Chapitre 14 :

5 minutes de lecture

Même ses nuits ne sont guère paisibles.

Cette pensée traverse mon esprit alors que je regarde Hope se retourner sur le canapé du salon. Régulièrement, ses traits se tordent, annonçant la couleur des cauchemards. Mais le plus destabilisant, c'est lorsque sa bouche s'ouvre pour laisser échapper un cri silencieux.

J'en viens à me demander si ses cordes vocales fonctionnent toujours, où si son désespoir les a coupés pour de bon. Et dire qu'avant, chacun de ses mots amenaient la joie dans l'appartement. Mais, depuis qu'il a découvert que le tranchant de ses paroles, Hope a cessé de faire le moindre bruit.

Il a d'abord arrêté progressivement de mener des conversations, se contentant d'acquiescer de temps en temps. Puis, il arrêté les formes de politesse, les jurons, jusqu'à ne plus éternuer, hurler, émettre le moindre son. Et un jour...

Il est parti, tout simplement.

Sans laisser de note à notre intention.

Ce souvenir me hante, ce matin où j'ai réalisé qu'il avait pris la fuite devant les responsabilités. Je me rappelle m'être réveillée de bonne humeur, des projets plein la tête et le sourire au visage. Constatant que l'absence de Hope de l'autre côté du lit, j'en avais déduit qu'il devait déjà prendre le petit déjeuner au salon. Sauf qu'il n'y était pas. Ni dans la cuisine, ni dans la salle de bain.

Ses affaires avaient disparu aussi.

Je suis restée de longues minutes devant les placards, mon cerveau refusant de traiter l'information. Je fixais désespérement les tiroirs en priant pour qu'ils se remplissent. Lys m'avait découvert dans cet état, et s'était mise à pleurer quand elle avait compris que Hope ne reviendrait pas. Elle avait déchaîné toutes ses émotions sur moi, hurlant qu'il nous avait abandonné et qu'il était méchant de nous laisser toutes seules.

Du haut de ses six ans, elle avait été capable d'admettre plus rapidement que moi l'évidence que j'avais sous les yeux. Il nous avait tourné le dos sans un regret.

La plaie dans ma poitrine se réouvre sous le poids de la peine qui m'envahit. Elle est accompagnée d'un excès de rage et de haine envers cet individu qui a causé ma descente aux enfers. Sans réfléchir, j'ouvre la baie vitrée et pénètre dans l'appartement. Il ne me faut que quelques secondes pour me retrouver devant le canapé.

Hope est toujours prisonnier d'un cauchemard qui le fait suer à grosses gouttes. Ses mains dépassant derrière les coussins s'agitent dans le vide, comme s'il voulait attrapper quelque chose. Sa respiration s'accélère, son visage exprime une panique que je ne lui ai jamais vu... Avant que tout son corps se relâche brusquement.

Je mets un doigt sous son nez, pour m'assurer qu'il n'est pas en train de mourir. Sentir sa respiration me rassure. C'est alors que son oeil encore fermé libère une larme solitaire qui fend sa joue pour disparaitre ensuite dans son cou.

Cette vision de lui dans cet état me fait presque de la peine.

Soudain, la sonnerie de la porte d'entrée retentit. Je sursaute tandis que mon corps réagit au quart de tour. A côté de moi, Hope commence à remuer. Je me dirige vers la baie vitrée, encore ouverte. La sonnerie se refait entendre, assourdissante à mes oreilles. Je regarde mon échappatoire, bien trop loin, l'homme sur le canapé, qui émerge petit à petit de son sommeil, et je prends une décision alors que l'alarme résonne une troisième fois dans l'appartement.

Je fonce vers la seule pièce inutilisée, ouvre la porte et la referme derrière moi aussi rapidement et silencieusement que possible.

Notre chambre.

Appart la poussière qui a recouvert les meubles, rien n'a changé. Comme si cet endroit était hors du temps. Et je crois qu'au fond, j'aurais préféré ne pas la reconnaître, plutôt que de subir l'afflux d'images dans mon esprit. Je serre le poing et fronce les sourcils, pour tenter de me distraire.

Mais une voix étouffée par le battant réussit à le faire mieux que moi.

- Encore à dormir sur le canapé ?! Tu ne fais que ça de ta journée ma parole ! Depuis le temps que je te dis de remettre ta chambre en état !

Des pas lourds résonnent dans le salon, et je me fige en les sentant approcher. Ils s'arrêtent au dernier moment.

- Très bien, je n'y touche pas. Mais ne viens pas te plaindre si tu finis par avoir mal au dos comme moi !

Je pousse un soupir de soulagement. Le timbre de voix m'étant familier, je me creuse la tête pour tenter de lui associer un visage. Pendant ce temps, la conversation continue.

- Au fait, je t'ai apporté de quoi cuisiner. Tu devrais me remercier, au lieu de rajouter des post-it sur les murs ! Non seulement je t'empêche de tomber malade en mangeant des conserves périmées, mais en plus je fais la cuisine !

Un froissement de papier interrompt la tirade de l'inconnu.

- Tu penses que c'est simple de s'occuper d'un jardin en pleine apocalypse peut-être ? Non seulement les cycles lunaires sont déréglés, mais en plus c'est devenue monnaie courante au marché. Je vous jure, les jeunes. Toujours à croire que tout est plus simple pour les autres.

Des bruits de vaisselle se font entendre. Il doit être en train de préparer quelque chose. Je me laisse glisser contre la porte, désespérée. Combien de temps va-t-il falloir que j'attende avant que la voie ne soit libre ?

- D'ailleurs, j'ai recroisé Isabelle au marché, continue la voix de plus belle. Elle faisait la fière en me montrant tout ce qu'elle faisait pousser dans son potager, mais en réalité, elle gagne tous ses légumes en troquant des vieilleries !

Une lumière s'allume dans ma tête. Mais oui ! C'est le vieil homme que j'ai croisé sur la place de la Concorde et qui m'a payé la dague. Que fait-il ici ?

- Disputés !?! s'écrit-il soudain. Hope, enfin ! Nous avons passé l'âge depuis longtemps ! Et puis, avant de me critiquer, commence par t'améliorer. Six ans que tu vis machinalement, il serait temps d'aller de l'avant ! De sortir, de faire le ménage, de me virer ces satanés bouts de papier accrochés au murs !

Je ne sais pas pourquoi, mais assister à cette scène me remue. Comme si je prenais conscience que Hope avait mis sa vie sur pause en même temps que moi au lieu de passer à autre chose. Quelque part, j'aurais voulu qu'il le fasse, pour continuer à le haïr. Cela aurait été plus simple que de devoir remettre sur pied un homme détruit.

- Je ne sais pas ce qu'il s'est passé pour toi ce jour-là, mais tu devrais tourner la page. On a tous perdu des proches lorsque le Cri s'est déchaîné, et pourtant, on s'accroche à la vie pour essayer d'honorer leur mémoire. Alors, essaie au moins de faire de même.

Le parquet grince, signe que le vieil homme se dirige vers la porte. Un cliquetit, puis le battant qui s'ouvre.

- Sort le gratin de légumes du four quand il sera prêt. Et prend soin de toi.

La porte claque et un sourire se dessine sur mon visage. Ce n'est pas trop tôt ! Au même moment, celle qui donne sur la chambre s'ouvre et je tombe à la renverse. Mes yeux arrondits par la surprise se posent sur Hope et la feuille qu'il brandit devant moi.

Tu n'en a pas marre de m'observer depuis des jours ? Passe un peu à l'acte et tue moi au lieu de rester là à m'espionner !

Annotations

Vous aimez lire Arianne D Charles ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0