Chapitre 12 :

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Parfois, je me demande si je ne prends pas plaisir à rouvrir les blessures de mon cœur. Peut-être ai-je une fascination malsaine à remuer le couteau dans mes propres plaies, histoire de voir à quel point je peux saigner, et surtout, combien de doses de haine permettront de cicatriser.

Parce que oui, je suis revenue chez lui.

Encore.

Alors que je m'étais promise de ne jamais remettre les pieds hier. Et avant hier. Et le jour d'avant.

Et en début de semaine.

Mais rien à faire. Me voici perchée sur le balcon, à le regarder à travers la baie vitrée, vaquer à ses occupations. Enfin, si l'on peut appeler comme tels ses allers-retour entre le mur couvert de post-it et le fauteuil.

Cependant cette fois-ci, lorsque Hope se lève, c'est pour se diriger vers la cuisine. Je me plaque un peu plus contre la façade, pour ne pas me faire repérer. Des bruits d'objets que l'on déplace se font entendre, de même qu'un fracas quand l'un d'eux tombe par terre. Bon sang qu'est-ce qu'il fabrique ?

Je jette un coup d'œil à l'intérieur qu'après m'être assurée qu'il est retourné au salon. Assis dans le vieux fauteuil troué, il manipule avec attention un objet. Je fronce les sourcils, tentant de déterminer de quoi il s'agit malgré la crasse sur la vitre et la distance. Hope passe sa manche sur son visage.

Il pleure ?! Je n'en reviens pas.

J'entrouve discrètement la baie vitrée, et lorsque ma vue est assez nette... Je réalise ce qu'il regarde avec autant de tristesse.

Une figurine de danseuse,

représentant une jeune femme en train de faire une pirouette.

Je recule déroutée. Non, il ne peut pas l'avoir gardée. Pourquoi ? Il me déteste, je le déteste alors pourquoi conserver cette babiole ? Je panique. Mon cœur soudain réveillé, tambourine contre ma poitrine, alors que je recule jusqu'à heurter la rambarde.

Je ne peux pas rester là.

Cette pensée m'apparaît comme une évidence. Alors, sans un bruit, je m'enfuis.

Je me mets à courir dans les rues presque désertes, zigzaguant entre les débris. Je cours à perdre haleine, à m'en faire mal aux pieds. Sans savoir où je vais. Dans ma tête, des pensées, des souvenirs, des moments m'assaillent et je les repousse comme je peux. Les revivre serait une véritable torture.

Je cours. Il se met à pleuvoir, et mon manteau se trempe rapidement. Mais je n'en ai cure.

Si l'on pouvait oublier en un claquement de doigts des passages de sa vie trop douloureux, j'aurais effacé de mon esprit une bonne partie de ma vie. Sans regretter.

Je débouche tout à coup devant l'Opéra Garnier.

Et c'est le coup de grace.

Voir ce bâtiment se dresser comme si de rien n'était, comme si la fin du monde n'était jamais survenue, comme si tous mes rêves ne s'étaient brisés et que je pouvais d'un moment à l'autre postuler pour intégrer l'académie... Cela me tue.

Je m'effondre devant la porte, faisant pleuvoir des coups de poing contre le battant. Je m'entaille la peau, mais je ne m'arrête pas. Je lâche toutes les émotions que j'avais ignorées, enfouies au fond de moi. Je pleure, je crie, de rage, de tristesse, de désespoir, de folie, je n'en sais rien.

Toujours est-il que lorsque la porte finit par s'ouvrir en grinçant, je suis épuisée.

Les jambes tremblantes, je m'avance dans le hall d'entrée. Mes bottes crissent sur le marbre, et le bruit se répercute sur les murs encore majestueusement gravés. Seuls les lustres n'ont pas survécu au passage du temps. Leur carcasse reposent un peu partout, couvertes de poussière. Une odeur de renfermé me frappe en même temps que j'admire les lieux, émerveillée.

J'ai toujours rêvé d'entrer ici.

Quelle ironie d'y pénétrer alors que cela fait des années que plus personne ne s'y intéresse !

Je gravis les marches, hésitante, avant de déboucher dans la salle de spectacle. Mes yeux parcourent les dizaines de rangées de sièges rouges, les colonnes dorées sculptées élégamment, le plafond orné d'une peinture magnifique de la renaissance. Puis, mon regard se pose sur la scène. Le parquet m'attire, sans vraiment que je sache pourquoi.

Mes pas me mènent jusque devant cet espace presque sacré, où de simples mouvements deviennent de véritables formes d'art. Je me hisse dessus, laisse mes doigts tracer des lignes dans la poussière qui s'est accumulée.

Un si bel endroit...

Dommage qu'il tombe dans l'oubli.

Je fais glisser mon pied sur la surface, lentement. Dans ma tête, quelques notes retentissent, comme pour m'inviter à continuer. Ma main remonte le long de mon corps, avant de brusquement rejoindre son homonyme. Je suis le mouvement de mes doigts, et ce geste d'apparence si simple me fait frissonner.

Cela fait longtemps que je n'avais pas dansé.

La musique enveloppe doucement mon esprit, et les sensations reviennent. Mes muscles s'activent sans que j'ai à réfléchir, et m'entraînent. Les premiers mots apparaissent. Les paroles résonnent en moi comme si elles m'étaient destinées. Elle me dit, tu paieras tes délits, je crois déjà en avoir connu le prix, Quoi qu'il advienne, le destin me punit , On traîne ses chaînes, je danse avec les miennes, Ses peines, nos peines, tels des fardeaux qui nous empêchent d'avancer.

Alors je me lâche, je tournoie dans la salle vide. J'extériorise toute ma peine, toute ma rage, toute ma colère, je mets le feu à ce nœud qui me comprimait la poitrine. Quitte à brûler. Je me fond dans cette mélodie. Nos arts se mèlent,

Dans une explosion de notes.

Je voue mes nuits à l'assasymphonie, au requiem
Tuant par dépit ce que je sème
Je voue mes nuits à l'assasymphonie et aux blasphèmes
J'avoue, je maudis tous ceux qui s'aiment

Puis, je ralentis, pour entamer le deuxième couplet.

L'ennemi, tapi dans mon esprit, qui me pousse à me détester, Fête mes défaites, insatiable démon qui me dévore le cœur, Sans répit me défie, et je peine à le repousser lorsqu'il m'envahit, Je renie la fatale hérésie, je me fais aveugle, Qui ronge mon être, je veux mourir, Je veux renaître, mourir,
Renaître...

Je m'arrête soudain, puis, doucement, je ramène une main sur mon noyau fragile et essouflé, tout en levant l'autre vers le ciel.

Un appel pur.

Désespéré.

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