Chapitre 4 :
Je ne sais pas où je suis.
Des ruines surplombent la zone où je me suis réveillée. Des morceaux de verre, de béton, de fer jonchent le sol, rendant le terrain si accidentel qu'il serait impossible de s'y déplacer autrement qu'à pied. Mes yeux analysent chaque détail du décors sans rien reconnaître. Ash m'a-t-il réellement renvoyé à Paris ?
Suis-je seulement... Vivante ?
Au lieu de perdre mon temps avec ce genre de questions, je me lève, pour commencer à explorer l'endroit. Tout est étrangement silencieux, comme si la vie avait déserté les lieux. Je reste malgré tout sur mes gardes. L'absence de danger n'est qu'une illusion.
Au dessus de moi, les nuages s'amoncellent, menaçants. Une première goutte s'écrase sur ma veste en crépitant. Je me fige. Mon regard tombe sur le tissu, et j'observe avec stupéfaction le petit trou fumant. Un deuxième crépitement.
De l'acide.
Sans réfléchir je commence à courir vers les ruines les plus proches.
J'ai à peine le temps de m'abriter que la pluie redouble d'intensité. Adossée à un mur presque effondré, je tâche de reprendre mon souffle et de remettre de l'ordre dans mes pensées. Les questions, toujours plus nombreuses, se bousculent dans ma tête. Je m'imagine un grand coffre et je rassemble toutes les parasites mentaux pour les y enfermer.
Plus tard.
Voyant que le temps n'est pas décidé à s'éclaircir, je me tourne vers les restes du bâtiment dans lequel je me suis réfugiée. Il s'agit d'un centre commercial. Les enseignes pleines de poussière sont devenues illisibles, les devantures ont été saccagés, des objets et des débris trainent un peu partout. Mais le pire, c'est l'odeur.
Un mélange de moisissure et de décomposition si horrible que je fronce le nez.
Paris n'est peut-être pas réputée pour être la ville la plus propre, mais là, cela dépasse de loin tout ce que j'ai pu expérimenter. J'accélère le pas, peu désireuse de rester ici plus longtemps. Une dizaine de minutes plus tard, je trouve enfin la sortie que je cherchais. Le ciel étant dégagé, je quitte le couvert du bâtiment.
Un soupire de soulagement m'échappe lorsque je reconnais la Tour Eiffel au loin.
Mais ce sentiment disparaît vite.
A la place, l'horreur, accompagnée d'un soupçon de peur.
La rue devant moi est digne d'un film apocalyptique. Non pas pour le chaos qui semble y rêgner, mais pour les statues qui semblent figées en plein mouvement. Je m'approche de l'une d'entre elles. Ses vêtements, ou ce qu'il en reste, sont si sales et usés qu'il est impossible d'en reconnaître la couleur. Ses cheveux sont emmêlés, et ses traits tordus d'épouvante. Tous ces détails... La réalité s'abbat soudain sur moi telle une douche glacée. Je palis, recule.
Ce ne sont pas des statues.
Pour la première fois depuis longtemps, je prends mes jambes à mon cou. Je cours comme si ma vie en dépendait en direction de la Seine. Il faut que je retrouve les Insaisissables. Aumaric pourra m'éclairer sur la situation.
Je traverse les rues désertes, et chaque paysage m'effroit un peu plus. La capital s'est brisée en mille morceaux, et plus je découvre les fragments, plus je panique.
Hope a pété un cable.
Et le monde autour de lui en a payé les frais. Mais, jusqu'où s'étendent réellement les dégats ? A-t-il détruit la capitale, la France entière... Ou a-t-il plongé la Terre elle-même dans le désordre le plus total ?
Je finis enfin par trouver la Seine. Je ne m'attarde pas sur sa couleur trop sombre, ni sur ce qui flotte à sa surface. Mon esprit se ferme de lui-même à ce genre de vision pour me concentrer sur un objectif : tomber sur un survivant parmi ces ruines maudites.
Je traverse le pont pour déboucher sur la place de la Concorde... Qui s'est retransformée en une place de marché bondée. J'écarquille les yeux. Des dizaines de stands, construits de bric et de broc, s'étalent sur cet espace autrefois vide. Mes pas me conduisent au cœur de la foule. Je regarde avec attention les passants, notant leurs vêtements usés ou racommodés, haussant le sourcil à la vue des arme, attachées bien en évidence à la ceinture.
Un homme au regard fermé me bouscule, manquant de me renverser.
- Fais attention ! Je lui crie.
Il s'arrête, puis revient se placer devant moi. Il a beau faire deux têtes de plus que moi, je ne me démonte pas et croise les bras.
- Je fais ce que je veux, il réplique d'une voix qu'il croit sans appel. Ce n'est pas une gamine dans ton genre qui m'en empêchera.
Mais son expression hautaine disparait bien lorsque je lui presse son propre couteau contre son ventre. Je me mets sur la pointe des pieds pour lui chuchoter :
- Je serais toi, je ne la ramènerais pas.
Voyant qu'il ne bronche pas, je continue.
- Et c'est quoi ce bazar sérieux ? Depuis quand tout le monde se balade avec des armes ?!
- T'es pas au courant ? Il retient un sourire. Cela doit faire longtemps que la princesse n'est pas sortie de sa tour !
J'appuie un peu plus le poignard, déchirant son pull. Il gémit. Et dire qu'autour de nous, les gens ne s'affolent même pas que je menace un homme sous leurs yeux. Je me reconcentre sur ma victime.
