Entends la nuit (Catherine Dufour)

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Résumé : Myriame, une jeune femme célibataire et un peu paumée, accepte un nouvel emploi pour une grosse compagnie étrangère en plein Paris. Au travail, les bizarreries se succèdent : foudre qui tombe sur l’immeuble, surveillance constante des patrons par logiciel espion... Elle est remarquée par le mystérieux Vane, un aristocrate écossais au charme suranné appartenant à l’élite de la société, qui la prend sous son aile. Grâce à lui, l’ancienne chômeuse monte rapidement en grade. En guise de logement de fonction, ce dernier lui propose d’emménager dans son ancien appartement. Mais en est-il vraiment parti ?

Un hommage au fantastique

Entends la nuit est le deuxième roman que je lis de Catherine Dufour (le premier étant Au bal des absents), auteure de fantastique contemporain qui brouille les frontières entre les genres dits « de l’imaginaire » et l’histoire de vie à portée sociale, ancrée dans le réel. J’apprécie son écriture agréable, précise et concise. Entends la nuit est un roman taillé comme de la littérature « blanche », sans longueur ni info inutile, qui montre une grande maîtrise du rythme du récit. Elle montre également une grande connaissance des codes du fantastique (tels que théorisés par Todorov), en mettant en scène une héroïne qui se trouve soudain aux prises avec une réalité qui dépasse ce qu’elle connaît : « le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un évènement en apparence surnaturel. » : cet évènement est-il une illusion des sens, un signe de folie, une manipulation ? Dans ce roman, le surnaturel s’immisce par petites touches avant d’envahir complètement le quotidien de la protagoniste, dévoilant une société parallèle, qui vit littéralement sous et dans les murs. J’ai trouvé ce traitement littéral de la maison hantée très intéressant.

Un « anti-twilight »

Dans ce roman, l’auteur rend hommage aux classiques de la maison hantée (le texte est émaillé de références, à commencer par le célèbre La Maison hantée de Shirley Jackson) et propose une « transformation » de codes (les « tropes ») amenés par d’autres œuvres (dont on présuppose la connaissance).

Myriame, par l’entremise de Vane, va peu à peu découvrir un Paris fantomatique qui coexiste avec le sien : c’est celui des « larves » (comme larvae, les génies de la domus romaine). Ce choix original de créature fantastique pour interagir avec l’héroïne permet de dépasser des tropes trop usités (le vampire, le fantôme…) tout en revenant à des fondamentaux qui autorisent d’en faire l’origine de tous les mythes, que ce soient ceux du vampire ou du fantôme. Le roman est souvent comparé à Twilight, car l’auteure l’a décrit justement comme un « anti-twilight ». Mais au-delà du binôme amoureux mortelle/créature immortelle, il n’y a rien de commun : l’héroïne est majeure, elle travaille, etc. La scène de l’élite de la société (surnommée la « Z »...) qui descend parmi les modestes employés lors de la pause déjeuner peut éventuellement rappeler la fameuse scène de la cantine dans l’histoire de Stephenie Meyer, ainsi que les oppositions que rencontre Myriame une fois sa relation avec Vane officialisée. À ce stade de l’histoire, le roman glisse dans l’imaginaire, mais les trois-quarts du récit se déroulent dans un cadre connu et prosaïque, celui de la vie de bureau à Paris : le fantastique, ici, se définit bien « par rapport au réel ».

L’ancrage dans le réel

Certains critiques ont vu dans ce roman une parabole sociale, mettant en scène l’exploitation, puis la fascination et enfin la rébellion d’une employée précaire face à une entreprise internationale fantomatique par sa toute-puissance et l’incapacité qu’à la protagoniste de la saisir (les patrons sont étranges, ils ne se montrent que quand ils veulent, les employés sont surveillés, etc). Comme la protagoniste du Bal des absents, Myriame est une femme qu’on pourrait croiser dans la vraie vie : elle est précaire, un peu marginale, et forcée par la vie aux plus radicales extrémités. En cela, ce roman brosse un portrait acide de la société urbaine actuelle, qui broie les femmes célibataires et intelligentes, ayant un regard satyrique sur le monde.

Malheureusement, c’est ce rapport trop évident au réel qui m’a empêché de m’immerger pleinement dans cette histoire. Lorsque je lis de l’imaginaire, que ce soit de la SF ou de fantastique, j’ai besoin de ressentir une certaine dose d’émerveillement, que j’ai eu beaucoup de mal à éprouver avec le ton constamment sarcastique de la protagoniste et l’ancrage de ce roman dans une réalité très parisienne. Le mélange de second degré et de codes bit litt retournés semblait parfois cacher une posture bancale qui m’a fait m’interroger sur le message que voulait faire passer l’auteur avec ce roman : est-ce réellement une parodie, ou une romance fantastique mal assumée ? Au final, je n’ai pas cru un instant à l’idylle de Myriame avec Vane. Mais je n’ai pas cru pour autant à une réelle satyre. À cela s’ajoute une certaine confusion lors des scènes d’action/agression (Myriame est agressée plusieurs fois dans le roman), sûrement voulue : certains épisodes importants sont très confus et souvent, je ne savais plus trop où j’en étais ou ce qui venait de se passer. Je me suis même interrogée sur la fin. De même, un élément important du récit, qui apporte un tournant définitif à l’histoire, est amené de manière un peu brutale et tombe comme un cheveu sur la soupe.

Ce roman a été lu dans le cadre du Cold Winter Challenge, menu « cocooning hivernal », dans la catégorie « marrons glacés » (feel good, gourmandise) car je m’attendais à une romance fantastique bien cozy. Si le livre commence effectivement dans cette veine-là, on est loin de la romance feel-good, au final…Je ne doute pas, cependant, qu’il plaira à un certain type de lecteurs, ceux qui recherchent de l’originalité, de l’érudition et du second degré en SFFF.

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