Chapitre 9

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Aro se réveille, les mains attachées dans le dos. Un élancement bat à l’arrière de son crâne, où quelqu’un l’a assommé. La pénombre teint de gris l’ancienne chambre. Il observe le lit de bébé cassé, le petit tipi à la toile déchirée et l’immense tache noire qui imbibe le tapis. Un éclat attire son œil sous la table à langer, à deux pas de lui, sans qu’il ne puisse identifier l’objet.

À sa gauche, Marcus reprend connaissance, plaqué contre le mur. Un gargouillis s’élève, suivi d’un grondement. Un hématome à sa mâchoire ou à sa gorge semble l’empêcher d’articuler. Le visage tuméfié et coupé à plusieurs endroits, la cicatrice de ses lèvres disparaît sous l’excès de sang poisseux.

Impuissant et désemparé, Aro s’efforce au calme. Dès que possible il les mettra en sécurité et le soignera. Le cœur apaisé par cet espoir, il étudie le nœud de la corde rêche qui s’enfonce dans ses poignets. Trop serré, seul un couteau le délivrerait.

Aro repère le nouveau binôme en charge de les surveiller, à l’entrée de la chambre. La relève a eu lieu une trentaine de minutes plus tôt. En ce court laps de temps, l’un des soldats démontre une agitation et une nervosité croissantes. Quel que soit son poison, les signes de manque se manifestent les uns après les autres. Tel un chien enragé, son agressivité s’écoule de tous ses pores.

« On devrait chasser cette salope, pas surveiller ces pédales !

— Perrez, les ordres sont les ordres. Qu’est-ce qui t’arrive ? On dirait un addict qui n’a pas snifé sa farine depuis un bail…

— Ce qui m’arrive ? On est mis au second plan ! En chopant l’autre salope, on pourrait gagner gros. T’imagine, un peu ? Même un trouffion comme toi aurait droit à un passe et aller en ville quand tu veux !

— Rêve toujours, mon vieux. Tu salives. Sérieux, t’as pris quoi ? »

Perrez essuie sa bouche frénétiquement, les sourcils froncés. Il s’agite, fait les cents pas et soupire à tour de bras.

« Faure, t’as une clope ?

— Ouais, Catherine en a chopé auprès de la vieille Sonia. »

Perrez arrache presque le paquet de cigarettes des mains de Faure.

« Bordel ! Calme-toi. Je ne sais pas ce qui t’arrive, mais tu commences à me faire flipper… Tu t’es encore disputé avec Tamara ?

— Parle pas d’elle !

— Quoi, c’est pour ça que t’es aussi tendu ? Elle t’a encore foutu à la porte ? Vieux, si t’as besoin…

— Parle pas d’elle ! »

La tension alourdit l’air, le rendant presque irrespirable.

Aro profite de leur inattention. Il se contorsionne, la respiration sifflante sous l’élancement de son crâne et la brûlure diffuse dans son torse. Du bout des doigts, il tâtonne au niveau de sa cheville puis le talon de sa ranger, qu’il pousse pour en récupérer une lame cachée.

Bang !

Il se redresse, le regard fixé sur les soldats.

Perrez se tient accroupi, le ventre transperçait. Une fumée à l’odeur de brûlé s’échappe du trou béant. La balle tombe sur le parquet et roule. Perrez saute à la gorge de son binôme. Ils se battent à mains nues avec haine. Un ricanement échappe à Marcus, qui se tait dans la foulée. Aro s’empresse de scier ses liens, craignant que son mari attire l’attention du collaborateur enragé.

Enfin, la corde cède.

Faure hurle. Perrez se tient à califourchon sur lui, le frappe en continue. Des morceaux et un liquide à la couleur atténuée par l’obscurité accrochent les phalanges écorchées à vifs. Il plonge sa main dans la cage thoracique de Faure, dont il arrache le cœur. Aro voit ce spectacle sans le comprendre, médusé. D’où provient cette force ?

D’un murmure, Aro prévient Marcus avant de le toucher, préférant éviter un malheureux réflexe. Il parvient à le libérer de ses entraves et se décide à s’armer. Il roule sur le côté et étire son bras sous la table à langer.

Sa main se referme sur le manche d’une machette. Mal équilibrée, elle fera l’affaire. Au vu des traces de combats constatés plus tôt, son précédent propriétaire a dû la perdre et en payer le prix de sa liberté ou vie. Pourvu que je ne connaisse aucune de ces fins.

Tout en cachant la longue lame, le silence soudain le saisit aux tripes. Par-dessus son épaule, Aro regarde discrètement au niveau de la porte. L’éclairage du couloir enveloppe Perrez d’un jaune terne. Il fixe Marcus de ces yeux écarquillés, injectés d’un liquide bleu-argenté. Son visage, son torse et sa main en sont imbibés. Un rire sec secoue l’homme enragé.

« Oh, notre petite pédale s’est libérée ? Moi qui croyais que les détraqués de ton genre adoraient ça ! Tu me déçois. »

Marcus ! Aro observe son époux qui offre un sourire rougi à leur geôlier.

