Chapitre 13 - Loisirs

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 La joyeuse assemblée monta jusqu'au logement des Langeard. Là, Charles, Tatiana, Hector et sa grande sœur saluèrent Bernard, qui partait rejoindre son épouse. Quand ils furent seuls, Mathilde proposa timidement au professeur particulier et à madame Lamatora de regagner leur appartement.

 — Mais ça ne va pas ? s'indigna immédiatement Tatiana. Nous sommes gentils de bien vouloir vous faire à manger, et voilà comment vous nous remerciez !

 — D'autant plus, ajouta Charles, que ce ne serait pas responsable de notre part de partir comme des voleurs. Vos parents aimeraient sans doute que nous vous surveillons.

 — C’est ça, et vous ne les connaissez même pas… Je veux dire, on peut très bien s’occuper seuls !

 — Désolée, Mathilde. Mais si vous en arrivez à noyer Héléna, c'est que vous avez besoin de nous.

 — Bon, d'accord… Vous pouvez rester…

 Dans l’appartement, ils durent se trouver une occupation.

 — On peut faire un Cluedo, proposa Tatiana.

 — Non, trancha aussitôt Charles. Totor est trop petit.

 — Alors, un Monopoly.

 — Flemme, refusa Mathilde. Le Monopoly, ça dure toujours quinze plombs. On finira demain au plus tôt… Et encore, si on ne dort pas de la nuit.

 — Alors, on peut jouer aux échecs !

 — Là, c'est vous qui n'avez pas assez dormi. Les échecs, ça se joue à deux.

 — De toute façon, intervint Hector, je ne sais pas jouer aux échecs. Sinon, en attendant de trouver un jeu, on peut voir un Tintin.

 Pour être tout à fait honnête, Mathilde n’avait pas plus envie que ça de regarder des dessins animés. Mais comme Tatiana et Charles avaient l’air tous les deux d’accord – pour une fois ! –, elle accepta de visionner Vol 714 pour Sydney. Alors que tout le monde contemplait le petit écran, où le Capitaine Haddock faisait étalage de tout son vocabulaire, Mathilde sortit discrètement son téléphone pour jouer à Candy Crush.

 — Hé ! chuchota soudain Charles par dessus son épaule. Tu devrais bouger le bonbon bleu, là.

 — Hein ?

 — Oui. Comme ça, le bonbon rouge descendra et tu pourras faire un bonbon rayé !

 — Pas la peine, j'allais mettre le vert là. Comme ça, j'en ai un emballé.

 — Oui, mais il vaut mieux le faire d'abord. Ton truc pour faire un bonbon emballé est en bas, donc ça va tout chambouler.

 — Tant pis, je le fais quand même.

 — Fais gaffe ! La bombe va exploser !

 — Zut ! Je ne l’avais pas vue… Vous ne pouviez pas le dire avant ?

 — Non.

 — Eh bah voilà… Maintenant, la partie est perdue.

 — Fallait m’écouter, hein.

 — Vous et vos conseils…

 — Par contre, là, tu devrais refaire le niveau avec un booster, parce que… Mais… Tu n'as pas de booster ! Tu les manges, où quoi ?

 — Je les utilise, nuance. Mais en même temps, il est dur, ce niveau… Il y a seulement douze déplacements, et des milliards de bombes…

 — Vous faites quoi, mes chéris ? s’incrusta soudain Tatiana, par dessus l'autre épaule de Mathilde. Oh ! Vous jouez à Candy Crush ! J'adore ! Mais quand j'ai changé de téléphone, j'ai perdu la partie, du coup je… Non, non ! Stop, Mathilde ! Fais surtout pas ce déplacement !

 — Mais pourquoi ?

 — La bombe, regarde ! Elle va exploser !

 — Encore une ?

 — Heureusement que je suis là. Comme je le dis souvent, le monde ne tournerait pas sans moi, Tatiana Lamatora.

 — Attends, mets le bonbon bleu là.

 — Mais non, c'est débile ! Il sera mieux ici !

 — Pas du tout ! Là, ça fera un bonbon emballé !

 — Oui, mais de l'autre côté, on aura une pépite !

 — Mais en faisant ça, on pourra le faire exploser et récupérer un bonbon jaune !

 — Pas faux…

 Au bout de quelques déplacements, Mathilde perdit à nouveau la partie, pour le plus grand mécontentement de ses voisins.

 — Ho, non !

 — Mais pourquoi tu ne nous as pas écoutés ?

 — C'est vrai, quoi, sans blague… Tu aurais mieux fait de…

 — Mais laissez-moi jouer tranquille, à la fin ! Si vous aimez tant Candy Crush, il n'y a rien qui vous empêche de prendre vos téléphones et de…

 — Taisez-vous ! hurla soudain Hector. J'entends plus la télé !

 Les trois fautifs, penauds, demeurèrent silencieux le reste du dessin animé. Lorsqu’il s'acheva, Tatiana proposa une nouvelle activité :

 — Et si on éteignait toutes les lumières pour raconter des histoires qui font peur ?

 — Chouette ! s’enthousiasma le cadet des Langeard.

 — Surtout pas ! s’opposa Charles.

 Tout le monde le dévisagea. Gêné, il tenta de se justifier :

 — C'est vrai… Ça pourrait… Heu, faire… Peur à… Heu, au petit…

 — Mais j'ai pas peur ! C'est toi qu'à peur, Charles !

