Chapitre 7 - Tatiana fait des siennes

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 Mathilde vit rouge. Sur le point d’exploser, elle rugit :

 — Mais je vous en prie ! Restez gentille ! D’où vous sortez ça, d’abord ?

 — Ben voyons ! Ta petite sœur se noie, et tu me dis que c’est rien ! Mais depuis quand, lorsque sa sœur se noie, ce n’est rien ?

 — Mais, je disais ça parce que je vous trouvais… Non, rien !

 — Vous me trouviez quoi ?

 — Mais, non, pas du tout ! Je ne vous trouvais absolument pas bizarre ! Mais qu’est-ce que vous allez inventer ? Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !

 — Bon, continuons ! Quand je vous dis que je veux chanter, Mademoiselle me répond d'aller faire du vélo dans la salle de bain !

 — Alors non ! Je n'ai jamais dit ça ! J'ai dis : autant faire une course de vélo dans la salle de bain ! Nuance !

 — C'est la même chose !

 — C'est pas vrai ! Et si vous n'êtes pas contente, vous n'avez qu'à partir !

 — Voilà ! À chaque fois que vous êtes fâchée, vous me jetez dehors ! À la rue !

 — D’une, je ne vous jette pas à la rue ! Vous avez un appartement juste en dessous ! Ensuite, je vous dis d'aller dehors ! Nuance. Parce qu'il n'y a qu'une seule fois où vous avez décidé de rentrer chez vous, et vous êtes revenue même pas vingt secondes après !

 — Peut-être, mais ça fait au moins trois fois que vous me virez en une heure et demie ! Et mettre quelqu’un à la porte parce que vous n'avez rien pour vous justifier, c'est un aveu de faiblesse ! C’est honteux !

 — Bon… Vous savez ce qu'elle vous dit, la faible ?

 — Non, mais je brûle d’impatience de le savoir.

 Mathilde s'approcha de Tatiana, installée sur le canapé, les jambes croisées, et mugit :

 — DEHORS ! Vous nous faites soûlez, avec vos réflexions à deux balles ! Et, sérieux, apprenez à vous démaquiller : on dirait qu’un arc-en-ciel vous a vomi dessus !

 Sonnée par le bruit, madame Lamatora resta ahurie quelques instants. Se ressaisissant, elle se leva, prit son sac à main et rassembla ses affaires :

 — Voilà, voilà ! C'est bon, je m'en vais ! Pas la peine de se fâcher !

 — Mais excusez-moi de péter les plombs ! Et en fait, oui, je vous trouve bizarre !

 — Très bien ! accepta Tatiana, se drapant dans sa dignité – ou du moins, ce qu’il en restait. Personne ne m'aime, ici. Je vais donc retourner dans mon appartement, et profiter une nouvelle fois de la solitude qui y règne et qui ne m'a jamais jugée !

 — C'est ça ! Bon débarras ! grommela Charles. Moi, je vais téléphoner à papa et maman, reprit-il tout haut. Ils doivent ce demander ce que je fais. Déjà, tout à l'heure, je leur avais raccroché au nez.

 Il s'étala de plus belle sur le canapé, ressortit son téléphone et contacta sa famille. Mathilde reprit sa petite sœur, et Hector son livre. Tatiana, voyant que personne ne s'intéressait plus à elle, ressortit dehors extrêmement vexée. Soudain, un raclement, un lourd bruit de chute et une série de jurons retentirent.

 — Ho ho ! gloussa Hector. Elle a dit…

 — Tais-toi, Totor ! l'interrompit son aînée. On a entendu, et c’est pas bien de dire ça. Charles, poursuivit-elle d'un ton très calme. Vous ne voudriez pas aller voir ce que Tatiana a encore inventé ? J'ai pas envie d'envoyer Totor, il risque de faire n'importe quoi. Et si j'y vais, je risque de commettre un meurtre.

 — Une minute, maman, raccroche pas… Désolé, peux pas. Je téléphone à mes parents. Je suis occupé. La famille, c'est sacré, tu sais.

 — Eh ! cria madame Lamatora depuis l’entrée. Venez m'aidez ! Chacharles ! Vous êtes où ?

 — Charles ! l’incita Mathilde. Écoutez, elle vous appelle !

 — Allez ! l'encouragea Hector. Allez aider votre chérie !

 — Eh, oh ! bondit l’intéressé. C’est faux ! C’est pas ma chérie ! Vous racontez n’importe quoi !

