Chapitre 3 :
Je suis morte.
C'est la première chose à laquelle je pense lorsque je me réveille dans cette étendue verdoyante.
L'herbe douce ondulle au gré du vent, me caressant au passage. Je me redresse et constate qu'une brume blanche entoure les environs, cachant le ciel et l'horizon. Aucun repère. Je m'appuie sur mes coudes pour me mettre debout, et réalise que mon corps ne me fait plus souffrir. Mon long manteau noir est pourtant toujours tâché du sang du président. Et du mien sûrement.
Je dois réellement être morte.
Cette information finit par faire son chemin jusqu'à mon esprit, et lorsqu'elle y arrive, je l'accueille avec calme. Même si je ne m'attendais pas à autre chose que le néant, l'obscurité et la solitude.
Un mouvement sur ma droite attire mon attention.
Une vieille femme apparaît dans l'herbe, inconsciente. Puis, comme moi, elle émerge de son sommeil, et regarde autour d'elle, un peu désorientée. Ses yeux marrons croisent les miens, et elle sourit. A l'aide de sa canne, elle se dirige vers moi.
- Que me voulez-vous ? Je lui demande, en reculant pour maintenir une distance avec elle. Ne m'approchez pas.
- Ne sois pas si méfiante ma chérie ! Il ne peut rien t'arriver ici, tu es déjà morte de toute façon.
- C'est... vrai ? Je veux dire... Je ne rêve pas ?
Elle me rejoint et, au lieu de répondre, prend ma main. Ou plutôt elle essaie. Son corps passe au travers de mien comme si nous n'étions que brouillard nous aussi. Incrédule, je regarde mes paumes. Puis, sans prévenir, je lance mon poing en direction de la vieille dame. Ce dernier ne rencontrant que du vide, l'élan me fait tomber à plat ventre dans l'herbe.
- Besoin de plus de preuves ?
La grand mère sourit un peu plus.
- Bon, comme tu sembles perdue, viens avec moi.
Et sans attendre, elle commence à s'éloigner dans la brume. N'ayant rien d'autre à faire, je me décide à la suivre, même si elle ne m'inspire pas confiance. Nous marchons au milieu de ce paysage mystérieux, apercevant de temps en temps d'autres personnes. Mes bottes s'enfoncent dans la terre meuble. Cette sensation me rappelle le temps où je me promenais encore dans les parcs de Paris avec Lys et Hope. Mon cœur se serre mais je me blinde mentalement.
Il est temps de laisser tous ces souvenirs derrière moi.
- Tu sais, je n'ai pas plus visité le royaume des morts que toi, me confie l'ancienne, mais je suis persuadée là-bas, tout est différent. Plus simple, plus éternel.
Je hoche la tête.
- Pour quelqu'un comme moi, qui a eu assez de temps pour vivre, seul compte le repos. Mais toi, j'ai peur que tu ne t'ennuie là-haut, remarque-t-elle avant de plisser les yeux vers moi. C'est dommage de mourir si jeune... Tu as eu le temps de découvrir les plaisirs charnels au moins ?
Sérieusement !
- Cela ne vous concerne pas, je lui réponds sèchement.
- Ça va, ça va ! C'était juste une question comme une autre, se vexe-t-elle.
Le silence revient, plus opressant. Moi qui apprécie l'absence de bruit, celui-ci me dérange tellement que je me dois de le briser.
- C'est encore loin, le royaume des morts ?
- Patience ! elle s'énerve.
J'ouvre la bouche, prête à l'insulter, avant de la refermer. On ne manque pas de respect à une personne âgée. Alors je me tais et continue de marcher.
Soudain, la femme s'arrête. Je manque de lui rentrer dedans.
- Nous y sommes.
Je regarde autour de moi, mais ne distingue rien que l'immensité blanche.
- Vous êtes sûre ?
Elle se retourne vers moi et me lance un regard noir.
- J'aurais mieux fait de te laisser là où je t'ai trouvé tout compte fait ! Tu es insupportable !
