Chapitre 4

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Myung-Dae bat un rythme distrait sur le volant avant de se retourner vers la banquette arrière. Les yeux de biche de Béatrice décortiquent leur environnement, ses mains menottées posées sur ses cuisses. Elle ne lui a jamais semblé aussi petite, fragile presque, coincée entre deux de ses subalternes, Perrez et Faure. Les cicatrices qui strient sa peau découverte lui affirment pourtant le contraire.

En quatorze ans, il a imaginé des milliers de scénarii suite à sa disparition. Il aimerait lui poser des questions, comprendre pourquoi elle a fui l’hôpital au lieu de rentrer en France. Les réponses qu’il entrevoit l’effraient. La veste en cuir, ramassée avant qu’ils ne montent dans la Subaru Impreza, camoufle avec brio des holsters d’épaule vides. L’une des bottes cachait un opinel. Béatrice secoue sa tête, dégageant son visage de ses boucles châtains.

« Qu’est-ce qu’on fout là ? » gronde-t-elle.

Un accent napolitain marque ses mots. Elle n’a pas quitté l’Italie, réalise Myung-Dae. Elle le cherchait réellement… Il déglutit. Si Béatrice fait autant preuve d’acharnement à éliminer l’Élu qu’à trouver le meurtrier de ses parents, ils auront une chance de le vaincre.

« Vous les détenez au sous-sol… »

Les prunelles de Béatrice, rappelant de l’œil de tigre à Myung-Dae, s’assombrissent.

« Oui. Raison pour laquelle nous allons dans les caves.

— Prête à t’amuser et renaître ? rit Perrez. Putain ! »

Un rictus narquois ourle le minois de Béatrice, qui vient d’écraser le pied de Perrez. Ce dernier arme son poing en représailles, mais un simple ordre de Myung-Dae le stoppe.

« Allons-y. »

Il sort du véhicule, imité par ses hommes. Faure aide Béatrice à descendre en veillant à ce qu’elle ne se cogne pas. Elle le remercie, avant d’examiner l’aire de jeux puis la rangée de bâtiments. Sur l’entrée principale, H1 est peint en vert.

En tête de leur cortège, Myung-Dae ouvre la voie. Encore quelques minutes. Il hésite un court instant. Je pourrai l’amener à Caleb… Il soupçonne son ancien coéquipier d’entretenir des liens avec la Résistance. Ce groupe d’hommes et femmes réfractaires à l’Élu diminue chaque jour mais poursuit sans relâche sa lutte. Avec eux, Béatrice serait capable de gagner.

« Hoffman ? »

Perrez lui indique l’escalier descendant aux caves, une main près de sa radio portative. Le regard qu’ils échangent dure à peine une seconde, pourtant Myung-Dae comprend la menace implicite. Il déglutit et s’enfonce dans le sous-sol.

Ses poils se hérissent sous l’air humide. Les néons clignotent puis se stabilisent, éclairant chaque recoin de ce labyrinthe réaménagé. Un second trinôme les attend. Ils ne prononcent pas un mot, les consignes données par le Serpent le matin même sont claires.

« Béatrice. »

Elle refuse de se tourner vers lui, alors que les soldats l’emmènent.

« Hoffman, n’interviens pas, gronde Perrez. Il risque de s’en prendre à Helena ou Tamara à cause de ça.

— Elle survivra, comme nous, ajoute Faure, d’un ton encourageant. Chef, puis-je vous rejoindre après avoir utilisé les toilettes ? »

Les yeux de Faure brillent. Myung-Dae accepte, l’ombre d’un espoir gonflant son cœur. Il connait Caleb comme moi. Dès que nous serons partis, si mes soupçons sont justes alors... Caleb préviendra les résistants. Peut-être la sauveront-ils à temps.

*

J’ai assez de marge pour étrangler l’un d’eux avec les menottes. Si je me débrouille bien… Les yeux de Béatrice glissent du cou du soldat devant elle à sa ceinture armée. Elle se retient de sourire. Dès qu’ils rejoindront ses pères, elle mettra son plan à exécution. En silence, ils parcourent le dédale de couloirs.

Ils s’arrêtent devant une porte blindée. Béatrice fronce des sourcils. Ses souvenirs de cette zone sont épars, Helena, Myung-Dae et elle s’amusant à traverser les caves de part en part le plus vite possible et dans le noir. Cependant, elle sait qu’aucun budget n’aurait été injecté par l’État pour réaménager les lieux de la sorte.

Qu’est-ce qu’Ahmès manigance ?

L’un des soldats la pousse dans la pièce sombre. Ses collègues s’arment, prêts à la cribler de balles. Fais chier. Dans un grincement horripilant, ils l’enferment. Seule, Béatrice tourne sur elle-même, laissant ses yeux s’acclimater à la faible luminosité.

Toujours attachée, elle fouille dans ses boucles à la recherche d’une épingle à cheveux. Une habitude que Reiju l’a forcée à adopter après une mission au Sahel. Avec, elle commence à crocheter la serrure d’un des bracelets de fer. De longues secondes lui sont nécessaires quand, enfin, un clic résonne contre les murs. Elle glisse les menottes dans une poche de sa veste et masse ses poignets endoloris.

Clic, clic, clic.

L’éclairage s’allume dans une salle adjacente à celle où se trouve Béatrice. Elle s’approche d’un miroir sans tain. Au plafond, des rangées symétriques de gicleurs d’incendie forment une toile enchevêtrée avec des tuyaux. Dessous, une quinzaine d’hommes, femmes et enfants s’amassent les uns contre les autres, terrorisés.

