Camaraderie (II)

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Et cette seconde ascension survint, semblable à la première ; les mêmes allocutions, les mêmes philippiques se répétèrent et c'était par elles qu'ils se hélaient encore et toujours, alors qu'ils reformaient leurs rangs — amaigris de quelques camarades tombés au combat — par des forces de réserves fraîchement débarquées, saines de toutes courbatures car elles n'avaient pas encore connu l'hostilité. Ces réservistes, reconnaissables par leur équipement complet et uni d'une même couleur, aux armes neuves et légères, et qui prodiguaient, avec leurs présences, des regards lourds de critique à ceux dont ils venaient compléter les manques. Ces lignes dépareillées aux bras alourdis par la mort qu'ils avaient su donner, comme conjurer, dans un grand nombre de fois. Et ces cadets les maudissaient à cause de la faiblesse supposée avec laquelle ces premiers menèrent la guerre et eux, qui étaient vifs et plein de courage, savaient qu'ils étaient les seuls à pouvoir annihiler l'adversaire ; qu'ils ne traîneraient pas à atteindre cet objectif et ayant été formés pour cela, qu'ils n'accepteraient que la juste récompense dont seule la victoire attribuait aux victorieux ; refusant, par-là même, de piller les cadavres, amis comme ennemis, corps boueux qui salissaient aussi sûrement les mains des détrousseurs que l'éthique militaire des irréprochables ; de plus cette pratique n'était rien d'autre qu'un aveu, un défaitisme qui insultait l'armée tout entière.

Pour éviter cet affront, les réservistes se mirent en premières lignes, impatients d'affronter le camps d'en face et ils s'encouragèrent ou se rabrouèrent d'outrage selon qui de l'enthousiasme ou de la lassitude, rencontrèrent leurs exhortations. À celui qui, anémié ou assommé de fatigue, ne leur opposa que son affliction — souvent par un silence qu'ils estimaient, eux-mêmes, coupable— à celui-ci, ils le couvrirent de reproche alors que les écrans défensifs se désactivaient pour la seconde fois de la journée. L'assaut fut lancé et les pas s'enfoncèrent de nouveau dans la terre, nageant dans l'écume sanglante qui descendait comme un ruisseau de montagne jusqu'à leurs pieds, vaisseau de fer, brises-chairs qui éventraient les talus accumulés sous la tourbière à cause d'ordres qui ne disaient aux guerriers, par communicateurs interposés, qu'une seule et même chose :

" En avant ! Chargez ! Gloire aux guerriers ! "

Pour ceux qui arpentaient depuis plusieurs batailles cette montée, cette gloire était introuvable. Tant et si bien, qu'ils ne la cherchaient plus, ni sur le visage des morts — car ils ne pouvaient pas croire qu'une telle chose, comme la renommée, pût être aussi froide, immobile et crispée — ni dans les faits d'armes qui se répétaient, inlassablement, à chaque attaque lancée. Mais, peut-être, était-ce bien cela, cette chose — qui ne semblait se refléter que sur les faces blanches inexpressives des statues, au milieu desquelles, la plupart, avaient grandi et qui prenaient la poussière dans les halles, lointaines, bâties à la grandeur des armées terriennes — honneur, qu'ils se devaient d'atteindre. À cette idée, beaucoup rechignèrent à son acquisition tant elle leur paraissait, ainsi présentée, comme laide, pathétique et insupportable, comme pouvaient être, après une telle réflexion, leurs armes ; les boucliers pesaient sur leurs bras d'un poids inédit, d'une pesanteur mortelle, et seule l'habitude du combat garantissait, à ce moment-là, leur survie. Grâce à elle, ils relevèrent— quand vinrent les premiers coups de plasma — leurs protections et solidarisèrent leur formation afin de ne pas connaître une déperdition certaine de leur nombre. Mais ils tardèrent quelque peu et ils perdirent Zaka du Cap qui avait rejoint le conflit avec les derniers vaisseaux et il n'eut pas le temps de connaître, ni l’épuisement des batailles, ni le repos de ceux qui, n'ayant pas d'autres choix que de résister jusqu'aux dernières lueurs, dorment sans rêve ; un carreau lui brisa le nasion, l'espace entre les yeux et ceux-ci se couvrirent d'un voile épais qui l'aveugla et il chuta au sol, la tête la première, embrassant la bauge écarlate de ses lèvres déjà froides.

