Prince captif : l’intégrale (C.S. Pacat)

8 minutes de lecture

Bragelonne, 2015-2016, 637 pages.

Résumé : Suite à une ignoble trahison, Damen, prince fier et viril, se retrouve esclave de plaisir dans une cour raffinée et cruelle. Il est mis à la botte du prince Laurent, aussi beau que manipulateur, dont il a tué le frère adoré quelques années auparavant. Arrivera-t-il à survivre aux complots et aux humiliations avant que Laurent découvre qui il est, et à reconquérir son trône ?

Cela faisait un moment que je voyais circuler sur bookstagram ces couvertures en miroir montrant deux jeunes éphèbes. Un brun et un blond, tous deux couronnés de lauriers, se faisant face dans leurs similitudes et leurs différences à la manière d’un Azur et Asmar gay et antique. À la base, je ne suis pas trop fan de la fantasy péplum ou « royauté ». Mais la lecture d’un avis de lecture très négatif sur le tome 1 m’a donné envie de découvrir ce roman (par ailleurs encensé). Dans cette chronique (que je ne vais pas partager pour respecter sa décision de son auteure ne plus être associée à cet univers qu’elle déteste), Prince Captif était présenté comme un roman problématique, une mauvaise fic Wattpad bourrée de smutfaisant l’apologie du viol, avec des personnages détestables. En général, quand je vois une chronique très négative sur internet, je me dis que le roman en a suffisamment dans le ventre pour soulever les passions et cela me donne envie d’aller voir ce qui se cache derrière. J’ai tendance à préférer les œuvres clivantes, celles qui font réagir, au livres « macdo » prédigérés et ultra-formatés pour plaire à tout le monde. Une rapide recherche m’apprit que la saga avait effectivement connu une première vie sous forme de websérie sur internet entre 2008 et 2015, puis qu’elle avait été refusée par tous les éditeurs australiens (« nous ne pensons pas qu’il y a un marché pour ce type de roman », lui répondra un éditeur aveugle). Qu’à cela ne tienne, l’auteure, soutenue par sa fanbase, le sort en e-book. Et là, c’est la consécration : jusque-là confidentiel (« j’avais six lecteurs sur mon blog », confie Pacat), le roman explose sur Amazon en moins de vingt-quatre-heures et devient un tel phénomène que les journalistes américains s’y intéressent. Finalement, Penguin USA fera une offre à l’auteure, et la trilogie se retrouve récupérée par le milieu de l’édition pour devenir le best-seller multi-traduit qu’on connait. Une telle success-story interpelle forcément, surtout quand le roman possède une réputation sulfureuse et qu’il répond apparemment à tous les codes de la fic boys love (je préfère ce terme que celui « d’homo-romance », car il précise bien ce dont il s’agit : une intrigue centrée sur la relation amoureuse entre deux personnages masculins), un genre qui trouve rarement sa voie jusqu’à l’édition mainstream. Jusqu’où peut aller un gros éditeur de fantasy dans le « lemon » et le « fanservice » ? Où se trouve la zone de compromis entre édition digne de ce nom et succès internet ? C’est dans l’espoir de répondre à ces questions que je me suis lancée dans la lecture de Prince Captif. Je savais déjà Bragelonne assez audacieux sur ces questions, mais je m’étais un peu ennuyée avec Kushiel, pourtant présenté comme un brûlot absolu en fantasy. Avec Prince Captif, je pensais rigoler, m’ennuyer et détester... mais j’ai été happée par ce page-turner très efficace, et même assez séduite par l’univers et les personnages.

Alors, sulfureux, ou pas ?

Pour faire simple, Akielos, le royaume d’origine de Damen/Damianos, est inspiré de la Grèce antique : sauvage, fier, barbare, guerrier, mais en ayant une certaine idée de l’honneur et de la liberté. Vère, à côté, évoque plutôt un mélange entre la Rome fin d’empire et la France de la Renaissance. Les deux royaumes pratiquent l’esclavage, mais de manière différente. Les Akieloniens, francs du collier, traitent plutôt mieux leurs esclaves que les Vérétiens, qui les humilient et les torturent. Ils organisent, notamment, des combats d’esclaves au cours desquels le gagnant viole le perdant. La lutte gréco-romaine dans le plus simple appareil, le corps enduit d’huile, est un thème récurrent des trois romans, qui ancre bien l’univers dans l’antiquité. Idem aussi pour la pédérastie au sens grec du terme, c’est-à-dire la relation consentie entre un guerrier ou un noble plus âgé qui prend sous son aile un adolescent. Ici, il s’agit surtout de « mignons », qui sont d’un rang social inférieur à leur maître. Ce sont ces trois points, le viol, l’esclavage et la pédérastie, qui peuvent se révéler sensibles pour les lecteurs. Quant aux scènes explicites, elles sont relativement peu nombreuses. J’en ai relevé une par tome, le reste étant des allusions, un langage cru, la description de coutumes et d’actes qui contribuent à un instaurer un climat sulfureux et une tension sexuelle qui court comme un fil rouge dans tout le récit. Je n’ai pas lu la première version publiée sur internet et en autoédition, mais je suppose qu’elle était beaucoup plus explicite.

J’ai passé un excellent moment de lecture, mais...

