Massacre

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 Ils sont arrivés un matin.

 Au loin, l’immense silhouette était apparue à l’horizon. Une embarcation d’une taille improbable se dirigeait lentement vers les côtes de la Majorique, vers le village de la petite Skuld. Elle ne l’avait pas remarqué tout de suite, trop occupée à se servir chez un boulanger. Mais bientôt, elle vit que tous les regards étaient dirigés vers la mer où pointaient cette ombre gigantesque. Comment un bateau pouvait-il avoir pareilles proportions ?

 Mais cette vision n’était rien comparé à la menace qui pesait sur eux. Bientôt, un étrange phénomène se manifesta. Une grosse bulle s’échappa d’un homme. Puis une seconde de son voisin. Sa compagne suivit, et ainsi de suite, jusqu’à ce que d’innombrables bulles flottent mystérieusement devant les quidams surpris. Un premier pêcheur tendit le doigt et perça celle qui venait de s’extirper de son corps. Aussitôt, il expira en crachant du sang.

 Les témoins voulurent hurler leur peur, prévenir les autres, paniquer… mais aucun son ne sortit de leurs bouches crispées. C’était comme si les cordes vocales de tout le monde avaient été tranchées. Aussi d’autres curieux imitèrent sans le savoir le pauvre pêcheur, et le même schéma se reproduisit à l’identique à quelques pas. Devant ces scènes, la foule de villageois paniqués se mit à courir dans tous les sens, provoquant l’explosion d’autres bulles dans l’agitation, et de plus en plus de morts par la même occasion.

 Skuld, cachée sous sa capuche noire de jais, n’osait plus bouger. La peur la paralysait. Comme tout le monde, elle n’était plus capable de parler, et il lui semblait même que les corps tombant par terre ne provoquaient pas le moindre son. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Qui aurait pu ? C’est lorsque des plumes noires et tâchée d’une unique sphère rouge sang commencèrent à pleuvoir que les villageois eurent un semblant de réponse.

 Deux êtres volaient au-dessus d’eux. Le premier, aux allures d’oiseau, était le propriétaire de ses plumes qui recouvraient tout son corps, à l’exception de sa tête couleur chaire et de ses serres aux reflets dorés. L’autre ressemblait plutôt à un dragon d’argent, avec sa longue queue parsemée d’écailles et ses bras aux mains palmées si grandes qu’elles lui servaient d’ailes aussi bien qu’à n’importe quel volatile. Pour ces païens, ces créatures étaient totalement inconnues. Il s’agissait pourtant là de Vausturn et Jura, les Colosses jumeaux, la Mort et le Silence.

 La pointe des plumes paraissait comme attirée par les bulles des habitants du port. Elles s’y plantaient, ôtant les vies si rien n’était fait pour les empêcher d’atteindre leur cible. Rares furent ceux qui comprirent, et aucun d’eux ne parvint à prévenir ses amis. Le massacre allait bon train sous les ailes de ces deux émissaires du Culte venus conquérir le pays des neiges éternelles.

 Forte de ses observations, Skuld comprit comment éviter le funeste destin. Mais elle était hors de danger, car aucune bulle n’était sortie de son corps. Un doute effroyable vint tout de même l’effrayer. Qu’en était-il de ses frères ?

 Elle courut plus vite qu’elle n’avait jamais couru pour retrouver son semblant de toit. Hélas, là-bas aussi, l’effrayant pouvoir de Vausturn avait fait effet. Elle ne trouva que deux petits corps allongés dans la neige, le regard vide, sans aucune bulle.

 Skuld fit tout son possible, paniquée, pour les réveiller. C’était trop tard, bien sûr, mais allez faire comprendre ça à une enfant de son âge. Quand enfin elle abandonna, elle vit que, tout autour d’elle, il n’y avait plus personne en vie. Ils étaient tous morts.

 Les deux êtres ailés s’étaient enfin posés, pas loin d’elle. Comme tout le monde avant eux, ils ne la remarquèrent pas, car elle était encore protégée par son chaperon noir de jais. L’enfant était figée sur place et sa surprise fut encore plus grande quand les deux Colosses prirent lentement forme humaine devant elle. C’était désormais deux hommes, si semblables par leurs traits, vêtus de toges de la même couleur que son chaperon. Le sourire satisfait qu’ils exposaient fit si peur à l’enfant qu’elle prit la fuite.

 Hélas, trois fois hélas, dans sa précipitation, Skuld trébucha. Elle poussa un petit cri de douleur en s’écorchant les genoux, mais c’est surtout la voix qui s’éleva derrière elle qui lui fit rater un battement de cœur.

 — Eh bien, Vausturn, on dirait que tu en as oublié une ?

 Skuld déglutit. En chutant, sa capuche avait déserté sa tête. Elle avait crié et le silence qui s’était abattu sur la bourgade avait disparu en même temps que la vie de ses habitants. Les deux êtres, qui qu’ils soient, avaient remarqué sa présence.

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