Chapitre 9 - Au tour des Dubreuil !

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 Alors que, depuis quelques secondes, Charles, Mathilde et Tatiana veillaient à ne faire aucun bruit, depuis le salon, tous entendirent très nettement Janine. Elle criait :

 — Bernard ! c'est qui ? Si c'est encore un colporteur pouilleux qui vient nous refiler ses calendriers minables, n'hésite pas ! Y'en a marre, de ces guignols !

 — On n’est pas des colporteurs ! s’étrangla madame Lamatora.

 — C'est la diva ! Je reconnais sa voix ! s’époumona le vieil homme.

 — Ne la tuez pas ! supplia Charles. Je… Imaginez ! Imaginez tous les ennuis qui vont vous arriver si vous le faites ! Il vous faudra cacher le cadavre, et…

 — T'en fais pas, mioche. J'allais pas la faire sauter. Bon, on peut savoir ce que vous faites ?

 — On cherche un cochon d'Inde, bafouilla Mathilde, tremblante.

 L’adolescente redescendait craintivement. Elle avait compris qu’elle ne devrait pas se faire tirer dessus – du moins, pas tout de suite. Bernard fronça les sourcils :

 — Un cochon d'Inde ? C'est quoi, ce drôle d'oiseau ? Ça se mange ?

 — Manger un pauvre petit cochon d'Inde sans défense ! s'indigna Tatiana. Oh, et puis, tant qu'à faire… Y'en a qui en mangent ! Au Pérou, par exemple. Mais pas moi. Je suis vegan. Et vous ?

 — Nenni ! Jamais de la vie, répondit Bernard. Bon, vous voulez dégoter quoi ? Au fait, c'est quoi un porc indien ? C'est ça que vous essayez de dénicher, non ?

 — Non, c'est rien, fit Mathilde. À mon avis, ajouta-elle à l'intention de Charles et Tatiana, ils n'ont jamais vu de cochon d'Inde. Sinon, ils sauraient ce que c'est…

 — Ouais, on monte. Au revoir, monsieur…

 — Dubreuil. C'est ça, fichez le camp. Et bonne soirée.

 Les trois voisins partirent en laissant là le couple de retraité. Ils allèrent au palier du professeur. Celui-ci eut subitement l'air inquiet :

 — Dites, vous pensez que Paella est ici ?

 — Ben, on ne l'a pas trouvée ailleurs… Pourquoi ?

 — Pourvu qu'Holly ne la trouve pas avant nous…

 — C'est qui, Holly ? demanda Tatiana, soudain anxieuse. C'est pas une fille, au moins ! s’enquit-elle brusquement, en prenant une expression soupçonneuse.

 — Non, pas du tout ! C'est juste ma chatte. Je l'ai trouvée, un jour. Elle se promenait sur le toit en face de mon studio et elle était maigre comme un lacet. Je l'ai nourrie, et depuis, elle squatte le studio.

 — Elle en a, de la chance ! s’extasia l’extravagante dame. Mais c'est ballot… Holly va n'en faire qu'une bouchée. Elle est bien grasse, Paella. Et je serais pas étonnée d'apprendre qu'elle est appétissante.

 — Ce serait gentil si vous pouviez éviter de dire ça à Totor, ordonna Mathilde. Il va faire des cauchemars toute la nuit. Bon, voici ce qu’on va faire : Charles, vous attrapez Holly, et on cherche Paella. D'accord ?

 Comme personne n’y voyait d’objection, ils entrèrent dans l'appartement. Charles venait d'attraper Holly, quand un cri retentit.

 — Eh ! réagit Tatiana. Ça ne viendrait pas de chez les fossiles ?

 — Si ! s'inquiéta Mathilde. Vous croyez que Bernard a tiré sur son épouse… ?

 — Non, les rassura le professeur, sinon, on aurait entendu les coups de feu. Mais comme, contrairement à Clément, on s'inquiète pour ses voisins, on va aller voir ce qu'ils ont inventé.

 Holly dans les bras, il les mena devant la porte des Dubreuils. Ils sonnèrent, toquèrent et finalement entrèrent, car la porte n'était pas fermée. De plus, le manque de réaction des retraités n’était pas pour les rassurer…

 Dans l'appartement, ils se heurtèrent à une scène surréaliste. Bernard et Janine, perchés sur le plan de travail de leur cuisine, hurlaient. Par terre, face à eux, se tenait un petit cochon d'Inde bien gras qui semblait plus surpris qu'effrayé. Paella avait dû entrer en même temps que le couple de retraités. Ensuite, elle s'était cachée et ne venait d'être découverte qu'à l'instant.