 — Mais pas du tout ! Et, heu… D'ailleurs, vous attendez quoi pour éteindre les lumières ?

 Ils obéirent, puis Tatiana réclama le privilège de commencer. Elle entama :

 — C'est l'histoire de Julie. Elle tombe malade, et doit changer son cœur et son foie, ou se faire une greffe de ce côté pour survivre.

 — Dites, marmonna Mathilde, guère convaincue par cette entrée en matière. Si vous ne savez pas ce qu'il faut faire, à cette pauvre Julie…

 — Oui, bon, ce n'est qu'une histoire… Bref, sa meilleure amie Laure consent à l'échange, car elle est condamnée elle aussi pour une histoire médicale. Donc, Julie reçoit cœur et foie de sa copine, qui meurt, pendant qu'elle survit. Et un jour, alors que Julie est toute seule chez elle – ses parents travaillent, elle regarde la télé… Elle entend la voix de Laure.

 Mathilde était à deux doigts de lâcher « C’est nul ». Mais elle se retint au dernier moment, Hector étant suspendu aux lèvres de sa voisine pendant que Charles frissonnait, cramponné au dossier de sa chaise.

 Heu… Ils avaient peur ? Vraiment ? Certes, il faisait noir, Tatiana arrivait très bien à se composer une tête de psychopathe – enfin, comme d’habitude, songea la jeune fille… Il fallait également noter les yeux écarquillés, étincelants dans l’obscurité, et la goutte de salive brillant sur une canine étrangement pointue… Madame Lamatora psalmodia soudain :

 — Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie… Je suis, dans la, cuisine.

 Un hoquet apeuré provint du coin où se pelotonnait Charles. En parlant cette fois-ci normalement, Tatiana poursuivit :

 — Surprise, Julie se rend dans la cuisine… Mais il n'y a personne ! Soudain, elle entend de nouveau… Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie… Je suis, dans ta, chambre. Julie, de plus en plus intriguée, va dans sa chambre. Mais là encore, rien ! Tout est normal ! Et une nouvelle fois… Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie… Je suis, dans le, salon. La jeune fille se méfie et préfère aller dans le jardin ! Sauf que cette fois-ci, c'est pire…

 La voix de la conteuse baissa, jusqu'à n'être plus qu'un grognement. Mathilde leva les yeux au ciel. Si la narration avait été faite par une meilleure actrice que Tatiana, peut-être aurait-on pu envisager que ça ferait peur. Enfin, au vu de la tête de Charles, lui serait déjà mort de frousse. Recroquevillé, il avait la chair de poule et ses mains tremblaient. Hector, lui, suçait son pouce. Et Tatiana continuait :

 — Cette fois-ci, Julie entendit : Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie… Je suis, dans le, jardin. Elle tremble, regarde partout autour d'elle, et soudain, elle décide d'aller dans le placard sous l'escalier ! Mais là… Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie… Je ne suis, pas loin. La pauvre Julie regarde partout autour d'elle, puis, soudain, elle sent contre elle un courant d'air glacé ! Elle saute de sa cachette, et, affolée, court dans toute la maison, avant d’opter pour le grenier ! Mais elle entend : Julie, rends-moi… Mon cœur, et mon foie…

 La conteuse fit une pause, avant de rugir :

 — Je suis là !

 Mathilde ne put s’empêcher de sursauter sous la puissance de la voix. Un cri répondit au rugissement de la narratrice : c'était Charles qui, par la même occasion, en était tombé de sa chaise. Retournant à sa place, il supplia qu’on poursuive avec une autre histoire d’horreur qui, cette fois-ci, l’effraierait moins.

 — Je peux ? demanda Hector, qui n'avait pas bronché une seule fois.

 — Ouais, vas-y, lui accorda prudemment sa soeur.

 Elle doutait de sa capacité à faire peur.

 — Alors, c'est Toto qui…

 — Heu… Tu sais, on fait des histoires qui font peur ! le stoppa Mathilde, qui trouvait bien que ça sentait le coup fourré.

 — Mais pas trop non-plus ! couina le professeur.

 — Mais mon histoire fait peur ! insista Hector, à son grand dam.

 — OK…

 — Alors, c'est Toto, une fois, qui rentre de l'école tout seul. Dehors, il fait moche : le tonnerre gronde, les nuages font plein de pluie… Soudain, à la maison, Toto reçoit un coup de fil : j'ai un doigt coupé et je suis à trois portes de chez toi ! Toto est un peu surpris, et décide de faire comme si de rien n'était. Mais il a un nouvel appel. J'ai un doigt coupé et je suis à deux portes de chez toi ! Il est inquiet, Toto, et il commence à vérifier que tout est bien fermé, comme les fenêtres, les portes… Et il a un nouvel appel ! J'ai un doigt coupé et je suis à une porte de chez toi ! Là, Toto, il éteint toutes les lampes, il va se cacher dans la cheminée avec son téléphone, qui se met à sonner encore. J'ai un doigt coupé et je suis à ta porte ! Et soudain, la porte, elle s'ouvre, et en même temps, il y a un éclair. Toto, il voit une ombre menaçante… Elle s'approche de la cheminé, et soudain… Toto reconnaît Michou, son copain d'école, qui habite trois maisons plus loin. Il lui dit salut, t'as pas un pansement ? J'me suis coupé avec une feuille en papier… 

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