquant d’en lâcher bébé et biberon, elle hurla :

 — Mais vous n’avez pas bientôt fini, non ! Vous le faites exprès, ou quoi ?

 — Mais ! s’exclama une Tatiana toute déconfite. Vous aviez dit que je pouvais chanter !

 — Sérieux ? Vous êtes complètement…

 La sonnette se déclencha à cet instant, empêchant Mathilde de prononcer des paroles irréversibles. Charles sauta sur l’occasion :

 — C'est qui ?

 — Aucune idée. Je n'en suis pas encore à voir à travers les portes. Mais c'est sûrement quelqu'un qui va venir étoffer notre bande de bras cassés.

— Je t'en prie ! s'indigna Tatiana. Reste polie !

— Si vous n'êtes pas contente, vous savez où est la porte !

 Elle posa sa petite sœur sur le canapé pour ouvrir. Il s'agissait de Bernard, armé de son fusil, qui se précipita dans le salon en la bousculant :

 — Elle est où, la Prima Donna ? Que je lui fasse passer l'envie de beugler comme vache folle désembouteillée des alpages !

 À la vue du fusil, les Langeard et leurs voisins s’enfuirent à l’autre bout de la pièce en hurlant, si paniqués qu’ils en oublièrent Héléna. Celle-ci, nullement sensible à l’anxiété ambiante, essayait simplement de tenir debout sur le canapé. Heureusement, Janine entra à la suite de son époux :

 — Calme-toi, Bernard ! Tu vas finir par écloper quelqu'un, avec ton escopette ! Et vous autres, z’en faites pas. Y'a que dalle dans son flingue !

 Soudain, Héléna éclata de rire. Alors qu’elle reprenait son souffle, le silence parut plus effrayant encore que les hurlements de Bernard. Tout le monde la dévisagea… Mais le bébé se remit à rire de plus belle.

 — Mais… C'est pas de moi qu'elle se gouaille, la marmaille ! rugit Bernard.

 — Non, non, du tout ! le rassura Charles, dont les tempes dégoulinaient de sueur.

 Mais c'était indéniable. C'était le vieil homme qui faisait le rire le bébé. Elle avait beau se calmer, dès que son regard se posait sur lui, elle recommençait à glousser de plus belle.

 Bernard, vexé, allait partir… quand Paella lui rentra dedans en trottinant. Le vieil homme glapit, manqua de lâcher son fusil, jongla avec et, soudain, le coup partit tout seul. La balle brisa la lampe du salon, qui se retrouva plongé dans l’obscurité.

 Mathilde fila immédiatement allumer le couloir – elle connaissait suffisamment l’appartement pour s'y retrouver, même dans la pénombre.

 — Tout le monde bien ? s’enquit-elle, frissonnant encore.

 — Oui, oui, marmonnèrent Charles, Tatiana et Hector, pas plus rassurés qu’elle.

 Par chance, Héléna avait arrêté de rire bêtement. Janine, quant à elle, tapait sur les doigts de Bernard :

 — Bernard ! ‘Spèce de cornichon ! T’es bredin jusqu'au trognon ? Tu m'avais promis de ne plus user de ta couleuvrine et de la garder avec quepouique dedans ! Pauv’ branquignole !

 — Désolé, Janine ! Mais si cette mioche sinoque et la diva me tapent sur les nerfs, je réponds plus de rien ! D'ailleurs, c'était qui, le front d’endive qui se prenait pour la cantatrice ?

 Mathilde s’installa sur une chaise avec sa petite sœur dans ses bras. Hector caressa Chorizo. Tatiana sortit un tube de vernis à ongle et s’en appliqua consciencieusement sur le bout des doigts. Charles sifflota en époussetant son épaule d'une pichenette. Devant leur silence, le couple de retraité repartit.

 Aussitôt, Mathilde souffla :

 — Ouf ! Maintenant, faudra peut-être réparer la lampe avant le retour des parents.

 — Pour ça, faudra peut-être des ampoules et une échelle.

 — Facile ! rétorqua Tatiana. J'ai un stock de lampe chez moi et il y a une échelle, dans la cour.

 — Pour les ampoules, pourquoi pas… Après, je ne sais pas vous, mais ne comptez pas sur moi pour monter une échelle sur trois étages.

 — C'est pour ça qu'on a inventé l'ascenseur !

 — Et vous allez faire comment, pour mettre une échelle dedans ? vociféra Hector. Vous êtes pas malin, Tata ! Il vaut mieux prendre la table !

 — C'est trop petit, Totor ! contra Charles. Moi, si j'y vais, je toucherais même pas l'ampoule du bout des doigts. Le plafond est trop haut.

 — Si on met une chaise sur la table…

 — Mais non ! s'opposa Charles en s'épongeant le front. C'est n'importe quoi ! On va se faire mal, si on tombe ! C'est trop dangereux !

 — Mais Chacharles ! le persuada Tatiana. C'est la seule solution !

 Charles eut beau maugréer, on ne lui laissa pas le choix. Tout le monde poussa alors la table vers le centre de la pièce. Ils y placèrent tant bien que mal une chaise, et Charles grimpa laborieusement dessus. Hector décida soudain de faire une percée dans l’humour :

 — Tiens ! J'ai une blague très drôle : c'est deux fous qui veulent remplacer une lampe, donc y en a un qui grimpe sur l'échelle et l'autre qui la fait tourner. Vous savez, parce qu'une lampe, ça se visse et ça se dévisse. C'est drôle, non ?

 Devant le manque de réaction de ses compagnons – surtout occupés à jucher Charles sur sa chaise –, il fondit en larme :

 — Bouhou… Je fais des blagues nulles… Vous m'aimez pas… Vous rigolez pas… Bouhou !

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