« Je n’ai pas assez joué avec toi ? »

Il enjambe le cadavre de son collègue, dont la tête a été réduite en bouillie.

« Peut-être que tu comprendras mieux ta place quand j’en aurai fini avec ta blondinette ? »

Marcus gronde, tente de se redresser. Aro ferme les yeux, se concentre sur son ouïe. La démarche lourde, Perrez s’approche de lui en premier comme promis. Maintenant. Aro enfonce la moitié de la machette dans la jonction du coup et de l’épaule du collaborateur. Il la retire d’un mouvement sec et se lève d’un bond.

Perrez tente de l’attraper, son bras gauche pendant le long de son buste. Une fumée s’échappe de la plaie profonde. Il se régénère. Acculé au fond de la chambre, Aro avise Marcus. Un mètre les sépare, une distance trop courte et trop proche à la fois pour la sécurité de ce dernier.

« Tu branles quoi, pédé !

— En règle générale ? Mon mari et moi-même. »

Perrez fonce sur lui. Aro profite de son empressement. D’un enchaînement rôdé, il sectionne grossièrement plusieurs nerfs, imprécis et gêné à cause de l’envergure de son arme. Temporairement incapacité, Perrez s’effondre en plein milieu de la chambre. Aro coince la machette dans sa ceinture et récupère son mari. Il les rapproche du cadavre de Faure et, par la même occasion, de la sortie.

« J’vais te buter ! »

Marcus ricane contre Aro d’un son étranglé et saccadé.

« Fils de pute ! »

Perrez hurle, le corps fumant de toutes parts. Ses blessures se régénèrent plus lentement qu’auparavant, toujours visibles sous les vêtements déchirés. Avant qu’il ne se redresse, Aro l’égorge. Le sang jaillit, éclabousse les combattants, les murs et le sol. Pourtant, Perrez ne meurt pas. Il hurle, dents en avant. Ou plutôt : crocs en avant.

« Un vampire ?

— Décapite-le et arrache son cœur ! hurle Béatrice. »

Aro ne se retourne pas de crainte que son adversaire n’en profite. Le cœur gonflé d’allégresse d’être à nouveau réuni avec sa fille, il s’exécute. Les yeux de Perrez s’agitent dans leur orbite. La machette siffle dans les airs et s’abat de travers. La tête roule puis s’arrête aux pieds du tipi.

« N’oubliez pas le cœur, lui rappelle une voix masculine. Mon enfant, je te propose de nous cacher auprès d’une résistante. Elle soignera aussi ton père. »

Du coin de l’œil, Aro étudie l’homme qui aide sa fille à sortir Marcus de la chambre.

« Nel sangue, viviamo. »

Sur cette devise, Aro arrache le cœur de Perrez. Il rejoint alors les siens. Béatrice lui saute dessus, l’enlaçant de toutes ses forces. Il rit, embrasse son crâne où l’odeur de poussière camoufle presque le parfum de fleur d’oranger.

« Nous devrions nous dépêcher, intervient l’inconnu.

— Je te présente Aedan le Chien, lui chuchote Béatrice en italien.

— Un saeat ? Comment ? »

Aro la délaisse pour soutenir Marcus.

« Je vous raconte tout dès que nous sommes en sécurité. Promis. »

Béatrice épaule Marcus à son tour, bien que plus petite qu’eux. Ils quittent l’appartement en faveur de la cage d’escalier. Le Chien ouvre la voie et monte à l’étage supérieur. Il hume l’air et les précède dans le logis de droite.

« Candice ? C’est le Chien. Enfin, Aedan maintenant ! »

La joie transpire par tous les pores du saeat.

« Approche, mon amie. Je t’amène une grande surprise ! J’ai beaucoup de choses à te raconter aussi. »

Il chuchote à leur adresse :

« Candice Tran est la résistante dont je te parlais. Elle nous guidera en lieu sûr et s’occupera de tes pères. Vous avez une mine terrible !

— Merci, répond Aro en réajustant le poids de son époux. Comme vos vêtements, je n’en doute pas. »

Le Chien resserre les manches de la veste qui couvre sa vertu.

« Exactement. Candice ?

— T’es sûr qu’elle est là ? Ou en vie ? le presse Béatrice. »

Des boucles barrent son visage, sans parvenir à camoufler la méfiance de son regard.

« Tu ne peux pas nous amener à l’une des planques de la Résistance toi-même ?

— Depuis mon emprisonnement, elles ont dû changer.

— Saeat ? »

Sous le plafonnier, les yeux gris clair de la résistante pétillent tels des joyaux. Ils complètent le visage en forme de cœur et rehaussent la peau ébène. Béatrice racle sa gorge avant de se présenter. Aro retient un sourire taquin.

« Enchantée, Candice. »

L’accent de Béatrice ne lui a jamais paru aussi épais.

« Enchanté aussi, intervient Aro. Si cela convient à tout le monde, mettons-nous à l’abri. »

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