Ses paroles me sidèrent. Jamais personne n'a osé me dire cela en face. Peut-être parce que ma réputation d'assassin me précède.
- Au lieu de remettre tout en question, utilise tes yeux !
Je m'apprête à lui répliquer que justement je ne vois rien sauf ce brouillard compact, lorsque je remarque que l'herbe verte a disparu, au profit de la pierre. Et là, quelques mètres devant nous, le sol s'arrête brusquement.
Je m'approche, penche la tête par dessus le vide. En effet, une grande falaise nous fait face, dont la hauteur est masquée par la brume.
Une nouvelle question me brûle les lèvres, mais je la garde pour moi. Les minutes passent. Voyant que rien ne se produit, je me décide à la poser, au risque de contrarier mon guide.
- Pas de portail ?
- Non.
Je m'apprête à insister pour qu'elle me donne plus d'informations, lorsqu'un phénomène étrange se produit. Une lumière bleutée serpente dans les nuages au loin. Je fronce les sourcils. Plus elle se rapproche, plus cette forme se précise. Ce n'est que lorsque celle-ci atteint la falaise que je mets un mot dessus.
Un pont.
Qui semble s'être étiré pour nous permettre de traverser le vide.
Et sur cette étrange création, une silhouette se dirigeant vers nous.
Le premier détail que je distingue, c'est sa taille plutôt grande et élancée. Puis, je discerne des vêtements amples et beige qui bougent avec le vent. Ses cheveux bruns ébouriffés me sautent ensuite aux yeux, puis sa peau.
D'un blanc brillant et immaculé.
Dites-moi que je rêve !
Le nouvel arrivant pose enfin le pied sur la falaise et nous sourit. Je le dévisage. Outre ses iris dorés très perturbants, son âge me stupéfait.
Un adolescent.
C'est une blague.
Il se tourne vers la vieille femme et la salue chaleureusement.
- Bonjour Mme Clark ! Bienvenue au Royaume des morts, nous attendions votre venue avec impatience ! Des possessions à déclarer ?
- J'ai ramené des cassettes pour mon mari.
Elle les sort de sa poche et les tend au jeune homme, qui acquiesce.
- Il m'en a parlé à son arrivé, je m'en souviens maintenant. Vous pouvez traverser.
La vieille dame se tourne vers moi, et me lance, avant de disparaître dans la brume :
- A la revoyure ma chérie !
L'ombre d'un sourire se dessine sur mon visage. Je reporte mon attention sur l'étrange personnage qui me fixe, un rictus aux lèvres, et reprends un visage impassible.
- Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Pourquoi avez-vous la peau blanche ?
- Hola du calme ! Une question à la fois, me répond-il amusé.
- Qui êtes-vous ?
- J'avais déjà vu votre pragmatisme et votre froideur à l'œuvre, mais j'avoue qu'elle dépasse de loin tout ce que...
- Comment me connaissez-vous ?
- Je connais tout le monde, réplique-t-il avant d'ajouter, tu peux arrêter cet interrogatoire ?
Je croise les bras.
- Je ne vous fais pas confiance.
- Cela, je l'avais remarqué !
- Qui êtes...
- Perle bon sang ! finit-il par s'énerver. Un peu de respect envers ton ainé !
Mon ainé ?! Il ne s'est pas regardé ? Il ressemble plus à un collégien qu'à un adulte !
- J'ai fêté mes 117 ans la semaine dernière, lâche-t-il soudain sérieux.
Je m'étouffe. QUOI ?!!!!
- On peut continuer la conversation en personnes civilisées maintenant ?
Voyant que je ne réponds pas, il se présente.
- Mon nom est Ash. Le cadet de la grande famille des dieux. Et si je suis venu te voir, c'est pour te dire que tu dois retourner dans le monde des vivants parce que Hope a provoqué la fin du monde.
Des bruits de pas se font entendre derrière moi. Je me retourne, lentement, pour faire face à une foule immense. Des gens de toutes les origines, aux vêtements presque décomposés.
Oh. Mon. Dieu.

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