 Il replongea dans son portable :

 — Non, non, papa… C'était pas à toi que je parlais… T'en fais pas… Je…

 — Je vais mal ! Il n'y a pas quelqu'un pour m'aider ?

 — Charles ! cria Mathilde, excédée. Allez consoler votre amie ! Vous m'entendez ? Et elle, vous l'entendez ? Elle va mal !

 — Ce n'est pas mon amie !

 — Alors allez consoler votre voisine, qu'on en fini… Oh, et puis zut ! Prenez Héléna ! À ce rythme, on y sera encore à Noël !

 Elle posa sa petite sœur sur les genoux du professeur et se dirigea vers l’entrée, où Madame Lamatora, assise par terre, adossée contre le mur, avec le meuble à chaussure renversé, s’écria :

 — Ah ! Quand-même ! Quelqu’un vient ! Je commençais à m'inquiéter ! C'est de la non assistance à personne en danger ! J'allais appeler la police et…

 — Oui, bon, vous fatiguez pas. Qu'est-ce qui vous arrive encore ?

 — En sortant après que vous m'eusses braillé dessus, j'ai buté dans ce meuble qui était en plein milieu…

 — En plein milieu, n'exagérez pas. Il était contre le mur. Comment avez-vous réglé votre compte pour rentrer dedans ?

 — Oui, bon, il était en plein milieu, contre le mur. Et je suis tombée par terre et j'ai brisé mon talon !

 Mathilde s’effraya pour de bon :

 — Zut, c'est vrai ? Vous vous êtes cassé le talon ? Vous avez mal ? Qu'est-ce que je dois faire ? Voulez-vous que j'appelle les pompiers ? Vous croyez que vous pourriez emprunter l’ascenseur ? Je veux dire, marcher jusqu’à…

 — Non, je parlais du talon de mon soulier ! Le gauche, là… Vous voyez…

 Elle illustra ses propos en brandissant le fameux talon, qui s'était pris dans le meuble. Mathilde, incrédule, secoua la tête.

 — Ah, bon… Sinon, vous pouvez toujours marcher ?

 — Bien sûr ! Regarde…

 Elle se leva et tourna plusieurs fois sur elle même. Sa jeune voisine serra les poings :

 — Et vous étiez obligée de nous appeler en braillant comme ça ? Tout l'immeuble a dû vous entendre ! On fait quoi, si Bernard et Janine reviennent pour nous tirer comme des lapins ?

 — Vous n'aviez qu'à venir tout de suite. C'est de votre faute, il n'y a pas à dire ! Et quant à Bernard et Janine, pas de risque, je ne chantais pas. N'empêche… Je ne vois vraiment pas pourquoi vous n'aimez pas L'air de la reine de la nuit. C'est le chant que j'interprète le mieux !

 — J'ose pas imaginer les autres, alors…

 — Hein ?

 — Non, rien ! Je disais, heu… Que quand vous chantez, c'est… Heu…

 — Oui ?

 — Heu… C’est puissant !

 — Merci. C'est bien ce que je pensais. Bon, ben maintenant, je vais me chercher de nouvelles chaussures, et je reviens !

 Mathilde faillit s’étouffer avec sa propre salive.

 — Comment ça, vous revenez ?

 — Ben oui, mon lapin. Je reviens vous aider à chercher Paella ! Faudra peut-être s'y mettre un jour, non ? Tu crois pas, mon coco ?

 — Ouille… Je l'avais oubliée…

 — Et puis, surtout, gloussa Tatiana à son oreille, je reviens voir Chacharles. Il me plaît beaucoup !

 — Ah ? Vraiment ?

 — Oui ! À tout de suite, ma petite biche !

 Elle se glissa dehors, en se cassant la figure à cause de son talon en moins. La jeune fille, quelque peu sonnée, rentra aussitôt. Hector, qui jouait avec Chorizo, lui promettait qu'on retrouverait vite Paella. Charles, quant à lui, se répandait en explications pour convaincre ses parents que les cris qu'il avait poussé ne leurs étaient pas destinés. En voyant Mathilde, il posa sa main sur le combiné :

 — C'est bon ? La monstresse est partie ?

 — Oui, mais elle va revenir. Elle a cassé le talon d'une de ses godasses, et elle va donc les changer. Autrement dit, elle revient après.

 — Oh, non !

 Le professeur particulier se laissa tomber contre le dossier de son siège, enleva ses lunettes en écaille et se pinça l'arrête du nez.

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