Béatrice tambourine le verre teinté. L’horreur rampe le long de sa colonne vertébrale, s’enroule autour de son cou et le serre. Des images sinistres gangrènent son esprit. Non ! Non ! Non ! Le regard fou, elle cherche un moyen de s’échapper de l’observatoire pour entrer dans la chambre à gaz et extraire les captifs avant qu’ils ne deviennent des cadavres.

Dans un sens puis l’autre, elle longe la pièce à la recherche d’une faille. Où que ses yeux se posent, le désespoir et la peur l’accablent. Un garçon d’à peine huit ans se cache contre une femme, sa sœur ou sa mère peut-être. Un vieil homme pleure en silence, serrant dans ses bras son épouse et une adolescente.

Des cris s’élèvent de l’autre côté de la paroi. Un gaz s’échappe des sprinklers sous forme liquide, aspergent les prisonniers incapables de s’en soustraire. Béatrice recule jusqu’à ce que son dos rencontre un mur de briques. Ses lèvres se meuvent sous une prière, une supplique envers un Dieu auquel elle ne croit plus. Protégez-les, abrégez-leur souffrance.

Les hurlements s’intensifient, ponctués de coups contre les murs, la porte du fond de la chambre à gaz et le miroir. Certains se cachent sous leurs vêtements, abritent les plus jeunes de leur mieux. Tous toussent, crachent du sang et de la salive. Le dégoût et la haine crépitent en Béatrice. Elle, une Protectrice ? Je ne peux rien faire ! Rien !

Le chaos s’amplifie, atteint un point critique. Oppressant et infâme. Béatrice s’imprègne de cette vue cauchemardesque : la chair griffée à sang, à la limite de dévoiler des os ou des muscles, les yeux révulsés empreints d'horreur. Ils meurent, asphyxiés.

La colère domine Béatrice. Elle s’abandonne à cette émotion qui la consume, de son regard figé sur les victimes à ses mains tremblantes. Pourquoi Ahmès exécute ces malheureux de la sorte ? L’incompréhension tord ses traits. Essayent-ils de la déstabiliser ? de réduire à de simples braises sa combativité ? J’ai vu pire. Son estomac se noue. J’ai fait pire. Elle a détruit des vies lors de la partie de Tijuana et pour le groupe. La société militaire privée Sforza-Romano tenait plus du mercenariat qu’autre chose.

Elle le savait avant de l’intégrer avec Reiju. Certains l’excuseraient en racontant que la vengeance l’aveuglait. Au fond d’elle, quelque chose la poussait sur cette voie sombre et morbide. Un appel impossible à ignorer, peu importe les souffrances qu’elle infligeait. À la croisée des mondes, elle n’appartient ni au camp des gentils ni au camp des méchants.

Je vous vengerai coûte que coûte, promet-elle à ces inconnus. Au moins l’un de nous aura droit à la justice. Un concept étrange, une mercenaire au service des innocents, qu’elle exécutera de son mieux. Peu importe le prix à payer, je mettrai fin à la terreur d’Ahmès. Comment ? Cette question devra attendre.

Béatrice étudie la porte blindée, qui ne s’ouvre que de l’extérieur. Tôt ou tard, les soldats viendront la chercher pour l’emmener ailleurs. Peut-être la garder prisonnière, le temps qu’Ahmès atteigne ses objectifs qu’elle ne saisit pas encore, ou pour la gazer à son tour et débuter une quatrième partie.

Chaque pays n’a que cinq chances de vaincre l’Élu, si je perds aussi vite… Elle ne conçoit pas la France et les outre-mer rayés de la carte et se refuse de compter les vies perdues que cela représenterait. Elle se cache dans l’angle mort de l’entrée et attend, puisant dans ses émotions à fleur de peau.

Sur sa langue, elle savoure le goût imaginaire de la mort de sa future victime. Celle-ci escompte sûrement la trouver recroquevillée, à implorer que tout s’arrête. Pas de chance pour ces connards. Elle serre et desserre ses poings, muselant son impatience.

Des minutes interminables s’écoulent. Le bruit caractéristique d’une clef tournée à l’intérieur d’une serrure retentit aux oreilles de Béatrice. Enfin. Sa proie s’engage dans l’observatoire. Le soldat s’immobilise en ne la voyant pas. Avant qu’il ne puisse se retourner, elle bondit sur lui et utilise les menottes pour l’étrangler.

L’homme se débat, tente de la percuter contre un mur. Il réussit à la déloger, attrape son Sig-Sauer. Dans tes rêves ! D’un coup de pied, Béatrice le désarme. L’arme de poing glisse sur le béton. Elle adopte une posture de combat et attaque la première. D’un enchaînement rodé, elle frappe son adversaire au visage et au plexus.

Ce dernier s’effondre, le sang coule à flots de son nez et sa bouche. Béatrice sifflote et ramasse l’arme de service, dont elle ôte le cran de sécurité du marteau. Le canon pointé sur son adversaire, elle vole son trousseau de clefs et l’interroge :

« Où sont Aro et Marcus ? »

Il tousse, agite sa tête.

« Oh ? Je vais m’éclater. »

Un rictus déforme les traits de Béatrice, qui écrase la main du soldat sous sa botte. Ce dernier hurle, tente de se soustraire à sa tortionnaire.

« Où ? »

Il cligne des yeux, le regard voilé.

« Cave 51, chuchote-t-il.

— Bien. Nel sangue, viviamo. »

Elle l’abat d’une balle en pleine tête.

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