Chapitre 9 :
J'analyse encore une fois la photo. Cela fait maintenant une semaine que je suis à la recherche des traitres. Une semaine à essayer de glaner le moindre indice sur leur position. Et hier, après des dizaines de fausses pistes, des conversations qui n'ont mené à rien et des lieux déserts, j'ai enfin obtenu ce que je voulais.
Une planque, et une preuve.
Je me lève de mon bureau, et commence à me préparer silencieusement. En plus de ma dague, j'accroche à ma ceinture un pistolet, des munitions, ainsi qu'une lampe torche. Ma veste noire vient cacher l'attirail. Puis, mes doigts passent dans mes cheveux blonds pour les attacher en une queue de cheval bien serrée.
Mes yeux s'attardent sur mon reflet renvoyé par le miroir. Je déteste ce regard ambré, ce corps, même si j'ai appris à faire avec. Il est trop petit pas assez taillé pour résister à la torture. Malgré tous les entrainements pour tenter de le faire égaler mon ancien physique, il ne lui arrive pas à la cheville.
Ruby.
Quel nom de merde. Hâte de m'en débarrasser et de reprendre ma véritable identité.
Je jette un dernier coup d'œil à ma chambre. Elle a des allures de placard à balais, avec son absence de fenêtres. Aumaric a choisi de ne pas me faire de traitement de faveur et de me loger comme ses insaisissables les plus bas dans la hiérarchie. Comme une moins que rien.
Mais aujourd'hui, je vais lui prouver que je ne mérite pas une telle indifférence.
Je ferme la porte et me dirige à pas lents vers la sortie du bâtiment. Les hommes et les femmes se retournent à mon passage dans le couloir. Tous ont rapidement compris qu'il ne fallait pas me chercher... A moins d'avoir des envies suicidaires.
La cour apparaît enfin, et avec elle le Palais de l'Elysée. C'est là bas que j'aurais dû habiter. Entourée des figures autoritaires de ce réseau. Mais aux yeux de tous, je ne suis pas Perle, l'assassin la plus redoutable. Je serre les dents, et secoue la tête pour chasser mes pensées sombres.
Bientôt.
Je quitte le quartier général, me concentrant sur ma mission. Très vite je repère la station de métro qui m'intéressait : La Tour-Maubourg, située à une centaine de mètres des Invalides, et donc du gang de Zaya. Se cacher en territoire ennemi, quelle lâcheté.
Un sourire mauvais se dessine néanmoins sur mes lèvres. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que je vais où bon me semble, qu'importe les frontières...
Et que je finis toujours par tuer mes cibles.
Je descends une volée de marches et m'enfonce dans les souterrains. D'après ma source, leur planque se situe quelque part entre cette station et celle nommée Invalides. J'atteins le quai. Mes pas s'arrêtent à quelques centimètres de la voie ferrée, et l'hésitation s'empare de moi. Je regarde à droite, à gauche, tend l'oreille : aucun bruit, aucun signe d'activité. Le réseau souterrain s'est sûrement arrêté il y a des années.
Pas de raison d'avoir peur de se faire écraser.
Je fais taire le doute, et saute sur les rails. Maintenant ne reste plus qu'à marcher le long de ce tunnel sombre et silencieux qui me fait face. Je frissonne. L'obscurité semble vouloir m'engloutir. Je me force à calmer ma respiration irrégulière, et plonge les mains dans mes poches pour en calmer les tremblements.
Ne panique pas, Perle.
Pourtant, je suis terrifiée. J'ai beau mentir, voler, tuer de sang froid, ne pas avoir peur de mourir, l'absence de lumière me paralyse. Je ne suis pas comme ces enfants qui quémandent une veilleuse pour dormir ou que l'on leur laisse la porte ouverte. Non, cette obscurité ne m'effrait pas... Parce qu'elle n'est jamais totale. Dans un souterrain, tu n'as pas la lune ou le soleil pour t'éclairer. Tu avances, seule dans le néant, en priant pour ne pas te perdre.
J'allume ma lampe torche. Mon appréhension fait vasciller le faisceau. J'inspire un grand coup, et fais un pas, puis un autre. Je dois y aller. J'en suis capable. Je suis Perle, une insaisissable émérite, et je vais finir ma mission. Coûte que coûte.
J'évite les débris et les morceaux de béton tant bien que mal. Le Cri a dû endommager les fondations même des souterrains, pour que des morceaux de bétons de cette taille se soient décrochés de la paroi. Je manque de trébucher plusieurs fois en marchant sur des rochers instables. Ceux-ci se délogent sous mon poids dans un craquement sinistre et bruyant. Je comprends mieux pourquoi ils se terrent ici, maintenant. Pas moyen d'être discret si l'on ne connaît pas sur le bout des doigts le chemin.
J'avance, éclairant chaque obstacle, chaque ombre, braquant ma lumière sur tout ce qui est susceptible de bouger et de me prendre par surprise. Je finis par trouver une masse sombre qui surplombe la voie. L'avant d'une rame de métro abandonnée. Je la longe sans bruit, en réduisant la puissance de ma lampe. Ils ne doivent pas être loin.
