Chapitre 15 :

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Assise sur le toit d'un immeuble abandonné, j'ai eu tout le loisir de regarder le soleil disparaître derrière l'horizon, perdue dans mes pensées. La nuit a recouvert les ruines de Paris de son voile sombre. La Tour Eiffel est visible au loin, sa silhouette surplombant les décombres, sinistre. Un vent venant du nord a rafraichi l'air, s'infiltrant au passage entre mon manteau et ma veste en cuir.

Il doit être presque minuit maintenant. La lune éclaire faiblement le ciel, éclipsant les étoiles dans le ciel noir. Je n'ai toujours pas bougé, malgré la température de plus en plus basse. Mon regard balaie une énième fois les ombres que forment les bâtiments, et les dégats laissés par le Cri.

Les effondrements, les aberrations magiques, les changements brusques de météo à certains endroits, les cris lointains.

Plus rien ne va dans ce monde.

A commencer par moi.

Pourquoi ne l'ai-je pas tué ?

Cette question ne m'a pas quittée depuis que j'ai fui mon appartement et mon ex suicidaire.

Pourquoi ne l'ai-je pas tué putain ?

J'étais armée d'une dague, d'un pistolet et de toute ma rancœur, il ne demandait que ça, alors pourquoi ? Oter la vie fait partie de mon quotidien. Ce n'est qu'un geste que j'exécute de sang froid et sans jamais me poser de questions.

Pourtant, aujourd'hui, j'ai préféré prendre mes jambes à mon cou plutôt que de verser le sang.

Et des heures de réflexion n'ont pas suffi pour expliquer ce qui s'est passé dans ma tête.

- Un petit conseil, arrête de ressasser si tu ne veux pas attrapper une pneumonie.

Je lève les yeux et aperçoit Ash. Son sourire amusé ravive la haine qui brûlait en moi, me donnant des envies de meurtre. Je m'efforce de ne rien laisser paraître, mais ma voix froide et tranchante me trahit.

- Dégage, si tu tiens à la vie.

- Je suis un Dieu Ruby, rétorque-t-il, je ne peux pas mourir.

Mon contrôle éclate en mille morceaux. Je me lève et lui attrappe le col de sa tunique beige. Mon autre main se saisit de mon poignard que je place à quelques centimètres de sa gorge.

- Ne. M'appelle. Jamais. De. La. Sorte.

Ce prénom me répugne. Il n'est rien qu'un patronyme superficiel que j'ai été forcée d'adopter. Cet adolescent céleste est le seul qui connaisse ma vraie identité, qu'il choisisse de ne considérer que la fausse me mets hors de moi.

Je ne suis pas cette Ruby.

Qu'importe si j'habite son corps, elle et moi sommes deux personnes différentes.

- Perle, commence Ash, il va falloir que tu t'y fasses. Officiellement, ton enveloppe a été réduite en poussière par une explosion, et ton esprit est allé rejoindre le royaume des morts. Tire un trait sur ton passé et vois cela comme une manière de repartir d'un bon pied...

- Tu crois que c'est simple peut-être !?! Je lui crache. D'abandonner tout ce qui nous définit pour changer du jour au lendemain ? Revivre n'était même pas mon choix ! Comment veux-tu que je técoutes si tout ce que tu me demandes va à l'encontre de ce que je suis ?

Je le regarde dans un mélange de dégoût et de haine. Mes phalanges blanchissent autour du manche de mon arme. J'ajoute.

- Si je ne t'avais pas croisé ce jour-là, je reposerais en paix. Tout est de ta faute !

Ma lame bouge d'elle même, mais Ash disparaît soudainement. Je n'ai pas le temps de m'étonner qu'un coup me fait lâcher mon couteau. Tout en me retournant, je plonge la main dans ma veste pour en sortir mon pistolet, mais celui-ci est introuvable.

Et pour cause, Ash est en train de jongler avec, comme s'il ce n'était pas un instrument de mort. Je le fusille du regard. Il me répond par un sourire moqueur.

- Raté !

Je vois rouge, et me précipite sur lui. Mais à peine ai-je fait un pas que mon corps s'immobilise soudain. Mes muscles se sont figés, et tous les ordres inconscients du monde ne peuvent les faire se déplacer. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? La panique me gagne.

Parce qu'une personne qui ne peut même pas remuer un doigt est totalement impuissante.

L'adolescent s'approche de moi, et je réalise.

C'est lui qui m'a fait cela.

- Tu comprends enfin ? Je ne plaisante pas lorsque je te dis que je suis un dieu. Je suis capable de détruire le monde si je le veux. Tu ne peux pas me tuer.

Ash soupire. Moi, je n'ai qu'une envie, attenter à son immortalité par tous les moyens.

- J'aurais préféré que l'on parle tranquillement autour de cette boisson humaine délicieuse que vous appelez un café, mais soit. J'ai besoin de toi, Ruby.

Si je pouvais bouger, j'écarquillerais les yeux, avant d'éclater de rire. C'est quoi cette histoire ? Il ne peut pas tout accomplir avec ses origines et ses pouvoirs ?

- Ce n'est pas le problème, avoue-t-il en répondant à ma question mentale. Je ne peux pas interférer directement avec les Hommes et réparer leurs erreurs. Sinon, comment apprendrez-vous ? Et puis, il faut dire que mes parents me surveillent depuis que j'ai indirectement provoqué la fin du monde...

Attends... QUOI !?!

Il fuit mon regard, et s'explique :

- En fait... Lorsque j'ai fêté mon centenaire, j'ai voulu faire preuve de bonté en donnant une goutte de mon pouvoir à un humain pour qu'il aide les autres à construire un monde meilleur. Et... J'ai choisi Hope.

Une floppée d'injures me traversent l'esprit, faisant grimacer Ash.

- Je jure que mes intentions étaient bonnes, se défend-il. Seulement, j'aurais peut-être dû réfléchir un peu plus au lieu d'offrir ce cadeau empoisonné au premier venu juste parce qu'il avait un prénom évocateur... Tu aurais vu la tête de mes parents lorsqu'ils ont compris ce qu'il s'était passé.

Sérieusement !?! Malgré mon immobilité, j'arrive à lever les yeux au ciel. Qu'avons-nous mérité pour avoir un dieu aussi peu responsable ?

- Bref, je dois réparer les dégats que j'ai causé, sous peine de me prendre la rouste de ma vie. Et la solution à mon problème, me dit-il un grand sourire aux lèvres, c'est toi !

Je n'en reviens pas. Même avec une centaine d'années à son compteur, il se comporte comme un adolescent qui est persuadé que ses idées farfelues sont géniales. Si cela continue on va tous mourir. Malgré ma rancune envers lui, je me rends à l'évidence : mieux vaut que je l'aide plutôt que de le laisser provoquer une deuxième fois la fin du monde.

- C'est oui alors ? Super !!

Il me libère d'un coup de mon immobilité, et je m'écrase sur le sol. Sa silhouette disparaît dans la nuit, me laissant seule avec la promesse que je viens volontairement de lui faire...

Qui implique de redonner à un homme brisé que je déteste l'envie de vivre,

et de nous sauver tous.

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