Je suis consciente des faiblesses de ce titre. De ces qualités, aussi. Une petite liste :

Les moins :

- l’écriture, souvent brouillonne, pas claire, pour ne pas dire moche et paresseuse, émaillée de répétitions et de redites. Quelques petits exemples :

« Il partit. » (p. 137)

« Il comprit. » (p. 155)

« Il dit :

— Je dois parler au prince. » (p. 155)

C’est surtout récurrent dans le premier tome (que je trouve le plus faible des trois). Ensuite, j’ai eu l’impression que l’écriture s’améliorait. Par ailleurs, les trois tomes sont plutôt différents et inégaux : le premier (« l’esclave ») est centré sur l’esclavage de Damen à la capitale de Vère, le second (« le guerrier »), sur son ascension en tant que bras droit de Laurent lors d’une campagne militaire, et le troisième (« le roi »), sur la résolution (un peu rapide parfois) de tous les fils de l’intrigue. Le second, qui est celui où il se passe le plus de rebondissements, est le meilleur des trois.

- les clichés du genre boys love, qui ne sont pas trop questionnés : l’opposition entre un amant viril « actif », brun et mat de peau, avec un éphèbe délicat quasi albinos, froid, mais « passif » (vous savez de quoi je parle, hein !), la présence de couples qui se forment dans les personnages secondaires, obéissant eux-mêmes à des clichés éculés (le soldat viril et expérimenté qui prend sous son aile un jeune apprenti « chien fou », le méchant intrigant pédophile, etc.). Je trouve positif que des romans comme celui-là trouvent leur chemin chez les éditeurs, pour épicer un peu un paysage édito à mon avis souvent convenu et très homogène. À cet égard, Prince Captif fait partie de ce qui se fait de bon sur internet (contrairement à l’indigeste et mollasson Hadès § Perséphone, pour comparer deux romans récents venus du net).

- l’absence de personnages féminins, sauf dans les rôles caricaturaux de salope traitresse (Jokaste) ou d’amazone sauvage (les Vasquiennes, qui utilisent les hommes comme étalons). Il y en a bien un ou deux de plus mentionnées, mais elles sont complètement insipides. Là encore, il s’agit de l’une des faiblesses inhérentes au genre boys love, un genre écrit par des femmes pour des femmes, qui, souvent, ont du mal avec les stéréotypes féminins en imaginaire, et qui, par réaction, refusent souvent d’en mettre en scène dans leurs fictions.

Les plus :

- une histoire simple, mais efficace. Cette trilogie fait 637 pages en grand format et police 12, et pourtant, je l’ai dévoré en une semaine et demi, tout en travaillant et affrontant la grippe. Je ne pouvais plus lâcher ce livre : il fallait que je le finisse, le plus vite possible.

- un drame poignant, qui fait appel aux grands sentiments comme l’amour, l’honneur, la trahison, qui reste à l’esprit une fois le livre refermé. Ce souffle épique et dramatique est également assez typique du boys love, qui se détache de la romance lambda pour sa capacité à soulever en nous un maëlstrom de sentiments. Personnages torturés, au passé trouble, opposition entre devoir et sentiments, loyauté et intérêts personnels : tous les ingrédients de la tragédie sont là et on sait qu’on va souffrir en voyant les personnages malmenés (mais que, quoiqu’il arrive, ils s’avoueront leur amour à la fin). Pour moi, l’intérêt de ces récits qui n’hésitent pas à manier drame, langage cru et violence (à bon escient, s’entend), c’est qu’elles se détachent justement de la soupe insipide et sans âme dans laquelle barbote malheureusement la majeure partie de la production en fantasy.

Ça ressemble à :

- Azur et Asmar, le dessin animé de Michel Ocelot (ou plutôt, sa fanfiction)

- Thyia de Sparte, de Cristina Rodriguez (si vous ne l’avez pas lu, foncez !), une autrice qui, elle aussi, a commencé en écrivant de la fanfiction BL sur internet.

- Kushiel, de Jacqueline Carey, pour le côté fantasy explicite inspirée de l’Europe.

- ... Berserk, le manga mythique de Kentarô Miura. Cette comparaison avait déjà été relevée par la blogueuse citée en intro, et je me suis moi-même demandé si Prince Captif n’avait pas, tout au départ, été une fanfic Guts x Griffith, tant Damen et Laurent ressemblent à ces deux personnages... (sans parler de l’univers violent et sexualisé, la magie en moins). Sachant que l’autrice a vécu au Japon quelques années, cela n’aurait pas été impossible... mais il s’agit là d’une interprétation personnelle, totalement subjective.

Ça ne ressemble pas à :

- Game of Thrones (en dépit de ce qui est mentionné en 4° de couverture). Ce n’est pas parce qu’il y a des batailles (qui, en plus, ne sont pas le point fort de Prince Captif), des intrigues de cour et une relecture fantasy du passé de l’Europe qu’on a à faire à un énième G.R.R Martin. La grosse différence, selon moi, se situe dans le fait qu’avec Prince Captif, on est en plein dans l’écriture female gaze (qui est caractéristique du genre BL), alors que dans le trône de fer, on est dans le male gaze. Même en racontant plus ou moins la même chose (des histoires de pouvoir), le rendu final est – à mon sens – totalement différent. Petit rappel pour ceux qui me citeraient Berserk comme contre-argument : le génie des auteurs japonais (et la raison de leur succès auprès d’un nouveau public féminin lassé des archétypes occidentaux), c’est justement leur capacité à manier le female gaze en sexualisant leurs protagonistes masculins (souvent de manière androgyne), qu’ils soient héros et anti-héros (là où la fiction occidentale se contentait – au mieux - de leur dresser une liste de conquêtes) et en jouant (et interrogeant) le genre.

Bilan

Si vous aimez le boys love, je vous conseille de tenter le coup. Mais je pense que les amateurs du genre n’ont pas besoin de mon avis pour trouver leur chemin vers ce bouquin, sorti il y a déjà quelques années...

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