Douleur et allié

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Le soir même, lorsque Skuld s’installa au pied d’un arbre pour se reposer, la crainte de voir surgir le loup pour venir la dévorer ne s’était pas encore tarie. A chaque bruit du vent, à chaque craquement de brindille, elle se crispait, toute emmitouflée dans son chaperon. Il lui fallut un long moment avant de se calmer et de trouver le sommeil. A peine s’y était-elle plongée que de nouveaux bruits la réveillèrent.

D’abord lasse après toutes ces journées à marcher sans cesse, la curiosité prit peu à peu le dessus. Sans quitter la protection de son chaperon, elle se leva pour observer la cause de ce remue-ménage. Tout un regroupement de guerrier, comme ceux qu’elle avait croisés plus tôt, s’était arrêté un peu plus loin. Ils étaient en train de monter un campement provisoire pour la nuit. Un homme, peut-être un Chef de Clan, beuglait ses ordres. Tout le monde s’affairait dans tous les coins, montait des tentes, nourrissait des bêtes, allumait un feu ou préparaient des victuailles.

À les voir, la petite Skuld se mordit les lèvres d’envie. Un feu, un feu chaud pour la réchauffer, et de la nourriture pour reprendre des forces ! Ces soldats étaient une aubaine pour la voyageuse. Aussi se rapprocha-t-elle du campement. Là-bas, bien sûr, personne ne fit attention à elle. Mais ce qui aurait pu être une bonne chose se révéla vite un danger. On la bouscula sans prendre garde et elle reçut ainsi plusieurs coups par mégarde. Un peu sonnée, elle parvint tout de même à se rapprocher du feu où elle eu tout le loisir de se réchauffer.

Elle observait les guerriers bouger comme des fourmis Ogres sur un cadavre quand un homme bourru et couvert de peaux de bête s’assit sur elle. Elle eut beau protester et se débattre, il ne se soucia pas d’elle. C’est tout juste s’il jura d’être mal installé sur cette drôle de souche. Le bougre devait peser au moins une centaine de kilos. Quand enfin il se leva pour aller quérir sa pitance, Skuld prit la fuite et s’éloigna de là, ses jambes endolories et les joues toutes mouillées. Elle trouva un coin calme puis, remise de ses émotions, partit à la recherche de nourriture.

Les hommes du Clan avaient dépecé une bête, sûrement un de ces advouquetins qui voyageaient avec eux. Elle n’avait pas assisté à la scène, mais le sang qui couvrait la neige lui donna un haut-le-cœur. Elle ne pouvait néanmoins pas refuser une part de ce ragoût qui était servi aux guerriers. Il n’était peut-pas bien bon, mais il était nutritif et pourrait rendre de ses forces à la petite fille. Elle vola un bol à un guerrier, qu’elle entendit se plaindre de ne pas le retrouver, et se servit plus d’une fois devant les yeux de ceux qui faisaient la file pour recevoir leur part. Elle se resservit trois fois pour étancher sa faim, et même une quatrième qu’elle garda pour plus tard.

Repue, elle s’adossa contre une charrette, assez loin du feu pour ne plus qu’on s’assoit sur elle mais pas trop non plus afin de profiter un minimum de sa chaleur réconfortante. Si elle avait eu peur du loup plus tôt, désormais, il n’y avait plus aucune chance qu’il s’approche d’elle. Alors que l’agitation du campement se calmait, Skuld trouva enfin un sommeil paisible.

