Chapitre 7

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Les néons dessinent un jeu d’ombres et de lumière sur la fourrure du Chien. Tandis que Béatrice s'en approche, la cage lui paraît encore plus petite. Du revers de la main, elle frotte le sang qui craquèle sur sa peau. Elle étudie le berger allemand puis l’entrée empruntée par la thaleb et le trinôme.

« Tu devrais partir.

— Tiens, tu ne souhaites plus m’aider ? »

Le regard du Chien l’interpelle.

« Mon enfant, je ne suis plus d’humeur.

— Je vois ça. »

Elle s’accroupit à côté de lui et effleure les barreaux. Les symboles pulsent sous ses doigts.

« J’aurai cru qu’entre fidèles d’Ahmès vous vous adoriez. Tu as vraiment essayé de sauver ces gens ? Tu souhaites mon aide, mais de ce que j’en comprends tu as trahi l’Élu. Rien ne me garantit que tu n’en feras pas de même à mon égard.

— Peu importe ce que je te dirais, tu ne me croiras pas.

— Tente ta chance. »

Le Chien redresse sa tête vers elle. Un bref instant, il lui semble que ses yeux s’écarquillent.

« Alors ?

— Je ne mentais pas à Ânkhti. Ahmès porte ma marque par respect envers mon créateur Oupouaout. Mais… je ne continuerai pas. Au début du Jeu… Ahmès n’était pas autant obsédé par ses expériences. Que compte-t-il accomplir ? Je n’en suis pas certain. Par contre, sa violence et sa cruauté envers les créations des dieux, je ne la connais que trop bien ! Mon enfant, arrêtons-le ensemble ! J'ai aussi peur pour mon épouse... Il se vengera sur elle quand il comprendra qu’aucune humiliation ou douleur physique ne me forcera à lui obéir.

— Ta femme ? Et on s'y prendrait comment ? La Faucheuse m’a refilé contre mon gré le titre de Protectrice. Comparée à la Protectrice de Tijuana, je ne possède aucun pouvoir.

— Estéfania ? Ahmès garde un œil sur la situation globale du Jeu, s'explique-t-il très vite face au regard noir de Béatrice. Le dernier Élu en lice a beaucoup à gagner. Ne me dis pas que... as-tu déjà joué ? »

Béatrice inspire lentement. Un bref instant, ce n'est plus le Chien derrière des barreaux mais elle. Un frisson cavale le long de son dos poisseux. Elle était une simple combattante, au même titre qu’Aro et Marcus – même s’ils lui serviront de conseillers et seconds. Pourtant, l'horreur de la partie mexicaine ne la quitte pas, qu'elle soit endormie ou éveillée.

Le visage mutin d'Esmeralda danse devant ses yeux embrumés. Arrêtée pour vols, elle s'était emparée de son cœur entre les murs du centre pénitentiaire. Elle a été tuée par une autre prisonnière, forcée à se battre à mort par les lamies. Au moins, elle n'a pas été une porteuse.

Les corps contorsionnés des malheureuses élues reviennent à son esprit. Les lamies s'amusaient à pondre en elles, puis elles attendaient que leurs progénitures se frayent un chemin hors de leurs victimes.

« Quand Estéfania a vaincu Coatlicue... Je croyais le Jeu derrière moi. Mais la Faucheuse n'accepte pas "non" comme réponse. »

Elle se tait sous le regard chaleureux du Chien.

« Personne ne comprend pourquoi tu n'as pas intégré tout de suite la partie de Perpignan. Des rumeurs courent sur ton incapacité à gagner. En te voyant, je suis heureux de ne pas y avoir cru. Rien que ton odeur renforce ma décision de tout risquer pour m’allier à toi.

— Le bouquet sueur-terre-sang te plaît à ce point ? rit-elle, nerveuse.

— Non, mon enfant. Fleur d’oranger et d’autres agrumes. Au-delà de ce parfum, je sens ton aura. Tu es puissante. Beaucoup plus que tes prédécesseurs. Quelque chose sommeille en toi et je serai chanceux de le voir s’éveiller. Ce qui expliquerait pourquoi S’kyark te force à jouer une seconde fois. Cela ne s’est jamais produit, du moins pas à ma connaissance. J’en suis désolé. »

Béatrice se redresse. D'un coup, l'uniforme noire de Petite cheffe semble rétrécir. Elle l'ôte en urgence pour ses propres vêtements qu'elle récupère. Équipée de deux Sig-Sauer, d'une paire de menottes et d'une radio, elle se sent un peu mieux.

