Le Village Oublié
Personne ne parlait vraiment de N’Djolo au-delà des collines rouges. Le village ne figurait sur aucune carte, et même les marchands n’y passaient plus depuis longtemps. C’était un de ces lieux qui semblent s’éloigner du monde à mesure que celui-ci avance.
Entouré d’une forêt dense et d’un sol sec craquelé, N’Djolo vivait au rythme des saisons, des récoltes maigres et des croyances profondes. Les cases en terre cuite s’alignaient sans ordre, protégées par des toits de paille mal entretenus. Le marché s’animait un jour par semaine, sans grand enthousiasme, où l’on échangeait des tubercules contre un peu de sel ou une poignée de mil.
Les anciens régnaient encore ici. Leur parole pesait plus lourd que celle des chefs. Ils connaissaient les noms des arbres, les sorts pour faire pleuvoir, et les malédictions qui frappent les ingrats. Mais même eux semblaient avoir renoncé à espérer pour N’Djolo. Le village était oublié — par les esprits, par les hommes, et peut-être même par le ciel.
Parmi ses habitants, la famille d’Akil se trouvait tout en bas de l’échelle invisible qui régissait les choses. Son père, Koto, était un homme discret et brisé par le travail. Sa mère, N’Gama, douce et silencieuse, portait sur son dos une fatigue qui ne venait pas seulement des champs. Ils avaient trois enfants. Akil, l’aîné, venait de fêter ses quatorze ans.
Les autres familles les appelaient les Négligés. Pas de terre à leur nom, pas d’oncle puissant pour les défendre, pas de lien avec les prêtres du village. Même les enfants évitaient de jouer avec Akil. Ils le regardaient avec cette pitié cruelle qu’on réserve aux chiots affamés.
Mais malgré tout, dans cette maison de fortune, il y avait de l’amour. Ce genre d’amour silencieux qui se prouve par des gestes : un bol de bouillie laissé de côté, un morceau de natte partagé, un regard échangé quand les autres détournent les yeux.
Ce matin-là, Akil s’était levé avant le chant du coq. Il avait pris la houe sans rien dire et s’était dirigé vers les terres du bas, là où personne ne voulait aller. Une zone abandonnée, infestée d’herbes hautes et de pierres. Mais son père lui avait confié cette mission, allé désherber une parcelle éloignée, au pied des collines avec un regard lourd de confiance. Il y allait souvent seul.
Les autres garçons de son âge évitaient cette zone, prétendant qu’elle était maudite depuis que le vieux chasseur Yembé y avait été retrouvé sans vie, les yeux ouverts vers le ciel.
Akil n’était pas du genre à croire à ces histoires. Il ne se disait pas courageux, seulement pragmatique. Il savait que s’il voulait manger le soir, il devait obéir, et surtout, rapporter quelque chose. Une courge, quelques racines, un peu de manioc. Mais ce jour-là, malgré ses efforts, il ne trouva que colère en lui
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