Le Grand Glacier

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 Lorsqu’elle se réveilla, Skuld s’étonna de ne plus être allongée dans la neige. Elle se trouvait sur le dos du loup et celui-ci avançait dans la direction qu’elle voulait prendre, le panier d’osier de nouveau dans sa gueule. Sa surprise ne s’arrêta pas là, car ses nombreuses plaies et fractures avaient été bandées et on lui avait même mis des attelles. La douleur, bien qu’encore présente, s’était amenuisée.

 Elle caressa la tête de sa monture qui poursuivit sa route sans plus de réaction. Elle ignorait pour quoi et comment, mais ce loup l’avait sauvée d’une horrible fin de vie. Mieux, il la guidait là où elle pensait retrouver le Grand Glacier, il l’accompagnait dans sa tâche. Elle murmura des mots de remerciement à l’animal. Elle n’avait pas ce don de communiquer avec les animaux, mais elle voulait faire son possible pour lui montrer toute sa gratitude.

 Seuls sur les chemins, ils évitèrent les colonnes de guerriers qui ne se soucièrent pas d’eux, même lorsqu’ils ne marchaient pas assez loin pour passer inaperçu. Le chaperon de Skuld permettait-il aussi au loup d’éloigner l’attention qu’on pourrait lui porter ?

 Lorsque le soir venait, le loup déposait Skuld qui faisait de son mieux pour s’adosser à un arbre. L’animal s’éloignait et revenait très vite avec un petit gibier dans la gueule, qu’ils se partageaient crû. Si cela eut le don de dégouter la petite fille les premiers soirs, elle ne fit pas la fine bouche les jours suivants. Puis Skuld s’endormait dans le froid pour se réveiller le lendemain près d’un foyer mourant qui s’était allumé pendant son sommeil, comme par magie.

 Elle passait son temps à se demander comment son compagnon faisait tout cela. Car cela ne pouvait être que lui, personne ne se serait cacher pour les aider, c’était invraisemblable. Était-il possible qu’il ait été envoyé par les Colosses jumeaux ? Elle voyait mal la Mort l’aider dans sa tâche, mais le Silence lui avait déjà sauvé la vie, en quelque sorte, même si ce n’était pas gratuit. Elle essaya bien de poser des questions à l’animal, mais si elle était de plus en plus persuadée qu’il comprenait ses paroles, jamais il ne répondit.

 Ils voyagèrent ainsi pendant plus d’un mois, sans autre compagnie. L’échéance fatale se rapprochait petit à petit et Skuld craignait de ne pas arriver à temps. Enfin, un jour, elle vit apparaitre au loin une ville. Son comparse évitait autant que possible de pénétrer dans les bourgades, pourtant, cette fois-ci, il s’y dirigeait, et avec hâte même !

 Là-bas, comme d’habitude, personne ne leur prêta la moindre attention. Un loup aurait pourtant dû être chassé ou attirer la peur des villageois. Ceux-ci, néanmoins, paraissaient à cran. Elle comprit très vite qu’il s’agissait là d’une capitale de Clan, et pas n’importe lequel. Le Grand Chef de l’époque, celui qui dirigeait le Conseil des Chefs de Clan, y siégeait.

 Le loup conduisit Skuld sur la Place publique. Là-bas, des cages sur roulettes étaient pleine d’hommes et de femmes qui se lamentaient. Beaucoup de ces prisonniers portaient des vêtements étranges, pas du tout adaptés au temps de la Majorique. Des étrangers. Des prisonniers de guerre. La plupart des gens les ignoraient ou les rabrouaient. Ils semblaient attendre quelque chose. Skuld et le loup firent le tour de la foule pour observer la scène de loin. Bientôt, un attroupement de soldats mené par un grand homme costaud fit son apparition. Ils s’arrêtèrent devant la foule qui trépignait d’impatience. Lorsque l’homme, le Grand Chef, parla, ses paroles tétanisèrent Skuld.

