Chapitre 17

7 minutes de lecture

Aro leur signe de rester en arrière, tandis qu’il observe la situation à travers le judas. Sa main se crispe sur son Glock. D’autres coups de feu retentissent, accompagnés de cris et de complaintes.

« Des collaborateurs. Ils sont trop nombreux, nous devons évacuer. »

D’un même mouvement, leur groupe se dirige vers les chambres et s’y séparent. Béatrice épaule son sac principal, préparé pour ce genre de situation par habitude. De l’autre côté du mur, elle entend Aro et Marcus s’affairer.

« Mon enfant, je ne les sens pas, s’inquiète Aedan qui hume l’air frénétiquement. Quelque chose cloche !

— On se barre et on avise après, ok ? »

Elle le gratte entre ses oreilles, puis ouvre en grand la porte-fenêtre donnant sur la terrasse.

« Je ne suis pas sûre de pouvoir descendre en rappel avec toi sur mon dos par contre…

— Je sauterai.

— T’es malade ! »

Elle se penche par-dessus la balustrade, étudie leur environnement : pas d’ennemis à l’horizon, la voie semble libre. Aro et Marcus sortent à leur tour. Tous les trois jettent leur sac en bas de l’immeuble, puis commencent à s’équiper.

« À vue de nez, on est à cinq, six mètres du sol ! siffle Béatrice, en manipulant son harnais.

— Je suis un saeat, mon enfant. »

Sur ce rappel, Aedan recule, prend de l’élan et saute par-dessus le garde-corps. Sain et sauf, l’acrobate les attend en bas, sa queue battant l’air de joie.

« Le petit con… »

Après avoir vérifié leurs attaches mutuellement, Béatrice et ses pères entament leur descente. Des bruits de lutte éclatent ci et là dans l’immeuble. Une chaise passe par une fenêtre et s’écrase au sol, accompagné par les débris de verre. Sans se concerter, le trio accélère sa procession. Un aboiement soudain les immobilise.

« Aedan ! »

Une dizaine de babouin à manteau l’encercle. Ils adoptent une posture agressive et jappent. Ses pieds stabilisés sur la façade de l’immeuble et sa main gauche cramponnée au cordage, Marcus tire le premier. Un des babouins s’effondre au sol, inerte.

Les animaux anthropomorphes frappent le sol, des cris puissants s’échappent de leur gueule ouverte sur des crocs féroces aux canines proéminentes. Des femelles grimpent en leur direction. Marcus en abat deux, imité par Aro et Béatrice qui en tuent autant. Les mâles, aux poils plus longs et clairs que leurs comparses, sautent sur Aedan.

Le Chien les déloge en une ruade violente. Il en croque un au bras puis le projette dans les airs. Des estafilades parsèment la fourrure dense du berger allemand qui se rue sur ses adversaires.

En hauteur, Aro, Béatrice et Marcus continuent à tuer les babouins venant à leur rencontre. Une fois sûrs qu’aucun d’eux ne leur sautera à la gorge, ils posent pieds à terre et se déséquipent. Ils se frayent un chemin à coups de feu vers le Chien.

Aedan se positionne prestement à la gauche de Béatrice, grondant et claquant des mâchoires. Les babouins s’écrient, frappent le sol, enivrés par la colère. Un jappement couvre leur cacophonie et y met fin.

Un male plus grand que le reste de son groupe sort d’un bosquet. Son visage cynocéphale porte des traces profondes de griffures cicatrisées. Ses yeux marrons ennuyés se posent sur Aedan puis sur les armes de Béatrice et ses pères.

« Quelle délicieuse trouvaille, ricane le Singe avant de s’accroupir. Un traître et ses nouveaux maîtres.

— Qu’as-tu fait ? Toi et les tiens n’avaient plus d’odeur !

— Un simple tour de passe-passe de notre amie Helena. Maintenant que ta curiosité est assouvie, remets-nous la Protectrice.

— Et en quel honneur on ferait ça ? gronde Béatrice, son canon pointé sur le Singe. Pars avec tes survivants et fiches-nous la paix ! »

Le Singe, adroit et rapide, bondit et se saisit de l'arme de Béatrice, qui le manque de peu, et l’entraîne au sol. Ils roulent un temps, s’échangeant des coups vicieux au visage et à la poitrine. Le Chien joint leur mêlée, plonge ses crocs dans le pelage crémeux de leur ennemi qui s’éloigne.

Une corne de brume brise le capharnaüm de leur lutte. Béatrice n’en fait pas cas : elle vise le Singe et appuie sur la gâchette. Une tache rouge-noirâtre s’étale sur les longs poils presque blancs. Puis, l’impensable se produit : la balle ressort du trou béant et se referme. Le Singe émet une série de jappements.

Les babouins forment un cercle autour d’eux. Leur pelage reflue, leurs membres se distendent. Ils se métamorphosent en statues de pierre géante, figées dans leur accolade. Merde ! Piégée à l’intérieur, Béatrice tente de voir ses pères.

« Aro ! Marcus ! »

Le Chien clopine vers elle.

« Aedan, qu’as-tu ? »

Le souffle élaboré du Chien l’inquiète autant que leur séparation forcée d’Aro et Marcus.

« Oh, Helena c’est vraiment surpassé ! » jubile le Singe en leur souriant.

Ses dents sont devenues noires, un liquide pourri en suinte. Note à moi-même : éliminer ces putain d’Hoffman à vue ! Elle devine facilement l’un des siens mourir à cause d’Helena ou de Myung-Dae. Sa poigne se raffermit sur son Beretta.

Ses idées d’attaques s’enchaînent, cependant elle sait qu’aucune ne réussira. Le Singe est immunisé à ses balles et sa morsure altérée par une expérience inconnue. De l’autre côté des statues babouins, elle entend Aro et Marcus se battre. Mais contre quoi ?