- C'est moi qui pose les questions. Alors, depuis quand ?
- D-d-depuis le Cri, beggaie-t-il. Les Insaisissables ont dissous le gouvernement et pris le contrôle de cette partie de la ville. Les stratèges se sont installés de l'autre côté de la Seine.
- Le Cri ? Précise.
Mon ton est tranchant.
- Mais pourquoi vous me posez toutes ces questions, finit-il par exploser. Vous venez d'où sérieux, pour ne rien savoir sur la fin du monde ?! Des années après, on se souvient tous encore du hurlement qui a déchiré l'air avant l'explosion ! On aurait dit que quelqu'un était en train de mourir ! Puis il y a eu cette explosion, et les catastrophes se sont enchaînés les unes après...
- Attend... Quoi ?! Je le coupe.
Il me regarde, perdu.
- Combien de temps s'est écoulé entre la fin du monde et aujourd'hui ?
- Six ans, pourquoi ?
Je n'entends même pas la question, déjà dans mes pensées.
Six ans, putain.
Ash se moque de moi. Non seulement il m'a refusé l'accès au royaume des morts sous prétexte que je devais gérer les dégats de mon ex petit ami, mais en plus il me renvoie sur Terre presque une décennie après le massacre !
Je lâche l'homme pour disparaître de son champ de vision, et glisse son couteau dans ma poche. Qui sait ce qu'il s'est passé durant ce laps de temps ! Aumaric est peut-être mort à l'heure qu'il est. Non, je me corrige, celui que j'ai menacé m'a dit que son gang contrôlait la zone. Ce qu'il veut dire qu'il sûrement réussi à renverser le gouvernement comme il l'avait prévu au départ. Il n'a même pas dû avoir besoin d'élections !
Donc, si mon raisonnement est juste, je sais où le trouver.
Au Palais de l'Elysée.
Je me repère plus facilement dans cette partie de la ville, ce qui me permet d'avancer plus vite. De plus, les plus gros morceaux de béton et les voitures ont été poussées sur le trottoir, peut-être pour permettre le déplacement de véhicules. Toute une organisation. Une dizaine de minutes plus tard, j'arrive devant le bâtiment qui, contrairement à ses voisins, est resté intacte. Je m'avance vers les gardes qui se tiennent de chaque côté de l'imposante porte en bois.
- Ouvrez, je dois voir Aumaric.
Il échangent un long regard, puis l'un d'eux m'annonce :
- Seuls les membres du gang des Insaisissables sont autorisés à entrer.
J'écarquille les yeux, outrée, avant de me reprendre. Ils doivent être de nouvelles recrues.
- Je suis Perle, l'assassin personnelle du chef, laissez-moi entrer. Je n'aime pas me répéter.
Ils éclatent de rire.
- Perle ? LA Perle du chef ?! Certainement pas ! Tout le monde sait que la personne qu'il surnomme son joyau a les cheveux roux et bouclés.
- Et je n'ai pas les cheveux roux peut-être ? Je rétorque, sarcastique.
Mais leurs expressions moqueuses me fait douter de plus en plus. Et si... Je ramène une mèche devant mon visage et me fige. Dans ma main repose quelques cheveux lisses et blonds. Non, non, non, je cours jusqu'à la vitrine la plus proche pour examiner mon reflet sous les railleries des hommes. Je me décompose à la vue de mon reflet. Ma crinière flamboyante a laissé place à un carré platine, et mon corps s'est musclé et rétréci. Même mes traits ont changés, de mes yeux devenus ambrés à mon menton.
Non, non, non...
Je pose la main sur le verre déjà bien brisé, et quelques larmes coulent le long de mes joues.
Puis, la rage remplace la tristesse, et vient se loger dans mon cœur. Je fais un doigt au ciel, d'où ce dieu prétencieux doit sûrement me regarder, et je lui crie.
- Ash, la prochaine fois que je te vois, je te jure que tu me le PAYERA !!! On ne te reconnaîtra même plus une fois que je me serai occupée de ton cas, pourriture !
Je remets mon masque d'impassibilité, et rejoins les gardes. L'assurance qui les animait a disparu avec mes paroles. Je peux presque voir leurs mains trembler, à quelques centimètres de leur pistolet. Je croise les bras.
- Vous avez gagné, je ne suis pas Perle. Pour autant, je peux vous abattre avec autant d'élégance et de précision que cette femme.
Je leur laisse le temps de digérer l'information, avant de reprendre.
- Maintenant, si vous n'ouvrez pas cette maudite porte, non seulement j'irai voir Zaya et ses stratèges pour leur divulguer plein de chose sur votre gang, mais en plus, je lui montrerai comment entrer ici sans se faire repérer par les deux imbéciles qui gardent l'entrée.
Mes yeux se fixent sur chacun d'entre eux, les faisant pâlir.
- Je lui donnerai les noms de chacun des membres hauts placé que je connais, ainsi que leurs qualités et leur défauts. Ce qui inclue notre bien aimé chef, ses quatres conseillers, son bras droit, ses trois commandants de sections...
- Arrêtez on a compris, craque enfin le plus chétif des deux.
Ils se dépèchent de pousser le battant.
Je souris, satisfaite, avant d'entrer dans la cour.
Pourtant, sous toutes les couches de blindage, un pincement au cœur. Six ans après le meurtre du Président, je ne suis toujours pas la bienvenue en ces lieux.

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