 Lui et ses hommes revenaient d’un entretien avec le Grand Glacier. Manifestement, c’était loin d’être le premier. L’être de glace, soutenait le Grand Chef, était presque satisfait. Il réclamait encore quelques dîmes de sang avant d’enfin prêter sa force à la lutte contre l’envahisseur. Le Grand Chef désigna les captifs avec un rire cruel et gras et tout le monde l’imita. Depuis combien de temps sacrifiaient-ils des gens au Grand Glacier ? Combien étaient déjà morts pour le satisfaire. Skuld eut un frisson. S’ils savaient pour qui elle travaillait, elle aussi connaitrait le même sort. Elle appréhendait désormais de le rencontrer et hésita même à abandonner.

 Mais le loup ne lui laissa pas le temps d’y songer plus sérieusement. Sans plus attendre, il se dirigea dans la direction d’où revenaient les hommes du Grand Chef. C’était là, plus très loin, que siégeait le but de tout ce voyage. L’animal sentait la peur de l’enfant sur son dos qui se cramponnait à sa fourrure comme si sa vie en dépendait, mais il ne renonça pas pour autant, même lorsque Skuld le supplia de rebrousser chemin. Il décela d’ailleurs dans sa voix de l’inquiétude à son égard.

 Enfin, après près d’une heure de marche, ils parvinrent devant une immense grotte et le loup s’arrêta. Skuld, morte de peur, fit un effort considérable pour descendre de son dos. Ses jambes allaient beaucoup mieux, même si elles restaient fragiles et qu’elle évitait généralement de rester debout trop longtemps. Son compagnon lui tendit le panier d’osier qu’elle attrapa depuis sa gueule. L’animal lui adressa ensuite un regard qui se voulait encourageant et la petite fille souffla trois coups pour se donner la force de faire ce pour quoi elle était venue. Avant de se lancer, elle retira sa capuche.

 — Grand Glacier, ô Grand Glacier, écoutez-moi, je vous en prie…

 — Qui vient là ? rugit une vois qui semblait venir de nulle part et de partout à la fois. Tu n’es pas ce Chef de Clan et je ne t’ai pas sentie arriver, alors dis-moi qui tu es !

 — Je m’appelle Skuld, je suis… Je suis juste une enfant à qui on m’a confié la mission de vous apporter ceci…

 — Un panier ? ricana la voix. Ne sais-tu donc pas ce que je réclame à ceux qui m’adressent la parole ?

 — N-Non… couina Skuld en tremblant de la tête aux pieds. J-Je… J’ignore ce qu’il y a dedans. C’est un… un grand dragon venu de l’autre côté de la mer qui me l’a confié…

 Un silence pesant s’abattit sur la plaine. Si elle ne percevait pas le son de son propre cœur qui battait la chamade, Skuld aurait presque pu croire que son commanditaire était sur place.

 — De l’autre côté de la mer, tu dis ? rugit enfin la voix, moins assurée. Que t’a-t-il demandé, petite écervelée ?

 — Il m’a demandé de vous confier ce panier et de ne pas regarder son contenu, ô Grand Glacier. Il… il m’a dit qu’il voulait vous faire ce présent pour faire alliance avec eux…

 — Alliance avec ces étrangers…

 Soudain le sol trembla. La surprise fut telle que Skuld en perdit l’équilibre, rattrapée de justesse par le loup. Des profondeurs de la grotte, une immense créature se dirigeait vers eux. Lorsqu’enfin elle apparut, Skuld en eut le souffle coupé. On aurait dit un sanglier gigantesque à six pattes et aux multiples défenses. Le Grand Glacier portait bien son nom, car il ne semblait pas fait de chair ni de sang mais bien de glace d’où se reflétaient les rayons du soleil. Seuls ses yeux, noirs comme le chaperon de Skuld, détonaient avec cet étrange spectacle. A son approche, le loup s’était positionné entre lui la petite fille pétrifiée de peur, comme pour la protéger.

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