 Alors qu'Holly allait sauter des bras de son maître, Mathilde plongea sur le cobaye et l'attrapa. Elle le serra dans ses bras, pendant que Tatiana aidait les retraités à descendre.

 — C'est quoi, cette bricole ? haleta Janine.

 — Ben, vous venez de rencontrer un cochon d'Inde ! expliqua Mathilde, qui ne savait si elle devait en rire ou en pleurer. Vous savez… C'est gentil, et ça ne fait pas de mal !

 — Encore une de ces saloperies venues tout droit d'Amerloque, ronchonna Bernard.

 — Chéri, grinça son épouse. C'est un cochon d'Inde, ça vient d'Inde ! Et qu'est-ce que t'as contre l'Amérique ?

 Charles jugea utile de les détromper.

 — Heu, non… Les cochons d'Inde viennent d'Amérique du Sud.

 — Vous êtes pas très au courant, les ancêtres, constata Tatiana. Faut sortir le dimanche ! Sinon, vous allez finir desséchés comme les dinosaures qu'on peut voir dans les musées.

 — Oh, la panthère, restez décente.

 — C'est vrai ! approuva Mathilde. Tatiana, gardez ce genre de remarque pour vous !

 — Et puis, se défendit Bernard, où c'est sensé d'appeler des gorets brésiliens des cochon d'Inde ? Vous avez de ces idées, les jeunes…

 — Alors, commença Charles, retenant Holly d'une main ferme dans ses bras. Ça commence avec les grandes conquêtes du nouveau monde, car…

 — Ah, non ! protesta Janine. Avant, j'étais prof d'histoire ! Vous pourriez me laisser raconter moi-même !

 — Dites, la coupa Tatiana. Vous n’êtes même pas fichus de savoir d'où vient le mot cochon d'Inde ! Alors remerciez-nous, on vous met de l'intellect dans la caboche !

 — La panthère qui s'est échappée des discos, je vous rappelle que j'ai mon fusil à portée de paluche, alors…

 Bernard n'eut pas le temps de finir sa phrase : Charles, Mathilde et Tatiana venaient déjà de partir en courant. Ils dévalèrent l'escalier afin d'atteindre le palier des Langeard. Par chance, ils ne furent pas poursuivis. Vers les dernières marches, madame Lamatora trébucha puis fit un vol plané, qui s'acheva devant la porte de l'appartement. En pestant, elle retira sa chaussure :

 — Zut ! Mon talon s'est décollé !

 — En même temps, lui reprocha Mathilde, vous auriez du attendre un peu avant de remettre votre botte ! Je ne suis même pas certaine que la colle ait séché. Et au passage, vous l'aviez collé avec quoi ?

 — Du scotch et de la colle liquide. Ce sont les premiers trucs qui me sont tombés sous la main.

 — Mais comment voulez-vous que ça tienne ? Si vous voulez, on rentre chez moi et je vous mets de la colle forte. On a de la super glu. Mon père m'a même dit que, si je m'en mettais sur les doigts et que je les collais ensemble, il faudrait un couteau pour les détacher.

 Cette déclaration horrifia Charles. Il sursauta et pépia :

 — Comment ? Mais c'est pas dangereux ? Mathilde, s'il te plaît, fais en sorte qu'on n'en arrive pas à cette extrémité !

 — Mais t'en fais pas, Charles… Je ferai attention ! Je ne suis plus une gamine !

 Ils entrèrent. Hector poussa un cri de joie en voyant Paella saine et sauve. Sa grande sœur houspilla le professeur de latin et de grec quand il déposa sa chatte par terre :

 — Charles ! Ne mettez pas Holly ici, enfin ! Elle va manger les cochons d'Inde !

 — Pas forcément. Je lui ai donné ses croquettes il n'y a pas longtemps. Elle n'a peut-être plus faim. Et de toute façon, il se peut que vos animaux soient trop gros pour elle.

 — Bon, se résigna Mathilde. Faites comme vous voulez, mais faites en sorte qu'Holly ne les croque pas, ce serait gentil. Et, si possible, ce serait bien de la faire disparaître avant que papa et maman reviennent. Maman a toujours dit qu'une paire de cochon d'Inde, ça lui suffisait. Maintenant, je vais coucher Héléna. Il commence à se faire tard, pour elle.

 Elle disparut, sa petite sœur dans ses bras.

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