Il ne fut pas le seul suivi d'un bon nombre d'alliés. Comme Hermès aux belles bottes, parce qu'il aimait porter les plus beaux apparats, il était le plus beau des morts et voilà pourquoi on s'arracha sa dépouille qui vit autour d'elle s'accumuler les armes. Parmi elles, on pouvait reconnaître celle de Kylo le petit, qui emporta avec lui, dans les bras glacials de la terre, Zora demi-face et il s'appelait ainsi car à cause d'une colère qui, sans mesure, s'était emparée, un jour, de sa raison, il provoqua plus fort que lui, parmi les rangs des jupitériens, afin de combattre l'injustice qui le plaça loin des égides d'énergies, en troisième ligne, et dans cette lutte il perdit la moitié de son nez. Demi-face eut, peut-être, été soulagé de savoir, car avant de périr, Kylo, avait aussi dompté son tourmenteur, l'irascible Perck aux larges sourcils, qu'ainsi fut réglée leur querelle dans le retentissement de leurs armes sur eux.

Cependant, ni leurs lance-plasma, ni leurs plastrons ne furent ramassés car les réservistes se refusaient à une telle pratique et ne couvraient pas, de leurs protections, les tentatives de récupération lancées par les plus aguerris. Alors il y eut une grande clameur dans les rangs des terriens quand ils comprirent que les uns ne couvriraient pas les autres et la confusion régna par des âpres paroles et de sévères bousculades. Au paroxysme de cette agitation, on se laissait même à la portée des traits mortels selon si, parmi la ligne, on partageait, avec ses voisins, les mêmes ressentiments ou son contraire. C'était ainsi qu'Angel, qui n'avait connu que cette offensive, tomba — non pas du dard qui fut lancé à l'endroit de sa cuisse car celui-ci n'avait pas transpercé suffisamment haut sa jambière droite pour y apporter le trépas — non, son malheur fut d'avoir été projeté en arrière, sous le choc, et de son dos ou de sa nuque vint heurter la rudesse soit d'une pierre soit d'un cadavre si fort qu'il en fut sonné : alors il ne put éviter le piétinement des lignes amies qui reculaient afin d'éviter l'anéantissement et Angel, qui avait grandi à l'ombre des orangers d'Ibérie, se noya dans la vase, qui se rependait dans sa gorge, poussée sur lui par le repli furieux.

Une retraite chaotique qui amena son lot de pertes, à l'instar de Xanthos de la troisième ligne qui, après avoir tourné le dos à l'adversaire, succomba d'une course trop lente. Il avait permis à Zion l'affable de percer, de plasma, le bas de son dos et il aurait pu rester là et se couvrir de fange si son corps ne fut saisi aux épaules par Giant — dont l'égide ne tremblait jamais sous le feu — lui-même aidé par LoneWolf aux bras longs qui protégea sa traction ; tous deux voulurent éviter à leur camarade la putréfaction des chairs et c'était pourquoi ils le traînèrent jusqu'aux écrans défensifs laissant pourrir, sans considération aucune, les dépouilles de Zarroc, Kruxx aux yeux rieurs, Aynstein, le large Xevex et Wizz. Tous les cinq étaient de la réserve, périssant le premier jour et personne n'alla les chercher les destinant à disparaître sous le limon qui allait glisser sur leurs casques aussi sûrement qu'avaient glissé les accusations et les reproches de la lice jusque derrière les écrans réactivés. Protégés de la rage ennemie, ils s'imputèrent, les uns aux autres, la responsabilité de la défaite qu'ils venaient de subir.

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