Cependant, le lendemain, lorsque les guerriers majore se levèrent pour démonter le campement, l’enfant ne se réveilla pas. Sa fatigue était plus forte que le bruit, cette fois-ci. Alors quand au moment de partir on fit avancer des élanstrophe pour tirer leur charrette, une terrible douleur vint enfin la sortir de son sommeil. Le véhicule était littéralement en train de lui rouler dessus et pesait de tout son poids sur le bras et le ventre de l’enfant qui hurla. Mais la charrette, à cause de cet obstacle que personne ne soupçonnait, ne parvenait toujours pas à avancer. Alors on fit redoubler d’effort aux bêtes et, enfin, la carriole écrasa de toute sa masse la gamine, par deux fois. En larme et criant toujours sa souffrance, sa capuche n’avait pas quitté la tête de la petite Skuld. Aussi les fiers guerriers ne firent pas attention où ils posèrent les pieds et l’écrasèrent à leur tour en partant.

La colonne de guerrier s’éloignait et l’enfant pleurait toujours plus. Elle ressentait une douleur telle qu’elle se serait crue mourir. C’était certainement ce qui aurait dû arriver, d’ailleurs, si sa vie n’avait pas été mis en sécurité sous une cloche de verre par le Silence et la Mort. Mais n’aurait-il pas été mieux qu’elle meurt sur le coup ? Elle haletait et tentait de bouger, mais chaque mouvement relevait du défi et demandait de trop gros efforts.

Une heure, deux heures, trois heures peut-être, s’étaient écoulées sans que la douleur s’atténue. Sa vie n’était-elle désormais que souffrance ? Si c’était cela vivre éternellement, à quoi bon ? Mais elle se souvint aussi que les Colosses lui avaient donné trois mois pour parvenir à ses fins. Cela devait déjà faire un mois qu’elle voyageait. Avait-elle fait cela pour rien ? Devrait-elle encore souffrir le martyr deux longs mois avant d’enfin expirer ? Non, elle avait toujours peur de la mort. Elle devait réussir. Jura ne pourrait-il pas la soigner pour la récompenser ?

Résolue, elle rassembla ses dernières forces et commença à ramper dans la neige, car ses jambes aux os brisés ne pouvaient plus la porter. Un seul de ses bras était encore capable de la trainer, centimètre par centimètre. Chaque nouveau mouvement éraflait ses jambes, griffait son visage, empiétait encore plus sur son état. Mais elle continuait.

A vrai dire, elle ne fit pas plus de quelques mètres de cette manière, en un temps infini. Elle hurlait son désespoir et sa hargne lorsqu’enfin elle s’arrêta, à bout de souffle. Son bol de ragout s’était renversé lorsqu’ils lui étaient passé dessus et elle remarqua alors, horrifiée, qu’elle avait laissé derrière elle le petit panier d’osier qu’elle était censé confier au Grand Glacier. Résignée, elle s’apprêtait à faire demi-tour quand quatre pattes se posèrent devant elle.

Le loup. Celui-là même qu’elle avait vu la veille la fixer intensément. Il recommençait aujourd’hui, plus proche que jamais. Ses grands yeux noirs donnèrent l’impression à Skuld qu’il pouvait lire à travers les tréfonds de son âme, et ce malgré le chaperon sur sa tête. Elle cessa de crier, interdite. Seuls les battements de son cœur rompaient le silence religieux de la scène.

Quand le loup esquissa un mouvement, Skuld ferma les yeux, appréhendant une morsure qui ne vint pas. Lorsqu’elle les rouvrit, elle constata que le loup revenait vers elle après l’avoir brièvement quitté, l’anse du panier d’osier dans la gueule. Il le déposa près d’elle puis vint se coucher dans la neige à ses côtés. Au contact de son pelage, Skuld sentit une vague de chaleur l’envelopper. La douleur se calma sans la quitter pour autant. Désormais, c’était leurs battements de cœurs à tous les deux qui battait la chamade comme un seul.

Ils restèrent ainsi longtemps allongés dans la neige et le sang. De son bras valide, Skuld se permit de caresser l’animal qui, docile, se laissa faire sans broncher. Enfin, il la fixa de nouveau, d’un regard protecteur qui lui garantissait que plus aucun mal ne lui serait fait. Rassurée, apaisée malgré le corps en compote, Skuld s’endormit de nouveau.

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