Justement, l'un des derniers wagons est allumé.
Je m'approche de l'une des fenêtres, tout en veillant à rester imperceptible dans l'obscurité. L'intérieur de la voiture a été aménagé. Les sièges sont devenus des espaces de rangement, où sont empilés armes et munitions. Un homme fait les cents pas au milieu, perdu dans ses pensées. Je souris : son visage correspond celui de l'un des traitres.
Cependant, aucune trace des deux autres. Il va falloir se débarrasser du premier pour les cueillir quand ils rentreront. J'escalade la rame, le plus silencieusement possible, pour me retrouver juste au dessus de la porte. Puis, je choisis un caillou de la taille de mon poing et le lance dans le noir. Le choc résonne dans le souterrain.
Je m'accroupis, une main sur ma dague, en entendant l'homme se diriger vers la sortie du wagon. Le battant s'ouvre, et au moment où il apparaît dans mon champ de vision, je saute, m'écrasant de tout mon poids sur lui. Il tombe en grognant sur le ventre. Je l'immobilise, n'oubliant de coller le tranchant de la lame à sa gorge, pour lui faire comprendre mes intentions.
Il se fige en sentant le froid du métal. Je me penche vers lui, et murmure en souriant.
- Bravo, tu as tenu une semaine avant que l'on te retrouve. Maintenant dis-moi : pour qui tu travailles réellement ?
Il se fige, ne répond rien. Je remarque toutefois le tremblement discret qui agite ses mains. Il ne résistera pas bien longtemps. Heureusement : j'aimerais garder l'effet de surprise pour tuer les deux suivants. J'appuie un peu plus sur sa gorge, ce qui le fait gémir.
- Je n'hésiterai pas à tuer si tu n'as rien dit après cinq secondes.
Ma voix est basse, froide, tranchante.
- Cinq.
Une lueur de panique traverse ses iris.
- Quatre.
Il déglutit, semble hésiter.
- Trois.
Il croise mon regard, et surprend une lueur d'amusement dans mes pupilles. Il pâlit.
- Deux.
Je lui fais peur. Comme à toutes mes victimes. Je me venge de tous mes malheurs en me défoulant sur ces traitres. A commencer par lui, sûrement le plus faible des trois.
- Un...
- Jack connaît le nom du patron ! Explose-t-il enfin. Je ne sais rien je vous jure ! Ne me tuez pas !
Ses yeux brillants m'implorent de l'épargner. Mon sourire s'efface au profit d'une expression neutre, sans émotion.
- Dommage, j'ai reçu des ordres très clairs te concernant.
Je lui tranche la gorge de sang froid. Il s'effondre, la panique gravée sur son visage à tout jamais. Encore un que j'ai envoyé de l'autre côté. Je lui ouvre sa veste, et trempe les doigts dans la mare de sang qui s'étale autour de nous. Mais au moment de tracer les lettres familières sur sa chemise délavée, j'interromps mon geste.
Je ne peux pas signer sous mon vrai prénom.
Que faire...
Signer de mon prénom d'emprunt, Ruby ?
Certainement pas. J'ai toujours écrit le mot Perle sur les cadavres que je laissais derrière moi. Qu'importe les conséquences, qu'importe les enquètes policières qui en résultaient, je n'ai jamais, jamais voulu cacher mes actes. Ce n'est pas aujourd'hui que je me ferai passer pour quelqu'un que je ne suis pas.
Je me redresse, essuie ma lame sur la veste du mort avant de traîner ce dernier dans un coin du souterrain. Tant pis pour la dédicace. Je me dirige ensuite vers la rame de métro, pour inspecter l'intérieur.
L'odeur de renfermé m'assaille en première, et, combinée à la poussière et la moisissure, me fait éternuer. Le temps a éventré les sièges autrefois rembourrés. Il a également fait jaunir les affiches et craqueler la peinture. Les armes que j'avais repérées sont à leur place sur les banquettes, avec des boites de munitions.
Il va falloir envoyer une équipe pour récupérer tout ce matériel. Je me demande comment trois pauvres hommes ont réussi à tout réunir. A moins que, comme le suppose Aumaric, ils ne soient pas isolés... Si le cas, je dois être prudente.
Qui sait sur qui je peux tomber en commençant à fouiner.
J'aperçois soudain une malette noire, caché dans un coin sous un siège. Un déclic se fait entendre, et elle s'ouvre. Son contenu me fait pâlir.
Oh non...
Je sors toutes les feuilles, et tombe sur un lapin en peluche rose.
Mon cerveau tourne à toute vitesse, mais ne comprend pas ce qu'il a sous les yeux.
Mes mains tremblent en saisissant un dessin montrant une petite fille, tenant la main d'un homme et d'une femme. Oh putain... Ce sont bien les affaires de Lys.
Non non non...
Pourquoi s'intéressent-ils à elle ?
...
Qu'est-il arrivé à ma petite sœur ?

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