Goutte d'eau (III)

4 minutes de lecture

Alors naquit, dans le cœur des guerriers l'amertume bien connue de la défaite. Telle qu'ils savaient la digérer, pour l'avoir goûtée à plusieurs reprises, sans jamais rien connaître d'autre que sa saveur. Or, s'y ajouta, cette fois-là, l'odieuse trahison que venait de subir la phalange. Laquelle, à présent, se querellait pour savoir qui s'était rendu coupable de la mort des camarades tombés au cours du précédent assaut et d'aucun soit qu'il fut réserviste ou bien vétéran, accusait l'un, accusait l'autre, par des paroles outrageantes mettant en doute le courage ou le patriotisme d'un tel, d'un tiers. Dans cet élan furieux ils se prirent au col, se heurtèrent front contre front de façon à pouvoir, de plus près, se dire avec des bouches tordues par une aversion réciproque — les dents serrées — des paroles vaines et venimeuses. C'était-là une situation délétère que seul le commandement pouvait, par le biais des notifications, rompre en dispersant les rangs des factions qui brûlaient déjà de dompter leurs nouveaux adversaires. Ils n'eurent pas cette issue et elle aurait été heureuse si un appelé, par un geste malheureux, ne leur eut enlevé la paix et le repos en décidant de détourner, contre un de ses vis-à-vis, son lanceur. Il ignorait, l'innocent, que derrière les barrières défensives les armes étaient désactivées afin que le tir allié ne pût se produire. Il y eut alors, parmi les hommes, une stupeur terrible, silencieuse, tant et si bien qu'ils entendirent tous sa deuxième tentative : qui échoua fatalement, comme la première.

Cette stupéfaction figea la cohorte, avant de laisser la place à l'indignation, puis à la rage sitôt retrouvée. Poussé par celle-ci, un vétéran se jeta aux hanches du parjure dans un placage qui manqua de puissance car tous avaient combattu au mieux, avec toute la sincérité de leurs corps sans y conserver, ni en feignant la fatigue ni en laissant aux autres son propre effort, la moindre force. Il s'y jeta tout de même, en échouant sous les coups des crosses qui s'abattirent, sans tarder, sur son dos voûté. Malgré tout, il persistait à soulever l'assaillant du sol afin de lui faire perdre pied ainsi qu'a l'envie de tuer et tout en gémissant, plaintif jusqu'aux larmes du traitement qu'il recevait ; il ne souhaitait qu'une seule chose : que tout s'arrêtât. Lui, qui s'appelait Squanix le porteur d'eau car il n'avait comme plus grande préoccupation que la soif de ses camarades. C'était pourquoi il s'attardait entre chaque assaut auprès d'eux, avec plus que nécessaire, afin que pas un seul d'entre eux n'eût à repartir au combat sans avoir été, de tout son soûl, contenté et qu'ainsi aucun ne pût se plaindre d'aucune souffrance. Pourtant, en voulant l'éviter, il provoqua la douleur avec laquelle ses compagnons luttèrent dans le but de le tirer hors de la foule — qui s'entre-déchirait par une mêlée sauvage — dans l'espoir de le voir survivre à son acte. Hélas, dans sa bouche coulait déjà la fange du camp piétiné par la hargne. Cette même fureur s'intensifia à l'annonce de sa mort qui fut portée par des sanglots et des appels aux fratricides. Lesquels réclamait une juste vengeance auprès des novices qui resserrèrent leur ligne, les uns contre les autres. Ils avaient compris que, par ce seul homicide, ils venaient de provoquer dans la poitrine — de ceux auxquels ils reprochaient auparavant une certaine mollesse au combat — un feu ardent qui, ils en étaient convaincus, ne pouvait s'éteindre qu'inondé de leur propre sang ; c'était bien l'un des leurs qui venait de tuer le plus aimé du bataillon.

Sous les notifications ignorées, tardives, le massacre s'aggravait au milieu des tentes et ceux qui n'avaient pas assisté, et de leurs yeux vu, la mort de la discorde en furent avertis par d'autres qui cherchèrent à rassembler, autour d'eux, des forces nouvelles. Pour cela, ils transportèrent la dépouille souillée de Squanix comme preuve évidente de l'injustice commise et chacun alors se munit d'une pelle ou d'un couteau qu'ils serrèrent avec toute la colère de leur deuil.

Bientôt, les soldats entourèrent les novices — qui ne pouvaient se résoudre à se laisser abattre sans essayer, dans une ultime espérance, de créer une échappatoire, une faille dans le cercle de fureur qui les entourait. Ils prirent parti de se battre, n'ayant d'autre choix. Mais ils suffoquèrent aussitôt et, cernés par cette furie qui s'était faite nasse, ils crièrent, à cette colère sourde, que tout cela était un crime aux armées que tous les mutins seraient punis de mort. Et ils clamèrent cela pour faire fléchir les possibles indécis mais, par malheur, il n'y en eut aucun. Et Toby dont l'ADN appartenait à une longue lignée de grands guerriers — c'était pour cette raison qu'il se faisait appeler le fier, car il n'était pas le dernier à s'en vanter auprès des siens — le paya de sa vie. Ses gènes ne le sauvèrent pas quand un tranchant de pelle, récemment aiguisé à la pierre, vint fendre sa bouche de sa joue droite à sa joue gauche broyant au passage sa langue. Et comme il portait ses deux mains sur la blessure, il ne put parer de son bouclier, maintenant gisant, le coup fatal venu de face, porté par une lance en carbone, qui traversa son plexus. Sa mort avait précipité celles de ses compagnons cadets car, par celle-ci, la formation avait été brisée. Tombèrent à sa suite, Mad le blond, Kuzack qui parlait peu et Zenon le lutteur qui n'avait pas son pareil en duel. Néanmoins, ce jour-là, il ne sut dompter la force de Villan qui le traîna loin des lignes — qu'il lui étaient amicales — afin de l'engloutir de ses deux mains fermes dans la terre malléable et humide, tandis que sur ses joues creuses coulait le deuil lamentable de son amant, celui qu'il venait de venger par asphyxie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 55 versions.

Vous aimez lire Cabot ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0