« Rends-toi, Protectrice. Et peut-être que j’arrêterai les Changés.

— J’ai amplement confiance en mes pères pour les éliminer.

— Pas ceux-là, l’informe le Singe. Helena et son équipe ont fait de la merde dans les dosages.

— Des Rejets, couine Aedan, les yeux clos et le museau bas. Ils ressemblent à des zombies, encore plus agressifs que ceux dans la cave. »

Un frisson secoue Béatrice au souvenir des enfants.

« Rien qu’une balle n’arrêtera, s’entête-t-elle.

— Si tu le dis. »

Un hurlement rauque ponctue sa phrase. Marcus ! reconnaît-elle.

« Fils de pute ! »

Elle lui tire dessus, projetant de transformer son crâne et sa cervelle en bouilli. Au septième coup, elle cesse pour étudier son œuvre. Le Singe est à genoux, sa nuque dépourvue de sa tête. Pourtant, il se redresse. Une fumée émane de la chaire sanguinolente. Des ruisseaux rougeâtres s’en élèvent, accompagnés de graisse, d’os et de dents.

Le Singe lui sourit, intact, puis se jette sur elle.

« Non ! »

Aedan s’interpose, en vain. Le Singe le mord à la gorge et le jette contre l’une des statues qui s’ébranle sous l’impact. Le pelage écarlate, les yeux révulsés, le babouin géant frappe son torse et le sol ponctuant chaque coup d’un cri strident.

Béatrice y coupe court, l’une de ses balles emporte la mâchoire inférieure du Singe. Une seconde un bout d’épaule et une troisième un genou. Elle l’observe se régénérer tout en accourant vers Aedan. Ce dernier est inconscient, le corps parcouru de tremblements intenses.

« Aedan, réveille-toi mon vieux ! »

Elle le secoue, le cœur serré.

« Protectrice, l’appelle dans un gloussement le Singe. Cessons donc de tourner en rond !

— Va te faire foutre ! »

Elle perfore son estomac et recompte rapidement ses munitions. Plus que quatre, merde !

« Repose donc ce jouet inutile et suis-moi !

— Dans tes rêves, connard !

— Béa… »

Béatrice se retourne vers Aedan et grimace. Les blessures de ce dernier suintent un mélange de pue et de sang. Il tente de lever son museau vers elle, mais s’immobilise dans un gémissement peiné.

« Ça va le faire, souffle-t-elle. À n’importe quel moment, Boucles de Sang va me refiler une arme, non ? »

Aedan couine et referme ses yeux.

« Boucles de Sang ? »

Béatrice sursaute et tire sur le Singe qui se tenait presque collé à elle. Son estomac se retourne en réalisant qu’il n’émet aucune chaleur ou odeur. Le Singe se recule et observe sa hanche se reconstituer.

« Tu as parlé avec Boucles de Sang… »

Sur ce chuchotis, il effleure l’une des griffures le défigurant.

« Un cadeau de sa part ? devine Béatrice. Putain, j’l’aime de plus en plus ce renard ! »

Le Singe jappe et la plaque au sol. Ses mains s’enroulent autour de sa gorge gracile et serrent.

« Tu es amie avec lui ! Boucles de Sang ! Boucles de Sang ! Boucles de Sang ! »

Béatrice se débat, le frappe avec son Beretta et égratigne son museau, apposant sa marque à côté du maître de Dùuzal. Elle cherche à déloger le Singe de son torse en s’arquant ou en roulant sur le côté. Cependant, le Singe la garde sous lui, ses jambes devenant de la roche lourde. Aedan se redresse sur ses pattes, tente de le pousser aussi sans y parvenir. Trop faible, il s’effondre au sol.

Merde ! Merde ! Merde ! La vision trouble, Béatrice réfléchit à une échappatoire. Elle prie Dieu que Boucles de Sang les ait entendus. Ses oreilles bourdonnent. Une panique monstrueuse empoigne ses boyaux. Une odeur de fleur d’oranger brûle ses narines, agaçante et insupportable. Tout tourne autour d’elle jusqu’à exploser.

L’obscurité la dévore.

Quand elle la recrache, Béatrice n’est plus étranglée par le Singe. Libérée de ces peines, elle se découvre le corps plus léger, allongée sur un lit de mousse tiédi par un ciel ensoleillé. Un air frais porte les embruns d’une mer lointaine. Le chant d’oiseaux gonfle son cœur d’allégresse.

« Putain… »

Elle ne se trouve plus dans le cercle de pierre des babouins. Le paysage inconnu l’éblouit. Béatrice se redresse, désorienté, et étudie un ciel d’été sans fin. Les ruines d’un temple l’attirent par leur familiarité. À proximité d’une colonne écroulée, à la peinture effacée par les intempéries et le temps, un immense arbre au tronc large abrite deux formes floues.

Un homme et une femme ? devine-t-elle en plissant ses yeux. Plus important…

« Où suis-je ? Aro ! Marcus ! Aedan ? » les appelle-t-elle, l’angoisse tordant ses entrailles.

Une branche craque derrière elle, faisant volte-face elle découvre une télévision allumée.

« Oh mon Dieu… »

Elle y voit ses pères affronter une horde de Changés – semblables à ceux qu’elle a affronté dans les caves. Elle manque de vomir au souvenir des enfants. L’image change, devenant un écran de neige quelques secondes. Aedan tente de retenir le Singe qui la traîne, inerte, derrière lui.

« Je suis morte ? »

Béatrice effleure sa gorge, tremblante.

« Non, Protectrice. Juste inconsciente. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Komakai ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0