« Comment vaincre un demi-dieu ? questionne-t-elle autant le Chien qu'elle-même. Je suis humaine, dépourvue de pouvoirs. M'allier à toi ? Pour que tu me trahisses à la moindre chance ?

— Au fond de toi, tu as pris ta décision. Sinon, tu ne me parlerais plus. »

Béatrice l'étudie longuement, de ses yeux effroyablement humains à sa voix doucereuse. Dans d'autres circonstances, ils auraient pu être amis. Réveille-toi, ma vieille, c'est un saeat !

Le Chien la prend de court :

« Lie-toi à moi. Ahmès ne portera plus ma marque et tous les saeat le sauront. Certains rallieront alors ta cause ! Comme ma femme, la Chatte ! On quitte ces maudites caves et on sauve tes pères. Puis nous rejoindrons la Résistance. »

C'est ça ! Béatrice lève les yeux au ciel : personne n'a empêché l'enlèvement de ses pères. Depuis son arrivée, elle ne croise que des collaborateurs ou des esclaves.

« Crois-tu vraiment les habitants si peu combatifs ? remarque le Chien. Avec leur soutien et mes connaissances, nous élaborerons un plan d’attaque.

— Porter ta marque, me lier à toi, tout ce bordel… ça implique quoi, réellement ?

— Je t’obéirai et combattrai à tes côtés, quoi qu’il arrive. Je suis un excellent traqueur. J’amplifie aussi les auras de ceux qui m’entourent. Quand S’kyark t’accordera des capacités, elles seront décuplées en ma présence. Tu en auras le moment venu.

— Qui que soit ce S’kyark, je ne sacrifierai jamais l’un des miens. La Faucheuse a tenté, crache-t-elle, amère.

— Le prénom de la Faucheuse est S’kyark, l’informe le Chien. En tant que juge du Jeu, iel peut t’accorder des pouvoirs incommensurables. Nous négocierons pour protéger tes pères.

— Cela ne sert à rien, saeat. La Faucheuse… »

Béatrice agite sa tête.

« La Faucheuse a été plus que clair sur le prix à payer. Je refuse de céder comme Estéfania, qui a vendu sa sœur pour un pouvoir d’intangibilité. »

Une fois, Estéfania lui avait expliqué comment fonctionnait sa capacité. Elle transformait les molécules de son corps et traversait alors n'importe quelle matière solide inerte. Malgré l'avantage tactique de ce pouvoir, Béatrice ne comprendra jamais le choix de sa défunte amie. Le Chien poursuit, insensible à sa colère soudaine.

« Je réfléchirai à quelqu’un d’autre après avoir tenté une négociation, consent le Chien. Peu d’entités sont assez folles pour contrarier S’kyark en dehors de Harenae, le Sablier. En attendant, je possède une force phénoménale. Qu’en dis-tu ? Donne-moi un prénom et nous serons liés. Je combattrai à tes côtés pour ta cause. »

Je pourrai le laisser là, sauver Aro et Marcus. Mais si le Serpent prépare une embuscade... Quel est l'adage déjà ? Combattre le feu par le feu ? Elle rit jaune face à cette situation. La veille, son frère et elle savouraient une pâtisserie. Aujourd’hui, elle songe à s'allier avec un chien parlant pour sauver leurs pères.

À peine approche-t-elle ses doigts du verrou qu’un bruit atroce retentit. Béatrice arme l’un des Sig-Sauer et pointe le canon en direction du monte-charge. Les gazés tombent du plateau bloqué à mi-hauteur. Ils s’écrasent les uns sur les autres, puis rampent vers Béatrice et le Chien.

« Ils n’auraient pas dû se réveiller !

— Un conseil pour les maîtriser ?

— Une balle dans la tête ou en plein cœur. Ce ne sont plus des humains, mais des Changés ratés !

— Pour la énième fois de la journée : c’est quoi un putain de Changé ! »

Béatrice vise une femme à la longue chevelure d’or, aux yeux révulsés et aux lèvres ensanglantées. Elle s’effondre, un trou fumant entre ses deux yeux. Un filet de sang s’en échappe et attire un homme. Il se saisit du cadavre chaud et croque son nez. Les bruits de mastications répugnent Béatrice. Son haut-le-cœur maîtrisé, elle tue le fin gourmet.

Une fillette s’échappe de la masse informe de bras et de jambes. Des sillons rougeâtres creusent ses joues pleines. Le bas de sa robe est déchiré et le col en dentelle entaché. Elle marche vers eux, ses grands yeux gris pales vides mais luisants sous l’effet des néons. Ses petites mains s’ouvrent et se ferment sur l’air sec de la pièce.

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