Chapitre 4

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  On est restés tous les trois dans la cave. Il reste une crêpe que personne n’ose finir. Demain, on n’ira pas au lycée. Peut-être qu’il n’y aura pas de demain.

— Il se passe quoi, au juste ?

Clément ne répond pas. Il a les sourcils froncés en permanence, ce n’est pas dans ses habitudes. Il a mis le doigt sur quelque chose, mais il ne veut pas en parler. Laissez passer la professionnelle… je vais lui tirer les vers du nez.

— T’as un truc à dire ? Parle.

Clément me regarde et secoue la tête. Un peu comme si en fait, non, il n’avait pas encore trouvé ce qu’il avait à dire. Il cherche.

— Il y a quelque chose qui te dérange, dis-je. Quelque chose qui ne colle pas ? Je ne peux pas t’aider si tu ne me dis rien.

Le scientifique écoute d’une oreille distraite. Il réfléchit, lui aussi, mais on dirait qu’il essaie plutôt de nous trouver la solution du moindre mal. Ça ne m’intéresse pas. Clément, lui, doit tenir le bon bout. C’est lui qui va sauver le monde, non ? Il est l’Omniscient. Peut-être même existe-t-il pour cela.

— C’est cette histoire de cellules imbriquées, murmure-t-il. Il y a une question que je ne m’étais jamais posée. Et maintenant que j’y pense, ce n’est pas logique. C’est même carrément impossible.

Les cellules ? Celles d’en dessous ou celles d’au-dessus ? Celles d’en dessous, on sait ce qu’elles sont, ce sont les nôtres, et nos médecins les connaissent et sont même capables de les différencier. Celles d’au-dessus… elles appartiennent bien à quelque chose. Un corps. Celui d’un homme ou d’un animal ?

— Clément, on vit dans le corps de qui ?

Il sursaute et me regarde du coin de l’œil. Puis fixe le sol. Oh, j’ai tapé dans le mille. Mais je connais bien cette réaction. Il ne va rien me dire. Tant qu’il n’aura pas élucidé ce mystère, il ne m’apportera aucune réponse. Il faut toujours qu’il se débrouille tout seul… ça m’agace.

Matthias a le regard dans le vague. Cette discussion lui fait penser à d’autres choses, il n’est même plus avec nous. Peut-être qu’il repense à sa vie d’hier. À son quotidien dans son atelier aussi mal éclairé que cette cave, à travailler sur des découvertes qui n’auront jamais fait parler de lui, à n’obtenir aucune reconnaissance de ses semblables, à n’avoir aucun ami, à être seul au monde. A n’être que lui, tout autant que tous ces clones de lui qui peuplent les univers. Cela me fait penser à un truc idiot. Et puis, plus j’y pense, plus je me dis : c’est du génie. Nom d’un chien, pourquoi ça ne m’est pas venu plus tôt ?

— Matthias, tu vivais où, dans ton monde ?

— À Giapès, pourquoi ?

Bon, c’est pas terrien, ça. Il nous faut une carte. Clément m’observe soudain, et je suis à peu près certaine que ses yeux montrent un infime étonnement de l’idée que j’ai eue. Il sourit brièvement et nous fait signe de le suivre. Une Léa, parvenir à surprendre un Clément ? Ça tient du miracle ! Je parie que mes chers clones n’y sont pas encore arrivés. Ils n’ont qu’à bosser dur pour espérer arriver à ma hauteur.

Je chipe la dernière crêpe. Elle est froide, mais c’est pas grave. Je la mérite.

Dans l’appartement sens dessus dessous, Clément fouille et finit par trouver une carte de France. En toute logique, Matthias devrait habiter dans le pays. Sinon, on est vraiment dans la mouise.

— La forme de vos continents est fascinante, s’émerveille le scientifique. Où sont vos frontières, exactement ?

Clément les lui montre. Matthias a l’air intéressé, mais désorienté. Comment peut-il retrouver sa ville si elle n’a ni le même nom, ni le même relief ? Je suis nulle en géographie, je ne vais pas le nier. Mais je suis quand même suffisamment intelligente pour savoir qu’il est impossible de…

— Je dois habiter par ici, dit Matthias.

— Votre clone, corrige Clément.

— Oui, mon clone. Vois-tu, si je superpose dans ma tête la forme de ma France avec celle de la tienne… et compte-tenu de mes goûts en matière de paysage et de proximité avec les grandes métropoles… je pense qu’ici serait l’endroit que j’aurais choisi, probablement.

— Probablement ? m’exclamé-je. Mais il faut être sûr ! Qu’est-ce qu’on fait si en arrivant là-bas, vous ne le trouvez pas ?

Clément me regarde avec désapprobation. Mince, j’ai gâché l’effet « génie » avec un caprice. Je soupire et me tais.

— Ça tient debout, dit Clément. Je sais que d’autres Matthias vivent vers Chinon. J’espère que le nôtre aussi. En route.

— Comment ça, en route ? dis-je.

— Eh bien, toi, moi et Matthias, on va rencontrer son clone.

Un instant, mon indexe reste bloqué dans les airs, nous désignant tour à tour. Tous les trois ? Il n’est pas sérieux. Je pensais que Matthias partirait, et qu’on pourrait… je ne sais pas, se cacher au fin fond de la Terre pour survivre à l’apocalypse ?

— Tu es sûre de vouloir rester ici ? insiste Clément. Toute seule ?

Voyant que je ne réponds pas, il sourit encore. Ça l’amuse. Comment ose-t-il, dans un moment pareil ? Je le déteste.

— Pfff…

Je sors de l’appartement derrière eux. Le temps presse.

Est-ce que Matthias va sauver le monde grâce aux outils que son clone de la planète Terre a confectionnés ces dernières années ? Sans doute pas, non. Mais je compte bien passer le peu de temps qu’il me reste aux côtés de Clément. Parce qu’il est mon ami, et parce que… c’est tout. Je ne vais quand même pas me justifier pour ça ! Tais-toi, Léa. Arrête de penser.

Chut, vraiment.

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